Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert DU MÊME AUTEUR CHEZ LE

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert DU MÊME AUTEUR CHEZ LE MÊME ÉDITEUR « La philosophie n’est pas tout à fait innocente », avec Karl Jaspers La Nature du totalitarisme Correspondance avec Karl Jaspers, 1926-1969 Considérations morales Le Concept d’amour chez Augustin Qu’est-ce que la philosophie de l’existence ? La Philosophie de l’existence et autres essais Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert Hannah Arendt Responsabilité et jugement Édition établie et préfacée par Jerome Kohn Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Luc Fidel Petite Bibliothèque Payot Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert Retrouvez l’ensemble des parutions des Éditions Payot & Rivages sur www.payot-rivages.fr Titre original : RESPONSIBILITY AND JUDGEMENT (New York, Schocken Books) © 2003 by The Literary Trust of Hannah Arendt and Jerome Kohn © 2005, Éditions Payot & Rivages pour la traduction française, © 2009, Éditions Payot & Rivages, pour l’édition de poche, 106, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert Préface « Aux questions particulières, il faut des réponses particulières ; si la série de crises dans laquelle nous vivons depuis le début du siècle peut nous enseigner quelque chose, c’est, je crois, le simple fait qu’il n’existe pas de normes générales pour déterminer infailliblement nos jugements, ni de règles générales sous lesquelles subsumer les cas particuliers avec un certain degré de certitude. » C’est en ces mots qu’Hannah Arendt (1906-1975) a enfermé ce que, toute sa vie, elle a considéré comme la nature problématique de la relation qu’entretiennent la philosophie avec la politique, la théorie avec la pratique ou, plus simplement et précisément, la pensée avec l’action. Elle s’adressait alors à un vaste public venu de tous les États-Unis se rassembler dans l’église de Riverside, à Manhattan, pour assister à un colloque sur « le caractère de crise de la société moderne(1) ». On était en 1966, et une crise politique très particulière, l’escalade dans la guerre du Viêt-nam, occupait l’essentiel des esprits chez les citoyens rassemblés là pour exprimer leur inquiétude face à la politique américaine en Asie du Sud-Est et pour discuter de ce que, individuellement et collectivement, ils pouvaient faire pour changer cette politique. Convaincus que la dévastation par leur nation d’une culture et d’un peuple anciens et qui ne présentaient pour elle aucun danger constituait une injustice morale, ils se tournaient vers Arendt et les autres conférenciers dans l’espoir que leur expérience des crises passées éclairerait la présente. Avec Arendt, ils ont été quelque peu déçus. Malgré le fait que Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert le totalitarisme et les autres crises du XXe siècle avaient occupé le centre de sa pensée pendant de nombreuses années, elle ne leur a pas proposé de « normes générales » pour prendre la mesure de l’injustice qui avait été commise, non plus que de « règles générales » à appliquer à celle qui l’était alors. Elle n’a rien dit pour alimenter les convictions qui étaient déjà les leurs, pour rendre leurs opinions plus convaincantes aux yeux des autres, ou encore afin de conférer plus d’efficacité à leurs efforts pour lutter contre la guerre. Arendt ne croyait pas que les analogies tirées rétrospectivement de ce qui a ou non fonctionné dans le passé permettent d’éviter les pièges présents. Selon elle, la spontanéité de l’action politique est prise sous le joug de la contingence liée à ses conditions spécifiques, ce qui invalide de telles analogies. Le fait que l’« apaisement » ait échoué à Munich en 1938, par exemple, n’impliquait pas que des négociations étaient hors de propos en 1966. Arendt croyait que le monde entier a intérêt à rester vigilant et à résister à des phénomènes comme le racisme et l’expansionnisme global qui se sont cristallisés dans le totalitarisme ; elle était cependant hostile à l’usage indéterminé et analogique du terme « totalitarisme » pour désigner tout régime auquel les États- Unis pourraient s’opposer. Arendt ne voulait nullement dire que le passé comme tel était sans pertinence — elle ne se lassait pas de répéter l’aphorisme de William Faulkner : « Le passé n’est jamais mort, il n’est même pas passé » — ; elle estimait plutôt que s’appuyer sur les « prétendues leçons de l’histoire » pour indiquer ce que le futur nous prépare est à peine plus utile que d’examiner des entrailles ou lire des