Recherches en Éducation - n°23 - Octobre 2015 - Basma Frangieh & Nathalie Gaven

Recherches en Éducation - n°23 - Octobre 2015 - Basma Frangieh & Nathalie Gavens 139 Le second point est que les représentations des enseignants ne prennent pas en compte les comportements inadaptés des élèves pour les travailler et les aider à s’améliorer. Les temps de formation et de travail autour des grilles ont permis aux participants d’élaborer des actions couvrant de nouveaux champs, notamment concernant les items « choisir une activité » et « s’aimer », lesquels étaient quasiment absents des propositions initiales. 4. Discussion Le dispositif mis en place a permis de mettre en évidence que les représentations conceptuelles des enseignants ne correspondent pas totalement aux contenus proposés par les textes théoriques. Nous avons relevé lors de la comparaison des représentations avec les définitions des concepts que les enseignants ne prennent pas en compte l’aspect « négatif » de l’élève et ne partent que des points positifs. Par exemple, parmi les propositions initiales relevées pour définir l’estime de soi, nous observons le verbatim « Il s’agit pour un individu de reconnaître ses qualités, avoir conscience de sa valeur. Avoir une image positive de lui-même et s’accepter en tant que tel » et le verbatim « S’accepter comme ils sont, leur montrer leurs capacités » comme proposition d’actions. Lorsqu’ils ont pu s’appuyer sur des items issus de la théorie, leurs propositions ont évolué et des actions telles que « Revenir sur les conflits en classe pour éviter que les relations ne dégénèrent » ou « Parler en classe des problèmes qu’il peut y avoir entre les élèves et trouver avec eux des solutions » sont apparues. Par ailleurs, en mettant à disposition un soutien à la réflexion, les enseignants proposent un champ plus large d‘actions. Prenons pour illustrer ce propos l’exemple du mot-clé de la définition de la motivation : « choisir une activité ». Cette idée n’a pas été évoquée dans les quatorze définitions relevées et un seul participant y a fait référence sous l’expression « choix des sujets de travail ». Après la distribution des grilles, cette idée a permis de conduire à des actions réalisables en classe pour aider les élèves à développer ce besoin de réalisation (Deci & Ryan, 1985) telles que « L’élève choisit dans quel ordre faire les activités » ou « Choix d’un sujet d’exposé à présenter aux autres ». Les enseignants spécialisés sont nombreux à invoquer des problèmes de « motivation », « d’estime de soi », « de confiance en soi » pour expliquer le peu d’engagement de leurs élèves dans les tâches scolaires et ils considèrent ces aspects comme des dispositions psychologiques qu’il conviendrait de « restaurer » avant d’enseigner et de guider les apprentissages de leurs élèves en difficultés (Heward, 2003). La maîtrise de ces deux concepts de la part des enseignants induit des changements perceptibles dans les comportements de l’élève en question (Frangieh & Weisser, 2013). L’enseignant a un rôle de catalyseur ou d’inhibiteur sur la motivation des élèves (Boggiano & Katz, 1991). Ce travail concernant les connaissances des enseignants sur les concepts de motivation et de l’estime de soi souligne que ces derniers ont une représentation conceptuelle partielle par rapport à la littérature. Or, pour que le soutien aux élèves BEP soit maximal, il est important de se reposer sur un ensemble d’éléments permettant de développer les concepts concernés. Ce qui rejoint l’idée soulignée par Barth (2011), qu’il est important pour l’enseignant de réfléchir, dans chaque domaine, sur les concepts organisateurs qui le structurent, lui donnent une cohérence interne et sont indispensables pour l’observer et l’interpréter. Pour savoir où porter son attention, nous avons besoin des outils conceptuels de l’expert qui amènent à discerner ce qui est essentiel et pertinent dans une situation donnée. L’utilité de la connaissance conceptuelle a été relevée dans plusieurs recherches, notons à titre d’exemple celle de Piasta et al. (2009). Il semble que ce soit le cas de « l’estime de soi » et de « la motivation ». Le savoir théorique va compléter le savoir-faire des enseignants. Les théories de sens commun qui circulent dans les milieux de la formation initiale distinguent généralement les savoirs théoriques et les savoirs pratiques (Paquay, Altet, Charlier & Perrenoud, 1996). Recherches en Éducation - n°23 - Octobre 2015 - Basma Frangieh & Nathalie Gavens 140 Giordan et Vecchi (1988) rappellent qu’un concept fonctionne dans un réseau et possède une « aura », c'est-à-dire un ensemble de concepts associés dont la compréhension préalable est nécessaire (p.174). Une réponse globale est proposée par Schon (1983) avec le paradigme de l’enseignant réflexif : la pensée professionnelle en situation est conçue comme « une réflexion dans l’action », une « pensée-agie » basée sur des « cognitions en situations », ces cognitions étant tout