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2/7/20 11'21 Quʼattendre dʼune comparaison des scolastiques ? Página 1 de 17 https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/3155 Socio-anthropologie 36 | 2017 : Manières de croire Dossier : Manières de croire Qu’attendre d’une comparaison des scolastiques ? Bouddhisme indien et Occident médiéval What should one Expect from a Comparison of Scholaticisms? Indian Buddhism and the Medieval West VINCENT ELTSCHINGER p. 123-142 https://doi.org/10.4000/socio-anthropologie.3155 Résumés Français English Le cadre géographique, culturel et historique de l’étude de la philosophie médiévale a connu une extension remarquable durant les dernières décennies, « philosophie médiévale » s’entendant de toutes les valorisations latines, islamiques, juives et byzantines – monothéistes donc – d’un commun patrimoine philosophique d’orientation néoplatonicienne et aristotélicienne. Dans ces conditions, que faire de l’Inde bouddhique, laquelle, si elle n’entretient aucun rapport génétique avec ces traditions philosophiques tardo-antiques, n’en partage pas moins des traits essentiels avec la philosophie médiévale : « situation herméneutique », rapport à l’autorité, importance concomitante du commentaire, « cléricalité » des acteurs, division des savoirs, primauté du débat, de la réflexion logique et linguistique, etc. Le présent essai vise à explorer les possibilités d’une comparaison entre dispositifs scolastiques chrétien latin et bouddhiste indien. Il revendique un comparatisme portant sur les cultures intellectuelles productrices de savoirs plutôt que sur les dogmes, les doctrines et les arguments, et dresse pour ce faire un tableau rapide de la scolastique bouddhique et de son environnement institutionnel. 2/7/20 11'21 Quʼattendre dʼune comparaison des scolastiques ? Página 2 de 17 https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/3155 The geographical, cultural and historical context of the study of medieval philosophy has been remarkably extended during the last decades, with “medieval philosophy” referring to all Latin, Islamic, Jewish and Byzantine—i.e. monotheistic—developments from a common philosophical heritage of Neoplatonic and Aristotelian inflection. Under these conditions, what can be done about Buddhist India, which, although it has no genetic relationship with these philosophical traditions of late Antiquity, nevertheless shares essential traits with medieval philosophy: “hermeneutic situation”, relation to authority, the concomitant importance of commentary, the “clericality” of actors, the division of knowledge, the primacy of debate, of logical reflection and linguistics, etc. The purpose of this essay is to explore the possibilities of a comparison between Latin Christian and Indian Buddhist scholasticisms. It argues for a comparative approach to knowledge-producing intellectual cultures rather than dogmas, doctrines and arguments, and to this end draws a brief sketch of Buddhist scholasticism and its institutional environment. Entrées d’index Mots-clés : scolastique, bouddhisme indien, comparatisme, philosophie en Inde, cultures intellectuelles Keywords : scholasticism, Indian Buddhism, comparatism, philosophy in India, intellectual cultures Notes de l’auteur Cet essai ne tient pas compte des Warriors of the Cloisters, un livre extrêmement provocateur dans lequel Christopher Beckwith (2012) cherche à accréditer l’hypothèse d’une origine centre- asiatique, bouddhique, ainsi que d’une transmission par l’islam (et notamment Avicenne), d’institutions (les collèges) et de pratiques (la quaestio, ce que Beckwith nomme le « recursive argument ») essentielles au dispositif scolastique. J’espère pouvoir revenir sur ce livre de façon spécifique. Je profite de cette note liminaire pour adresser mes chaleureux remerciements à Isabelle Ratié, Christophe Grellard, Gérard Fussman et Jacques May pour leur relecture attentive et leurs très utiles suggestions. Texte intégral Introduction [P]our écrire une histoire de la philosophie médiévale, l’historien qui veut assumer la réalité historique doit […] partir de l’existence de la pluralité : pluralité des cultures, pluralité des religions, pluralité des langues, pluralité des centres d’étude et de production des savoirs2. Le temps est loin où l’Occident latin chrétien constituait le point de référence exclusif, et comme naturel, des études de philosophie médiévale, où philosophies « arabe » ou « islamique », juive et byzantine n’avaient d’autre titre à faire valoir que d’avoir transmis l’héritage philosophique et scientifique gréco-latin à l’Occident. Le temps est aujourd’hui à l’étude croisée de mondes médiévaux multiples1 considérés dans leurs dynamiques propres, lesquelles peuvent être, aussi bien, celles de l’échange, de la critique et de la fécondation réciproques. Comme l’a noté Alain de Libera : 1 En effet : 2 2/7/20 11'21 Quʼattendre dʼune comparaison des scolastiques ? Página 3 de 17 https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/3155 [L’]histoire de la philosophie médiévale n’est pas l’histoire de la philosophie chrétienne. C’est l’histoire de la philosophie païenne et des trois monothéismes dont elle a été l’instrument docile ou indocile, le partenaire ou le concurrent3. La philosophie médiévale a été pratiquée dans une région couvrant environ vingt- cinq millions de kilomètres carrés et s’étendant de l’ouest de l’Irlande à l’Ouzbékistan, et de Göteborg au Golfe d’Aden. La question n’est pas seulement qu’il y ait eu des philosophes dans ces lieux, car il y en avait également, durant la même période, aussi loin qu’en Inde ou en Chine. C’est, bien plutôt, que la philosophie pratiquée dans cette vaste région appartenait à un même groupe de traditions liées entre elles et qui toutes remontaient à la Grèce ancienne : la philosophie occidentale, mais en un sens qui nous invite à repenser ce que nous entendons par « occidental5 ». En dépit de l’éclatement de son référentiel historique, culturel et géographique, la philosophie médiévale, où qu’elle s’exprime, s’enracine dans un corpus philosophique tardo-antique d’orientation platonicienne intégrant l’aristotélisme et, au besoin, d’autres courants doctrinaux antiques. John Marenbon a d’ailleurs récemment fait l’histoire des quatre traditions philosophiques médiévales en les présentant comme autant d’appropriations spécifiques d’un commun héritage néoplatonicien4. Ce renouvellement théorique et méthodologique induit un élargissement notable du cadastre de la philosophie médiévale, dont l’Occident latin chrétien ne constitue plus guère qu’une région parmi d’autres : 3 Dès lors, comment poser la question de l’Inde, dont le patrimoine philosophique se rapproche tant de la philosophie médiévale par son voisinage avec le religieux, son questionnaire, ses méthodes, ses modalités discursives et ses ressources ? Jusqu’à preuve du contraire, la philosophie indienne (brahmanique autant que bouddhique) n’a subi aucune influence significative de la Grèce6. Contrairement aux quatre traditions philosophiques médiévales susmentionnées, elle n’en a pas recueilli et recontextualisé l’héritage, et ne peut donc se prévaloir d’aucun lien génétique avec la pensée gréco-latine7. De plus, la périodisation de l’Inde et de sa philosophie ne saurait être ici d’aucun secours, puisque les catégories qui la structurent (ancient/classical, [early] medieval, pre-modern, early modern, etc.) résultent d’une appropriation mécanique de leurs contreparties occidentales et manquent donc, plus encore que ces dernières, de toute pertinence scientifique. On doit alors se demander si, à défaut de légitimation génétique ou chronologique, un rapprochement entre philosophie médiévale et philosophie indienne, bouddhique surtout, ne devrait pas procéder plutôt sur un mode typologique et prendre appui sur un commun paramétrage. On a proposé récemment le modèle heuristique des « exercices spirituels » de Pierre Hadot pour solidariser philosophie occidentale et philosophie en milieu bouddhique8. Mais, en annexant le discours et la pratique de la philosophie au domaine sapiential, ce modèle me paraît compromettre d’emblée toute tentative de faire reconnaître qu’en Inde ancienne, précisément, discours sapiential/religieux et discours philosophique ne se superposent pas – pas plus, en tout cas, que dans les mondes médiévaux latin, hébraïque et arabe. Le problème est assurément complexe et ne saurait nous retenir davantage dans le présent contexte. Je voudrais explorer ici, dans le sillage des travaux de Paul Masson-Oursel (1882-1956) et de José Ignacio Cabezón9, une part au moins du potentiel comparatif de la notion de « scolastique » entendue, non comme un corps de doctrines et d’arguments, moins encore comme un découpage historique ou un programme théorique, mais comme un ensemble 4 2/7/20 11'21 Quʼattendre dʼune comparaison des scolastiques ? Página 4 de 17 https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/3155 [L’] ensemble des méthodes d’enseignement et de discussion en usage dans les écoles et les universités médiévales (essentiellement à partir du XIIe siècle) [...] [...] formes sous lesquelles s’est manifestée une très large partie de la production philosophique, théologique, juridique et scientifique du Moyen Âge11 de pratiques délimitant un type de culture intellectuelle, voire un régime mental10. Par « scolastique » on entendra ici, avec Jean-Luc Solère : c’est-à-dire l’ensemble des 5 Je me dois de clarifier deux points concernant ma compréhension du sens d’une comparaison entre les scolastiques. Tout d’abord, cette approche n’a pas pour ambition (du moins pas pour ambition principale) de comparer des positions doctrinales et des arguments philosophiques, mais de considérer les cultures intellectuelles qui ont occasionné la formation, le développement et la physionomie générale de la philosophie dans les deux ensembles culturels. Ceci comprend des éléments aussi différents que l’environnement institutionnel, les pratiques d’enseignement et d’érudition ou les différentes manières de produire, de conserver, d’enrichir et de faire fructifier le savoir. En d’autres termes, on comparera des « structures12 » ou, pour mieux dire, des dispositifs de production, plutôt que des contenus intellectuels. Ce faisant, et c’est mon second point, la comparaison ne saurait à aucun moment se résumer à la mise en regard des dispositifs et à l’inventaire différentiel de leurs propriétés respectives. La scolastique médiévale, occidentale ou autre, doit être envisagée et construite comme un instrument heuristique dynamique permettant de recourir à ce qui est (le) mieux connu pour tirer des hypothèses de recherche et d’interprétation concernant les conditions sociales et institutionnelles ayant présidé à la formation et au développement de uploads/Philosophie/ qu-x27-attendre-d-x27-une-comparaison-des-scolastiques.pdf

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