feuilles de thé. En d’autres termes, sa vision du passé, clairement formulée dans « Retour de bâton », le dernier texte repris dans Responsabilité et Jugement, était plus complexe et moins optimiste que celle contenue dans la remarque souvent ressassée de Santayana : « Ceux qui ne peuvent se rappeler le Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert passé sont condamnés à le répéter. » Au contraire, Arendt croyait que, « pour le meilleur ou pour le pire », notre monde est « devenu » ce qu’en réalité il est : à savoir que « le monde dans lequel nous vivons à n’importe quel moment est le monde du passé ». Sa croyance n’est qu’à peine une « leçon » de l’histoire, et elle pose la question de savoir comment on peut faire l’expérience dans le présent du passé — c’est-à-dire de l’action passée. Dans « Retour de Bâton », elle ne répond pas à cette question par une théorie, mais le jugement aigre-doux qu’elle donne de l’état de la République américaine en 1975 fournit un exemple de ce qu’elle entend par présence du passé. Bien que ses « commencements il y a deux siècles » aient été « glorieux », dit-elle, la trahison des « institutions de la liberté » de l’Amérique nous « hante » désormais. Les faits se sont retournés contre leurs auteurs, et la seule façon de rester fidèles à nos origines n’est pas d’accuser des « boucs émissaires » ou de fuir dans des « images, théories ou pures folies », mais de tenter d’« accueillir » ces faits. C’est nous en tant que peuple qui sommes responsables pour eux désormais. Le seul conseil, si l’on peut dire, qu’elle ait jamais donné était enchâssé dans les « réponses particulières » qu’elle a données à des « questions particulières », ce que l’anecdote suivante peut illustrer(2). À la fin des années 1960, quand ses étudiants lui ont demandé s’ils devaient coopérer avec les syndicats pour s’opposer à la guerre du Viêt-nam, à leur grande surprise, elle a répondu sans hésiter et avec beaucoup de bon sens : « Oui, parce qu’ainsi, vous pourrez utiliser leurs machines à polycopier. » Une autre anecdote datant de la même époque illustre une perspective entièrement différente, qui n’a rien à voir avec le fait de donner des conseils. Lorsque les étudiants manifestant contre la guerre ont occupé les salles de cours de la New School for Social Research, à New York, le corps enseignant a appelé à une réunion pour aborder la question de savoir s’il fallait ou non Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert faire venir la police pour restaurer l’ordre. Des arguments pour et contre ont été présentés, et à mesure que la réunion avançait, ils semblaient faire pencher la balance en faveur d’une réponse positive. Arendt n’a rien dit jusqu’à ce que l’un de ses collègues, un ami qu’elle connaissait depuis sa jeunesse, approuve non sans répugnance l’idée qu’il fallait informer les « autorités ». Elle s’est tournée brusquement vers lui et s’est exclamée : « Mais Bon Dieu, ce sont des étudiants, pas des criminels ! » On n’a plus mentionné la police et ces mots ont clos la discussion. Prononcées spontanément et sur la base de son expérience, les paroles d’Arendt ont rappelé à ses collègues que l’affaire dont ils traitaient se jouait entre eux et leurs étudiants, et pas entre leurs étudiants et la loi(3). La réaction d’Arendt était un jugement prononcé sur une situation particulière considérée dans sa particularité, ce que les grands discours prononcés auparavant avaient fait oublier. Personne n’avait davantage conscience qu’Hannah Arendt du fait que les crises politiques du XXe siècle — tout d’abord le déclenchement de la guerre totale en 1914 ; puis la montée des régimes totalitaires en Russie et en Allemagne, et l’annihilation par eux de classes et de races d’êtres humains tout entières ; puis l’invention de la bombe atomique et son déploiement pour rayer de la carte deux villes japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale ; puis la guerre froide et la capacité sans précédent dont s’est doté le monde post-totalitaire de se détruire au moyen d’armes nucléaires ; puis la Corée ; puis le Viêt-nam ; et ainsi de suite, événements survenant « en cascade comme les chutes du Niagara de l’histoire » — peuvent être regardées comme un effondrement moral. Qu’une telle chute se soit produite est évident. Mais le nœud controversé, ardu et difficile de ce qu’Arendt a vu, c’était que cet effondrement moral n’était pas dû à l’ignorance ou à la méchanceté uploads/Philosophie/ responsabilite-et-jugement-hannah-arendt.pdf

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