à la fois « enracinées dans la situation même » et « enchainées dans l’action du professionnel expert ». Le défi le plus important à relever dans la formation des enseignants et des formateurs est sans doute d’arriver à susciter un changement dans leur rapport avec le savoir et son élaboration (Barth, 2011). Ainsi les croyances des enseignants engloberaient à la fois des éléments personnels et des éléments partagés par l’ensemble de la communauté enseignante (Verloop, Van Driel & Méijer, 2001, cité par Crahay, Wanlin, Issaieva & Laduron, 2010). Elles sont à considérer comme une caractéristique psychologique de l’individu, tout en étant enracinées dans son substrat culturel. Ceci permet, selon nous, de considérer les croyances et les représentations comme des constructions à la fois cognitives et sociales. Autrement dit, les croyances ou encore les représentations des enseignants ont une double nature, indissociablement individuelle et sociale. Ceci ne signifie pas pour autant que les enseignants partagent des croyances identiques ni qu’ils agissent de commune façon en accord avec un corpus indifférencié de croyances (ibid.). Conclusion Cette étude a ainsi tenté d’éclaircir la question des représentations conceptuelles des notions utilisées par les enseignants. Les résultats nous indiquent que les enseignants ont de nombreuses connaissances intuitives et qu’elles sont en accord avec les connaissances théoriques, mais qu’elles n’en représentent qu’une partie et qu’elles ne sont pas toujours en cohérence avec les actions proposées. Pour parfaire cette connaissance, la formation ou l’autoformation nous semblent un moyen efficace pour y parvenir. La formation des enseignants mobilise toute l’étendue des connaissances, elle permet à l’enseignant de maitriser les notions fondamentales afin de pouvoir mettre en œuvre les démarches spécifiques. Ce qui favorise la création des conditions favorables à la réussite de tous dans la classe. Ces éléments confirment que le domaine de la formation des enseignants, la réflexion autour de la manipulation des concepts et le soutien aux élèves BEP offrent de nombreuses perspectives de recherche. Bibliographie ASSOCIATION CANADIENNE POUR LA SANTÉ MENTALE. (1999), « L'estime de soi ». Récupéré le 28 février 2011du site http://www.acsm-ca.qc.ca/coffres-a-outils/1999/estime-de-soi.pdf. BANDURA A., BARBARANELLI C., CAPRARA C.V. & PASTORELLI C. (1996), « Multifacted impact of self- efficacy beliefs on academic functioning », Child Developpement, volume 67, p.1206-1222. BANDURA A. (2002), Auto-efficacité : le sentiment d'efficacité personnelle, Paris, De Boeck Supérieur. BANDURA A. & al. (2003), « Role of effective self-regulatory efficacy in diverse spheres of psychosocial functioning », Child development, volume 74, no3, p.769-782. BARTH B. M. (2011), Le savoir en construction, Paris, Editions Retz. BOGGIANO A.K. & KATZ P. (1991). « Maladaptive Achievement Patterns in Students: The Role of Teachers' Controlling Strategies », Journal of Social issues, volume 47, no4, p.35-51. BOUFFARD T. & COUTURE N. (2003), « Motivational profile and academic achievement among students enrolled in different schooling tracks », Educational Studies, volume 29, p.19-38. Recherches en Éducation - n°23 - Octobre 2015 - Basma Frangieh & Nathalie Gavens 141 CRAHAY M. & DUTRÉVIS M. (2010), Psychologie des apprentissages scolaires, Bruxelles, De Boeck. CRAHAY M., WANLIN P., ISSAIEVA E. & LADURON I. (2010), « Fonctions, structuration et évolution des croyances (et connaissances) des enseignants », Revue française de pédagogie, volume 172, p.85-129. DECI E.L. & RYAN R.M. (1985), Intrinsic motivation and self-determination in human behavior, Plenum, New York. DENIS M. & DUBOIS D. (1976), « La représentation cognitive : quelques modèles récents », L’année psychologique, volume 76, no2, p.541-562. DUCLOS G. (2000), L'estime de soi un passeport pour la vie, Montréal, Hopital Sainte-Justine. DWECK C.S. & LEGGETT E.L. (1988), « A social cognitive approach to motivation and personality », Psychological Review, volume 95, p.256-273. ECCLES J.S & WIGFIELD A. (2002), « Motivational beliefs, values, and goals », Annual Review of psychology, volume 53, p.109-132. ECCLES J.S., WIGFRIELD A., FLANAGAN C.A., MILLER C., REUMAN D.A. & YEE D. (1989), « Self-concepts, domain values, and self-esteem: Relations and changes at early adolescence », Journal of Personnality, volume 57, no2, p.283-310. FENOUILLET F. (2012), La motivation, Paris, Dunod. FRANGIEH B. & WEISSER M. (2013), « Une formation à l’inclusion. Le cas des élèves présentant une déficience intellectuelle légère », Recherche et Formation, n°73, p.9-20. GIORDAN A. & VECCHI G. (1988), « Les Origines du savoir : des conceptions des apprenants aux concepts scientifiques », Revue française de pédagogie, volume 84, p.95-97. HEWARD W. L. (2003), « Ten uploads/Philosophie/ ree-6698-140-174.pdf

  • 37
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager