Revue des Études Grecques Par où commencer ? Parménide, 137 a7-b4 Alain Séguy-D
Revue des Études Grecques Par où commencer ? Parménide, 137 a7-b4 Alain Séguy-Duclot Citer ce document / Cite this document : Séguy-Duclot Alain. Par où commencer ? Parménide, 137 a7-b4. In: Revue des Études Grecques, tome 122, fascicule 1, Janvier-juin 2009. pp. 15-60; doi : 10.3406/reg.2009.7941 http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_2009_num_122_1_7941 Document généré le 27/05/2016 REG tome 122 (2009/1), 15-60. 1 D. O’Brien, «∞∞Einai copulatif et existentiel dans le Parménide de Platon∞∞» in La Revue des Études grecques, janvier-juin 2005, Les Belles Lettres, p. 229-245. 2 Cette interprétation est développée dans mon commentaire exhaustif du Parménide de Platon∞∞: A. Séguy-Duclot, Le Parménide de Platon ou le jeu des hypothèses, Belin, 1998. 3 Cf. «∞∞Einai copulatif et existentiel dans le Parménide de Platon, réponse à une objection∞∞» dans La Revue des Études grecques, janvier-juin 2007, Les Belles Lettres, p. 265-280. Alain SÉGUY-DUCLOT PAR OÙ COMMENCER∞∞? Parménide, 137 a7-b4 L’interprétation du début de la dialectique du Parménide de Platon proposée récemment par Denis O’Brien vient conforter le modèle interprétatif standard du Parménide, lequel estime – avec Francis M. Cornford, et contre Auguste Diès – que sa dialectique compte huit hypothèses. L’auteur du présent article montre en quoi l’interprétation de D. O’Brien n’est pas recevable et, plus largement, en quoi le modèle standard est erroné. Du même coup, il confirme la cohérence structurelle et argumentative du Parménide mise au jour dans son interprétation de 1998∞∞: le Parmé nide est loin d’être un échec dialectique comme le pré- tendent les tenants du modèle standard. Un dialogue interprétatif Dans un premier article sur le Parménide de Platon1, Denis O’Brien tentait de réfuter l’existence d’un jeu graphique dans l’énoncé des hypothèses du Parménide de Platon, ce jeu servant d’indice concordant pour mon interprétation de la structure du dialogue2. Dans un premier article de réponse, je levai toutes les objections qui m’étaient ainsi adressées3. 16 ALAIN SÉGUY-DUCLOT [REG, 122 Or, dans un second article sur le Parménide4, D. O’Brien revient à la charge en proposant une nouvelle interprétation du début de la dia- lectique du Parménide, qui s’oppose à la mienne, et en annexe duquel il formule de nouvelles objections contre l’existence du jeu graphique dans l’énoncé des hypothèses. Je vais montrer ici que l’interprétation par D. O’Brien de la structure de la dialectique du Parménide n’est pas recevable à plus d’un titre – ce qui engagera une critique du modèle interprétatif de F.M. Corn- ford sur lequel s’appuie D. O’Brien5 – et, d’autre part, que les nouvelles objections formulées par D. O’Brien contre le jeu graphique peuvent également toutes être levées. Avant de considérer avec attention l’analyse de D. O’Brien, rappelons brièvement le contexte immédiat de la dialectique des hypothèses dans le dialogue, et la difficulté qu’elle pose à l’interprétation. Le programme de 136 a5-b1 Le Parménide commence par une longue introduction6 dans laquelle le vieux Parménide se livre à une critique systématique de la théorie des idées défendue par le jeune Socrate, à la suite de quoi ce dernier se voit confronté à un dilemme7. Ou bien il admet l’être des idées, mais il se heurte à des difficultés considérables concernant, notam- ment, la question de la participation. Ou bien il renonce à poser l’être des idées, mais il ne peut plus penser d’identité ou d’unité dans l’être. 4 Denis D. O’Brien, «∞∞“L’hypothèse” de Parménide (Platon, Parménide, 137 a7-b4)∞∞», in Revue des Études Grecques, tome 120, 2007/2, p. 414-480. 5 Ce modèle devenu standard est défendu depuis par la quasi-totalité des interprètes du Parménide. Reprenant la distinction énoncée par Cornford (Plato and Parmenides, 1939, préface, p. V-X) entre interprétation «∞∞logique∞∞» et interprétation «∞∞métaphysique∞∞» du dia- logue, cette dernière ayant été illustrée par les néo-platoniciens, les tenants du modèle standard accusent leurs adversaires de «∞∞néo-platonisme∞∞», ce qui suffirait, selon eux, à invalider leur lecture. Une approche aussi caricaturale n’est évidemment pas tenable∞∞: nous verrons en quoi Cornford, d’une part, s’appuie quand cela l’arrange sur Proclus et sur Wundt – dont la lecture est pourtant considérée par Cornford comme «∞∞métaphysique∞∞» (ibid., p. 131) – d’autre part, ne respecte pas toujours la logique du texte grec. En fait, il faut rejeter à la fois l’interprétation néo-platonicienne et l’interprétation de Cornford, ce qui ne signifie pas, évidemment, que tout soit à rejeter dans ces deux modèles. J’ajoute que mon interprétation, opposée au modèle standard, n’est pas pour autant «∞∞métaphysique∞∞» au sens de Cornford∞∞: je ne comprends l’un de la première hypothèse ni sur un mode mystique, ni sur un mode théologique. J’irais au contraire jusqu’à dire que le vocabulaire théologique n’a chez Platon qu’un sens mythique, à savoir qu’il est destiné aux lecteurs se situant à un niveau dialectique inférieur. La finalité du Parménide m’apparaît avant tout comme une critique, au sens de limitation rationnelle, de l’ontologie dogmatique, inspirée à la fois par la critique sophistique de l’ontologie parménidienne et par la découverte des nombres irrationnels. 6 Cf. Platon, Parménide, 126 a-135 c. 7 Cf. 135 a-135 e. 2009] PAR OÙ COMMENCER ? 17 La dialectique devient alors impossible, et c’est le triomphe de la sophis- tique. Pour aider Socrate, Parménide lui propose de suivre un entraînement dialectique8, qui n’est pas sans rappeler la structure des double-dits sophistiques mais prend une forme beaucoup plus complexe. Il s’agit de considérer une idée particulière, et d’explorer toutes les voies possibles de son rapport à l’être et au non-être, selon une structure en arborescence∞∞: Soit donc, si tu veux, expliqua Parménide, l’hypothèse même que posait Zénon∞∞: si la pluralité est (ei polla esti), chercher ce qui en doit résulter et pour les plusieurs par rapport à eux-mêmes et par rapport à l’un, et pour l’un par rapport à soi et par rapport aux plusieurs∞∞; si la pluralité n’est pas (ei mê esti polla), examiner encore ce qui en résultera et pour l’un et pour les plusieurs soit par rapport à eux-mêmes soit par rapport les uns aux autres (136 a5-b1) On considère d’abord son être ou son non-être, puis, dans chaque cas, on considère l’idée ou son opposée, par rapport à elle-même ou relativement à l’idée opposée. Ainsi, pour une idée donnée, on doit considérer huit questions. Si l’on remplace dans le texte de Platon l’idée de pluralité par la variable x, et si l’on respecte l’ordre indiqué qui est d’étudier toute idée (x puis non-x) d’abord par rapport à soi puis par rapport à son contraire, on obtient la série ordonnée des huit ques- tions suivantes∞∞: 1. Si x est, qu’en est-il de x par rapport à x∞∞? 2. Si x est, qu’en est-il de x par rapport à non-x∞∞? 3. Si x est, qu’en est-il de non-x par rapport à non-x∞∞? 4. Si x est, qu’en est-il de non-x par rapport à x∞∞? 5. Si x n’est pas, qu’en est-il de x par rapport à x∞∞? 6. Si x n’est pas, qu’en est-il de x par rapport à non-x∞∞? 7. Si x n’est pas, qu’en est-il de non-x par rapport à non-x∞∞? 8. Si x n’est pas, qu’en est-il de non-x par rapport à x∞∞? Cette combinatoire permet l’étude systématique du rapport à l’être de chaque idée∞∞: l’idée de pluralité, mais aussi celles de ressemblance, de dissemblance, de mouvement, de repos, etc. Naturellement, Socrate, qui est encore jeune, ne se sent pas de taille à mener une telle dialectique. C’est donc Parménide qui va devoir donner l’exemple. Il s’y résout en choisissant, d’une part, de travailler sur l’un (hen), et, d’autre part, de prendre un nouvel interlocuteur∞∞: le 8 Cf. 135 c-136 c. 18 ALAIN SÉGUY-DUCLOT [REG, 122 9 Cf. 136 d-137 c. Il n’est pas indifférent de noter ici que l’argument principal d’Aristote (le disciple cette fois) contre la théorie des idées de Platon, le troisième homme, est déjà présent dans l’introduction du Parménide (132 a-b). De fait, la dialectique du Parménide se situe au-delà des objections d’Aristote. C’est pourquoi on peut légitimement se deman- der si le choix d’un tel nom par Platon, pour désigner l’interlocuteur de Parménide, est véritablement le fait du hasard. 10 Paris, Belles Lettres, 1923. 11 137 a7-b4. 12 Op. cit. 2007, p. 419, tout comme je le faisais en 1998 dans mon commentaire du Parménide (A. Séguy-Duclot, op. cit., p. 36-37), mais D. O’Brien ne me cite pas. 13 D. O’Brien, op. cit., 2007, p. 419, note 9. jeune Aristote, simple homonyme du disciple de Platon9. La dialecti- que semble ainsi pouvoir commencer avec la première hypothèse for- mulée en 137 c4∞∞; sa structure s’obtient en remplaçant dans notre série précédente la variable x par un (hen). Un, substantif ou prédicat∞∞? Jusque-là, tout semble aller le plus facilement du monde… s’il n’y avait une petite difficulté. En 137 a7-8, Parménide se demande par où il va commencer. Ici, la lecture la plus naturelle du texte grec conduit à la traduction suivante, établie par A. Diès10∞∞: Par où donc commencerons-nous et que poserons-nous comme première hypo- thèse∞∞? N’êtes-vous point d’avis plutôt, le parti une fois pris de jouer à ce jeu laborieux, que je commence par moi-même et par ma propre hypothèse et que, posant de l’un en uploads/Philosophie/ seguy-duclot-alain-par-ou-commencer-parmenide-137-a7-b4 1 .pdf
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- Publié le Aoû 16, 2022
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