Éléments pour une théorie pragmatique de la communication Michael Totschnig1 1
Éléments pour une théorie pragmatique de la communication Michael Totschnig1 1 Introduction. Dans ce texte je propose des réflexions autour du concept de la ``pragmatique'' ou plutôt autour de plusieurs concepts ``pragmatiques'' que j'essaie d'explorer avec la pensée de quatre philosophes, Peirce, Austin2, Habermas et Foucault. Le choix de ces auteurs et l'intention de les regrouper autour de ce concept peut surprendre, car, à l'exception de Habermas, ils ne l'utilisent palabras directement. L'expression de pragmatique est née dans le cadre de la linguistique, plus précisément c'est Morris qui l'utilise pour la première fois et la définit comme l'étude de la relation des signes à leurs interprétants3. Il utilise le terme ``interprétant'' dans le sens que Peirce lui a donné et que j'exposerai dans le chapitre 4. Le fait que Morris construit la définition de la pragmatique à partir des concepts peirciens est un élément d'un ensemble de phénomènes qui devrait justifier ma volonté de lier les auteurs en question dans une perspective pragmatique: C'est à chaque fois une rencontre entre philosophie du langage d'une part et sémiotique et linguistique d'autre part qui rend compte en grande partie de la richesse des théories traitées dans cet essai. La pragmatique comme recherche sur l'usage qu'on fait des signes (les énoncés dans leurs contextes vivants, l'agir communicationnel) a également inspiré la sociologie. L'enjeu de mon travail n'est pas tant de présenter la pragmatique comme discipline linguistique, mais bien plutôt de décrire les influences réciproques entre pragmatique linguistique, philosophie du langage et certaines des sciences humaines et sociales qui s'intéressent aux phénomènes de la communication. Il me semble que ce sont les influences réciproques entre philosophie, linguistique et sociologie qui rendent la pragmatique aussi féconde. J'essaierai de montrer comment chez Peirce nous trouvons une théorie des signes qui se conjugue avec une logique nécessairement sociale de la science et comment Austin inaugure une théorie institutionnelle du langage, comment la théorie habermasienne de l'agir communicationnel interprète le rôle social et épistémologique des actes de langages, comment chez Foucault la construction du savoir dans le discours interagit avec la construction du pouvoir dans la société. 1 9 août 2000 présenté dans le cadre de l'examen de synthèse du Doctorat conjoint en communication Université du Québec à Montréal Université de Montréal Concordia University 2 Le chapitre sur Austin traite également de la prolongation et de l'interprétation que ses travaux ont trouvés dans ceux de Searle 3 Selon [15] 4 Dans l'exposé qui suit, je résume la position qui se trouve dans le texte du ``Cours''. Il est bien connu que ce texte qui n'a pas été rédigé par Saussure lui-même, mais par ses élèves à partir des notes de cours, ne donne qu'une image approximative d'une pensée qui était plus nuancée et contenait déjà en germes beaucoup des critiques qui ont été formulées ultérieurement par rapport à une image orthodoxe du saussurianisme. Avant de décrire les apports respectifs des quatre auteurs, j'essaierai de présenter brièvement les enjeux de la pragmatique comme discipline linguistique et sémiotique. Ceci devrait nous servir comme point de repère dans la présentation des conceptions plus philosophiques qui suivent. Mon but n'est pas tant de proposer une synthèse que de chercher un fil conducteur qui relierait les théories présentées. Ce fil sera nécessairement contingent au vu de la multiplicité des parcours qu'on pourra prendre à travers des pensées si complexes. J'essaie de le justifier dans le dessein premièrement de recueillir des éléments pertinents pour une théorie de la communication, et deuxièmement de les utiliser dans le tissage de mon projet de recherche qui consiste à décrire comment les paramètres pragmatiques de la communication changent à l'épreuve d'un nouveau média, en l'occurrence dans la communication médiatisée par ordinateur (CMO). C'est pourquoi ce travail se termine, après un résumé des concepts pragmatiques les plus importants pour la théorie de la communication, sur une esquisse des voies selon lesquelles ces concepts seront mis à l'oeuvre dans ma future recherche. 2 La pragmatique comme discipline de la sémiotique et de la linguistique. 2.1 La pragmatique comme linguistique de la parole. La sémiotique - comme science des signes - et la linguistique - comme une sémiotique particulière traitant du langage humain - construisent des modèles qui expliquent comment les signes peuvent être formés et agencés. Le courant dominant de la linguistique au 20e siècle, s'est constitué à partir du ``Cours de Linguistique Générale'' de Ferdinand de Saussure [22]. Pour situer la pragmatique, comme entreprise née à la limite du structuralisme linguistique à inspiration saussurienne, il me faut caractériser la dichotomie centrale dans l'architecture conceptuelle de Saussure, celle entre ``langue'' et ``parole''. En effet, l'enjeu premier du ``Cours'' n'est pas moindre que celui de donner un statut scientifique à l'étude du langage humain en tant que système de signes. Saussure répond à une conception linguistique très courante à son époque qui consistait à ne reconnaître que les faits linguistiques bruts, les événements langagiers, comme matière première pour le linguiste; cette conception était incapable de donner raison de l'existence des langues comme systèmes collectifs. Saussure propose de distinguer deux faces du langage, d'une part la ``langue'', qui est la partie systémique, abstraite et sociale, d'autre part la parole en tant qu'exercice concret et individuel. La linguistique, même si elle a besoin des actes de parole pour établir et vérifier ses théories, ne considère ceux-ci que comme phénomènes contingents et se dédie exclusivement à établir le système de la langue5. La langue, étant défini comme un système contraignant pour les actes de parole, la linguistique se trouve dans la difficulté d'expliquer son évolution. Saussure reconnaît que c'est la ``masse parlante'' qui assure en même temps la stabilité d'une langue dans l'espace et dans le temps et induit les changements qui peuvent transformer tout le système. Paradoxalement Saussure postule, à côté de la linguistique synchronique qui décrit un système indépendamment du temps, une linguistique diachronique, qui, elle, 5 Plusieurs linguistes ont après Saussure proposé des terminologies différentes pour le même rapport entre la partie systémique et la partie empirique du langage, chaque fois avec l'intention de modifier son fonctionnement à l'intérieur de la théorie linguistique: schème/usage (Hjelmslev), code/message (Jakobson), compétence/performance (Chomsky). 2 étudie les changements causés par les mêmes actes de parole qui échappent par principe à la linguistique. Ce qui caractérise le pôle systémique du langage, la langue, est un agencement de signes, chaque signe étant défini comme l'articulation d'un signifiant et d'un signifié. Cette dernière paire de concepts a probablement été presque autant fondamentale que celle de langue/parole. Comme celle-ci elle a également eu une visée fondamentalement critique par rapport à une conception répandue du signe langagier. Saussure s'oppose à la conception du langage comme nomenclature, c'est-à-dire à la théorie qui voit dans le signe un rapport direct entre un mot (comme unité sonore) et un objet de la réalité. Pour Saussure le signe est fondé uniquement dans la langue, c'est-à-dire que le signifiant n'est pas le son réel, mais une ``image acoustique'' en tant que classe abstraite de sons, le signifié n'est pas un objet, mais un concept. Le rapport entre signifiant et signifié est décrit par Saussure comme à la fois arbitraire et dépendant de son existence dans le système, c'est-à-dire que le signe est essentiellement défini par sa place dans des séries d'autres signes6. La terminologie de Saussure qui est au fondement de la linguistique moderne. Nous allons voir maintenant comment, en reconnaissant les contradictions inhérentes à ces dichotomies, la pragmatique élargit la perspective saussurienne. Même si on doit reconnaître le mérite de Saussure d'avoir insisté sur le fait que la langue est un phénomène social, c'est justement l'identité entre la partie systémique et le social qui pose problème. Comme le montre Jakobson dans [13]: l'opposition entre langue et parole est orthogonale au rapport individu/société. D'une part, c'est dans chaque individu que le langage se concrétise, non pas uniquement en tant que parole, mais en tant que langue, et non pas uniquement comme une langue monolithique, mais comme une langue composite qu'il est constamment en train de reconstruire avec toutes les interactions langagières. D'autre part les événements de parole dans leur déviance des systèmes codifiés ne dépendent pas purement d'une liberté individuelle, mais sont intégrés à des microcosmes sociaux multiples. Jakobson souligne que la conception saussurienne du langage réduit la nature dialogique du langage à une sorte de monologue. Le langage est artificiellement découpé en une partie codifiée, prévisible et monologique et une partie anarchique, indescriptible et dialogique7. Dans la théorie saussurienne, le signe est l'élément central de la langue, l'unité qui articule une image acoustique à un concept. En isolant la signification dans la langue et la référence dans la parole, leur rapport reste incompréhensible. Un signe dont la signification est établi dans le système de la lange ne trouve une référence que dans l'énonciation. C'est uniquement en reconnaissant l'influence de la parole sur la langue qu'on peut élucider ce phénomène. Nous avons identifié ici les deux problématiques à partir desquelles va se développer la pragmatique. Elle vise à expliquer comment la parole est plus qu'une pure uploads/Philosophie/elements-pour-une-theorie-pragmatique-de-la.pdf
Documents similaires
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/zLQ1EACvxoxWEDKEXvynQaK0OWEo3s253CHrS3xDwk7dViTmrcBAH1pTsUAsGykIhEloMfL63roTletRD1yBiW7h.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/ME54BS7DQebwDorn75CF7kNaqLjXZOTwxDZkZZhNwfnepz7dmh1EoJgWnQ1g91D71s66QBWgLciV2TfhtZE8O4oi.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/cyVzkVAjRxDHHhwrZtxdJOwquSg9DXosMSXy1WOM3hhAHEP2UEjNRrYLm0y6MEdU2Y8xa3VxGr2vnMUch2m9YHUe.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/y5MctOER7uKWcBR1vgmvj9ZLpZxe3YS3Lpk7lsbK3wwOAKHz583504TSCMuAZcQhQCOeM77uaTuzoXk1gI2ysQTt.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/r4SuynA3hrqHPq1GrOn2pg26cy31hRnRqTKlPjO0sa5DvxDCXRlQjVlDcciugCdW70BFaELsiFxE5z3FJJCk3hyh.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/BvhHZaVDqiOD8OjFD4Le6E37sn4UulQUg4W9IwYaIJRAxbf8zr8PmqfolUEyzMAZiXxgIQykQ8m2qZWWcLB1NYvw.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/SGx3Fye4Fy8qSVeJj0pkXNH1rFxsWdZfHvEfJXsKbzkIBPnz0DYg226MAKq5oKPOlkjcUweNPLC7AuWaGZW4ppOO.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/L9R482qMHmMy8LXm8TTsI8bzdS34hUr2qeOzzFtE4tL1mH5bAHB8cdRgbkThGqOvRjeWDwq9xw34sC2vgy87Rgse.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/reGV7S02VYMQywyJoqU3wESCjf8JiUiAvWromhku5ZfZw2hd7VPwmTHrZ7te3koNigYffFi688hl6K0dmchmYRor.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/omgOYBdnR0qoTea2I8p2zBQoiL3RU0VyCGRgknY1D8CIife1r4D6XdNfpcvfxuu0QUtTWLjP5Se6Y2VKNUXBgwxk.png)
-
17
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 21, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2207MB