Le reflet du serpent noir (texte de Rongzompa) Rongzom (rong zom chos kyi bzang

Le reflet du serpent noir (texte de Rongzompa) Rongzom (rong zom chos kyi bzang po 1012–1088) est un des trois docteurs principaux de l'école Nyingmapa, tenu en grand estime par Atiśa (980–1054) et Gö Lotsawa (1392–1481) qui dit de lui : « Il n’y a jamais eu au Pays des neiges une personne aussi érudite que lui. »[1] Il était né à Lung-rong dans la région de gTsang. Dès son plus jeune âge, il se mit à l’étude du sanscrite, mais il n'était jamais allé en Inde. A son époque, le Tibet était fréquemment visité par des pandits indiens. C’est auprès d’eux qu’il avait fait son apprentissage, ce qui lui valut son titre « paṇḍita ». Il était marié et avait deux fils. C’était un contemporain de 'Gos Khug-pa[2] Lhas btsas qui était très critique de l’école Nyingmapa. Il n’avait jamais vu de copie du Guhyagarbha en Inde et mettait en doute l’authenticité de ce tantra contesté. Il était également l’auteur d’une lettre ouverte (T. snags log sun ‘byin) adressée à Rongzompa, qui avait pris la défense du Guhyagarbha (dans le dKon mchog ’grel) et du Dzogchen (dans l’Entrée dans le système du mahāyāna, T. theg pa chen po’i tshul la ’jug pa Réf. TBRC W27479). Sa biographie, que l’on trouve dans les Annales bleues[3], est basée sur une biographie écrite par deux de ses disciples Yol rdo rje dbang phyug et g.Yug rdo rje ’dzin pa. Malheureusement de nombreuses œuvres de sa main ont été perdues. Il est encore l’auteur d’un commentaire (T. Man ngag lta ba’i phreng ba’i ’grel ba) sur la Guirlande des doctrines des préceptes attribuée à Padmasambhava. L’intérêt de cet auteur est qu’il est un témoin très précieux de l’état des doctrines et des tantras de l’école Nyingmapa en général et du système Dzogchen en particulier, à la deuxième moitié du 11ème siècle.Voici un petit texte de sa main dans lequel il explique l'intérêt de la "vue de l'identité universelle", qui n'est autre que le Dzogchen, en se servant de l'exemple du reflet d'un serpent noir et des différentes interprétations et réactions possibles. [445] Sbrul nag po’i stong thun W27479 Notes de conférence sur le serpent noir. Voici ce qu’il faut savoir en résumé sur les différentes approches (T. lta spyod) des véhicules supérieures et inférieures. Il existe différentes doctrines qui s’appuient sur un corps, un lieu et sur les domaines sensoriels à travers des actes, des paroles et des pensées[4]. Est-ce que ces choses apparaissent réellement oui ou non ? Quelques soient les écritures canoniques que l’on suit, [l'explication] suivante conviendra. Que l’on soit un débutant ou que l’on soit arrivé au dixième niveau spirituel, elle ne sera pas contestée. Pourquoi ? Ce qui apparaît manifestement (T. mngon sum du snang ba) n’est pas quelque chose de moins ni quelque chose de moins (T. sgro skur med). Les différends à ce sujet viennent donc des attributs (S. lakṣaṇa). des apparences et peuvent être classés en cinq catégories [446] à l’aide de l’exemple suivant. 1. Quand le reflet d’un serpent noir apparaît dans l’eau, certaines personnes lui attribuent une réalité (T. mngon par zhen). Elles en auront peur et resteront à l’écart. 2. D’autres personnes sauront que c’est le reflet d’un serpent et que [le reflet] n’est pas un vrai serpent. Malgré cela, elles considèrent que même le reflet pourra avoir un effet négatif et elles s’efforceront de corriger [la perception du reflet] par des méthodes appropriées (S. upāya). 3. Encore d’autres sauront que c’est un reflet, mais comme il na pas de support matériel (T. ‘byung ba chen po S. mahābhūta), ils comprennent qu’il n’est besoin d’entreprendre aucune action. Cependant, à cause d'antécédents de fuite (T. sngon bred) [dans le cas de la présence réelle d’un serpent], elles seront incapables de toucher (T. reg) ni de saisir (T. rdzi ba) [le reflet du serpent]. 4. Certains, comprenant qu’ils ne pourront rien faire parce qu’il ne s’agit que du reflet, se remettront rapidement de leur première frayeur, et toucheront et saisiront [le reflet] à cause de leur engagement spirituel (S. vrata)[5]. 5. Finalement, il y a ceux qui sauront que c’est un reflet, mais comme ils n’auront aucune idée/volonté (T. blo) de le rejeter ni de l’accueillir, ils n’entreprendront rien. Les doctrines des divers véhicules sont semblables aux exemples ci-dessus. 