De rinduction chez Aristote C'est une tentation à laquelle succombe bien vite l
De rinduction chez Aristote C'est une tentation à laquelle succombe bien vite le philo- sophe, en quête d'une théorie plus profonde et plus satis- faisante que celles.de ses prédécesseurs, de ramener à son point de vue et de juger d'après ses exigences de pensée, des ques- tions envisagées avant lui en un sens parfois tout 'autre. S'il arri- ve, par exemple, de consulter Aristote sur les difficiles pro- blèmes que pose l'induction, on ira, convaincu par avance d'y recueillir certaines indications, sans doute plus ou moins pré- cises, sur un procédé de la Science et de la. Science expérimen- tale, sur les méthodes qui le caractérisent, sur le principe qui le légitime. Procédé scientifique, l'induction serait-elle autre cho- se? Et isa valeur ne dépendrait-elle pas de la manière dont on observe les cas individuels, du principe qui en dégage les lois? A suivre cependant une méthode un peu différente, plus sou- cieuse de réalité historique |et moins pressée de conclure, l'on se persuade que l'induction aristotélicienne est un procédé gé- néral, dont le champ d'application déborde celui de la Science, puisqu'il s'étend à la Dialectique, à la Rhétorique et à la Mé- taphysique, et que ce n'est pas là où il en est parlé le plus explicitement, qu'il convient de chercher un point de compa- raison entre les méthodes modernes et celle que préconisait Aiistote en vue de constituer les Sciences naturelles. I Si le terme inayonyri ne se rencontre pas avant Aristote (1) et s*il en donne, le premier, la définition devenue classique : >9 àno Tw >ta9' ezcc7Tov km rà x<xQ6'ko-j scps^'o; (2), il attribue, lui-même, à 1. Heinrich Maier. Die Syllogistik des Aristotdcs (S A). 2. Th. 1. Hâlfte, p. 374. Tiibingen, Laupp, 1900. 2. Top. A 12. 105 ca 13. 40 HEVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES Socrate la découverte du raisonnement inductif (1). Celui-ci et, à son exemple, Platon, en ont fait l'un et l'autre un tisagie fréquent; Aristote le reçut donc de leurs mains tel qu'ils le prati- quèrent. Et le témoignage rendu à Socrate nous assure de l'identité initiale de leur point de vue, d'autant mieux que l'exem- ple apporté par le Stagirite, lorsqu'il définit l'induction, est l'un des plus familiers aux entretiens des Mémorables (2). J'aurai, de nouveau, à utiliser cette constatation très simple. Pour l'instant, je n'en veux retenir qu'une seule conséquence, ayant trait aux fins les plus générales de l'induction. Les recherches dialoguées de Socrate et de Platon tenaient de leur forme spéciale un double caractère. D*uno part, elles visaient à un résultat scientifique, c'est-à-dire tout à fait précis et néces- saire; d'autre part, elles s'efforçaient de produire une conviction immédiate dans l'esprit de l'interlocuteur. Il paraît même que chez Socrate, cette dernière préoccupation était dominante. Il voulait agi] sur ses concitoyens et les persuader. Ce serait une œuvre difficile de faire le départ, dans les exemples qui nous restent de sa manière de raisonner, entre les observations qui fondent sa conviction personnelle, a.vant toute discussion, et celles dont il se sert suivant les besoins de l'esprit dont il veut se rendre maître. De même, Platon use avec toute sa liberté et sa fantaisie d'artiste des ressources dialectiques, jamais épui- sées pour rinvention d'un Grec. Disputes logiques, discus- sions sérieuses et travail scientifique, vont de pair et se prêtent mutuellement secours. Ici et là, listes d'exemples à peu près semblables, d'où l'on infère une conclusion, utile au discours ou^ suivant les cas, définitive. Il n'est que juste, en somme, de reconnaître que si l'induction socratique eut le mérite de con- tribuer à l'élaboration des premiers concepts de la science mo- rale, dès le début elle ne fut pas restreinte à cet usage, mais reçut de son fondateur une direction plus large, moins rigoureuse, adaptée aux exigences courantes de la discusision dialectique (B). Que ce mode de discussion se retrouve plus d'une fois dans les œuvres d'Aristote, la plupart du temps comme préliminaire à l'étude vraiment scientifique, c'est plus que certain. Mais le 1. Met. M 4. 1078 b 27. 2. Top. A 12. 105 a 14... oîov el 'é<TTL Kv^epvrjTrjs 6 iTnard/ji.€voî Kpiriaros Kal Tjvioxos, Kal ÔXws iariv à é-maTàfievos irepl eKaarov apiaros 3. S A. 2 T. 1 H. p. 382. — R. Eucken. Die Méthode der aristotelischen Forschung, p. 170. Berlin, m^id pi nnn. ia-72. DE l'induction CHEZ ARISTOTE 41 Philosophe possède une conscience très nette de la distinction des deux méthodes, et, de même qu'il a édifié la théorie de la Science et de la Démonstration, il a consacré à la Dialectique ce traité des Topiques, le mieux composé, peut-être, et le plus achevé de tous ceux qui nous viennent de lui. Or, malgré cela, l'induction telle qu'il l'entend, continue d'être commune aux deux disciplines et, de plus, à la Rhétorique, sous la forme dérivée de l'exemple. Il importe de l'établir a,vec précision et de noter quelle physionomie spéciale revêt ce procédé, identique en son fond, par suite de ses applications diverses. « Il est nécessaire de déterminer, est-il dit a,u premier livre des Topiques (1), en combien d'espèces se divisent les raisonne- ments dialectiques. Or, Vune d'elles est Vinduction. » Et c'est précisément à cette occasion — le fait est significatif — que l'induction est définie et expliquée au moyen d'un exemple emprunté à Socrate. Le texte est assez clair pour qu'il soit inutile d'y insister. Au besoin, il serait facile de se convaincre en continuant un peu la lecture, que cette espèce du raisonne- ment dialectique, la plus persuasive et la plus accessible (2), est efficacement recommandée par le Philosophe. Parallèlement à l'induction dialectique se trouve, dans l'art oratoire, l'exemple (3). Aristote, pour en expliquer la nature, renvoie simplement aux Topiques. La coupe du raisonnement est la même que pour l'induction. Comme celle-ci s'oppose au syllogisme dialectique, l'exemple s'oppose à l'enthymème. Il est plus délicat de se rendre compte de l'emploi scientifi- que de l'induction, de son rôle dans la Science telle que la conçoit Aristote. Le texte qui, à ma connaissance, l'exprime le mieux, au moins dans ce qu'il a de plus essentiel, se lit dans YÉthique à Nicomaque (4): «Tout enseignement, comme nous le disons dans les analytiques, procède de connaissances antérieures; tel en effel: utilise l'induction, tel autre le syllogisme. L'induction 1. Top. A 12. 105 a 10.. XPV Si-eXécrdac irôcra tQv Xôyuv eïôri tCjv ÔLaXeKTLKUiu . EcTi 5è To fxèv èirayo^yr) . 2. Top. A 12. 105 a 16. 3. JRhét. A 2. 1356 a 36 SS. ... Kaddirep Kal êv roîs ôiaXeKTiKOÎs rb fièv èiraytoy/i éaTL TO de crvWoyLCTfxbs to de (paivô/xevos avWoyicr/Jios. Kal èvTavda à/moicos ex^i-' 'é<JTL yàp to fièv TrapâôeiyfMa èiraycoy-rj, to 5' €u6v/xT}/j.a (Xv\\oyLfffx,os. KaXcD di'èvdviJ.r)fxa fièv prjTOpLKOv avWoyLafibv. irapàôeiy/xa 8è é7ra7aJ7V piqTopiK-qv . k. t.\. 4. Eth. Z 3. 1139 b 26. è/c TvpoyLvwaKOjxévwv 5è Trâaa ôiôacTKaXla, iôcnrep Kal eV Tots àvoKvTLKoh Xèyofjiev' rj /mèv yàp <5t ' é7ra7a;7?7S, rj ôè cruXXoyicr/uiip .' }î /j.èv ôrj tiraycjyr] àpxv ècTTL Koù Tov KadîXov, b 8: avXXoyL(Tfji')s, eK t2v KadoXov. 'Elcrlu âpa âpxal f^ tS" ô crvXXoyLcrfibi^ &v ovK 'éaTL crvXXoyLajxb's ' èiraywyr] âpa. 42 REVUE DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES est principe [de renseignement], et [enseignement] de Funiversel, le syllogisme, au contraire, part de ce qui est universel. Il y a donc des principes d'où procède le syllogisme, dont il n'y a pas syllogisme : [d'eux il y a] donc induction. » Ainsi, dans la Scien- ce, l'induction doit suppléer à l'impuissance de la démonstration syllogistique et nous faire connaître les principes mêmes sur lesquels celle-ci repose. C'est un point très ferme dans la doctrine d'Aristote que la démonstration ne peut ni être circulaire ni re- monter à l'infini, mais doit trouver un terme fixe où elle s'ori- gine. A l'induction, il appartient de nous y mener. Son rôle est donc foridamental. Mais les cLoycLi dont il est ici question, ce sont à la fois les principes proprement dits et les notions premières, 'communo à toutes les sciences ou propres à chacune d'elles. Les uns et les autres sont autonomes et non pas simples an- neaux d'une chaîne syllogistique. C'est pourquoi l'on rencontre si souvent dans les œuvres du Stagirite la mention que tel ou tel concept, dont il vient de faire l'analyse, s'impose à nous par rinduction. Dans la Métaphysique, en particulier, la réflexion est fréquente (1). La pratique scientifique d'Aristote est, à ce point de vue, encore plus instructive que sa théorie, à peine formulée. Il est aussi très digne de remarque que dans les sciences physi- ques secondaires, où cependant l'observation et l'expérience ont une part si prépondérante, l'importance de l'induction est moin- dre, si l'on considère le but auquel elle prétend. On ne peut com- parer, en fait de valeur scientifique, l'invention des principes de la Philosophie première et les quelques résultats d'une étude, pourtant consciencieuse, du Ciel ou des Animaux. Si l'on se rappelle, ici encore, la nature de l'induction socrati- que, il paraîtra naturel de voir son rôle scientifique compris avant tout par Aristote, comme une recherche des principes les plus uploads/Philosophie/ de-l-x27-induction-chez-aristote.pdf
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- Publié le Jui 10, 2021
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