1. Le premier [exemple] correspond au système des auditeurs (S. śrāvaka, plus exactement ici sarvāstivāda). En effet, ceux-ci affirment que les phénomènes de la souffrance et des lieux de souffrance [447] existent non seulement du point de vue conventionnel, mais aussi en absolu, et même de façon substantielle (T. rdzas S. dravya). Ainsi, ils considèrent [ces phénomènes] comme véridiques et les rejettent et accueillent conformément. Considérant le reflet du serpent comme véridique, ils le rejettent. Dans ce système, des quatre types d’existence[6] (T. yod pa rnams), il y a l’existence ultime, l’existence superficielle, ainsi que l’existence substantielle (T. rdzas su yod pa S. dravya-sat) des deux [premières]. 2. Le deuxième exemple correspond au madhyamika du mahāyāna. Comme les apparences ne sont ni véridiques, ni substantielles, elles sont semblables à une illusion. Mais tout comme l’illusion d’un poison a le pouvoir de nuire, les phénomènes perçus à travers des affects sont comme des illusions susceptibles de nuire, s’ils ne sont pas maîtrisés par des moyens salvifiques (S. upāya). Même si [les phénomènes] sont maîtrisés, [les madhyamika] font toujours à des actes bénéfiques. Attribuant ainsi une substantialité (S. dravya-sat) à la vérité superficielle, ils affirment des actes à accomplir et à éviter. A cet égard, ils sont comme ceux qui affirment l’existence substantielle (S. dravya-sat) des actes à entreprendre, même en présence du reflet d’un serpent. Dans ce système, des quatre types d’existence, ils réfutent ce qu’ils appellent « la vérité ultime ». Mais ils utilisent le concept de « vérité superficielle » ainsi que de « l'existence nominale » (T. btags su yod pa S. prajñapti-sat). [448] 3. Le troisième exemple correspond au kriyatantra (T. bya ba rgyud) et au yogatantra exteriorisé (T. rnal ‘byor phyi pa rgyud). Puisque les phénomènes des apparences sont semblables à une illusion, ils n’ont aucune substance. Bienque dépourvus d’erreurs et de défauts, à cause de nos peurs du passé, nous sommes incapables de les utiliser. Mais nous en sommes capables par le biais d'un héros (S. vira) autre que nous.[7] C’est comme si, tout en sachant que le reflet du serpent ne comporte aucun danger (T. skyon), on serait incapable de toucher même [le reflet]. Des quatre types d’existence, ce système fait appel à l’existence ultime ainsi qu'à la vérité substantielle dans la vérité superficielle, qu’il réfute, tout en affirmant l’existence nominale dans la vérité superficielle. Hormis l’affirmation du système à deux vérités communes, pour les adeptes de ce système, la vérité superficielle n’a pas de substance. Ils ont quelque peu acquis la première vue de l’identité, celle qui accède à l’indissociabilité de la vérité ultime et la vérité superficielle. 4. Le quatrième exemple correspond à la vue du mahāyoga intériorisé. Les adeptes de ce système font l’expérience directe du caractère illusoire des phénomènes, perçus à travers des affects, et ainsi mettent en œuvre rapidement la vue de l’identité [des deux vérités] en adoptant une ascèse surnaturelle (T. rmad du byung ba’i spyod pa S. adbhutacarya). Ils sont à cet égard semblable à ceux qui se remettent rapidement de leur première frayeur à la vue du reflet du serpent, et qui ensuite grâce à leur engagement spirituel (S. vrata) pourront le saisir. [449] Comme dans ce système, la saisie d’une vérité nominale a en grande partie cessé, leurs adeptes se sont aussi quasiment débarrassés de l'adhérence à la vue qui fait une distinction entre les deux vérités. Ils ont ainsi acquis le niveau intermédiaire de la compréhension de l’indissociabilité des deux vérités. 5. Le cinquième exemple correspond à la vue de la Grande complétude. Comme [les phénomènes] sont semblables à une illusion, on comprend que le rejet, la peur, la volonté de les saisir concrètement etc. sont dictés par l’attribution d’une réalité (qu’ils n’ont pas). Les adeptes de ce système comprennent qu’il n’y a pas lieu d’agir face à ce qui est semblable une illusion. [Les phénomènes] n’ont rien qui doit être arrêté ou accompli. Dans ce système, toute notion (T. blo), qui est [de toute façon] semblable à une illusion, est accédée (T. chud pa S. praveśa). Faisant l’expérience directe de l’absence d'attributs dans les apparences, ils sont débarrassés de la moindre saisie d’une réalité, quelle soit ultime ou superficielle, ainsi que de toute vue/doctrine (T. lta ba). Par convention (T. tha snyad du S. vyavahāratas), cela est appelé "la Pensée de l’identité des vues de l’indissociabilité des vérités ultime et superficielle".[8] Comme les apparences réelles (T. mngon par snang ba) sont produites par les imprégnations sous-conscientes (S. vāsanā), on ne s’en débarasse pas (T. mi ldog go) facilement. En revanche, il est aisé de sortir de leur réification (T. zhen pa S. līna, adhyavasāna), qui est produite par une représentation erronée éphémère. Cette réification est produite par la uploads/Philosophie/ rongzompa-le-reflet-du-serpent-noir.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager