1 SOCIOLOGIE AFRICAINE Paradigme, Valeur et Communication 2 3 En hommage au pen
1 SOCIOLOGIE AFRICAINE Paradigme, Valeur et Communication 2 3 En hommage au penseur de la complexité Edgar Morin « A mon avis, nous sommes à une époque de changement de paradigme : les paradigmes, ce sont les principes des principes, les quelques notions maîtresses, qui contrôlent les esprits, qui commandent les théories, sans qu’on en soit conscient nous-mêmes. » « Les sciences classiques furent partagées entre les deux obsessions, celle de l’unité et celle de la variété, chacune correspondant à un certain type d’esprit, et du reste leur antagonisme fut productif en permettant de développer en même temps la diversification et l’unification du savoir, sans toutefois pouvoir aboutir à la conception de l’unitas multiplex. Edgar Morin en collaboration avec Jean- Luois Le Moigne, L’intelligence de la complexité, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 40 et 118. Collection Cognition & Formation. 4 5 Point de départ LE PROJET D’UNE SOCIOLOGIE AFRICAINE « Cela peut chagriner beaucoup de reconnaître que s’il existe des sociologues, la sociologie n’existe pas encore. Mais d’autres, dont moi-même, puisent de l’ardeur à l’idée que la sociologie doit naître. » Edgar Morin, Sociologie, 2e édition revue et augmentée par l’auteur, Fayard, 1994, p.141. Collection Points. Série Essais. Cet essai présente une somme de réflexions sur ce que nous pensons que la sociologie africaine doit être, en considération des grandes avancées de la science de notre temps. Le présent essai s’attache surtout à orienter les jeunes générations vers une méthode d’accès à la Connaissance de la connaissance, telle qu’entrevue dans l’édifice intellectuel du grand penseur de la complexité, Edgar Morin. De fait, l’œuvre de ce savant a profondément inspiré la sortie du présent ouvrage. Nous entendons, en revanche, dépasser le cadre conceptuel et épistémologique de sa pensée pour restaurer les bases d’un Universisme philosophique africain, indispensable à une réconciliation de l’Homme avec sa nature cosmique. 6 Dans un Hors-série, Le Monde1 a rendu un hommage appuyé au savant ; des penseurs de haut vol sont intervenus pour lui dire, de son vivant, l’estime qu’ils lui portent. Il s’agit notamment du philosophe Régis Debray, de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie, du sociologue Alain Touraine, pour ne citer que ceux-là. On en saisit la raison : le savant s’est investi à renouveler la portée de la pensée de notre époque en radicalisant l’objet de la méthode, à la suite de Emile Durkheim, sociologue de renom du tournant du XXè siècle et père des règles de la méthode sociologique. Edgar Morin mérite d’être mieux connu dans nos universités en raison de la portée opératoire de son projet de civilisation. Ce n’est pas un hasard si nous avons choisi, nous aussi, d’en répercuter l’écho. En stigmatisant avec audace et caractère le bon vieux réflexe de l’Occident dictant son paradigme contre natures et cultures des autres peuples, il vient renforcer, à la suite de Cheikh Anta Diop, les voies d’un nouvel humanisme planétaire. La pensée complexe ruine désormais tout l’édifice du sociologiquement correct qui reposait sur la partition des sociétés humaines en entités distinctes, catégorisées et indépendantes, parafées à une hiérarchisation des savoirs réduits au calcul froid des traditions capitalistes. Avec Edgar Morin, il y a donc une chance pour l’Homme moderne du Nord de subir une mutation spirituelle et d’y rejoindre l’Homme du Sud adossé à ses traditions proches de la nature, sous-exploitées pour des raisons culturelles. La sociologie africaine doit pouvoir contribuer au renouvellement de la pensée : 1 « Une vie, une œuvre », Edgar Morin. 7 « Aujourd’hui, écrit le Prince Dika-Akwa, le chercheur africain, le chercheur occidental de l’époque de la décolonisation ne sauraient avoir la prétention d’avancer la science dans la connaissance de l’Afrique, s’ils continuent à ignorer l’expérience propre à l’Afrique, les racines socio-épistémologiques de son savoir spécifique, la logique interne qui sous-tend le développement de ses sociétés et l’indissociabilité des phases "traditionnelle" et "moderne" de celle-ci.2 » Cette « expérience propre à l’Afrique » mérite un examen plus approfondi de ses bases ontologiques. Celles- ci font encore défaut dans les recherches et dévoilent, pour ainsi dire, un déficit de rigueur que l’observe dans les tâches d’encadrement et de performation des étudiants. Il est temps que la recherche en Afrique noire sorte de sa torpeur sociologique. Il y a quelques années, nous sommes intervenus dans ce sens en soulignant les causes de tant d’errances épistémologiques. Elles sont les suivantes : - le handicap psychosociologique né de la (trop) grande influence des présupposés épistémologiques de la rationalité dominante ; - la forte parcellisation des disciplines universitaires et la difficulté conjointe d’une herméneutique du savoir africain ; - le conformisme analytique des recherches universitaires souvent empreintes de mandarinat intellectuel ; 2 Prince Dika-Akwa nya Bonambela, Problèmes de l’anthropologie et de l’histoire africaines, Yaoundé, Clé, 1982, p.362. 8 - la crétinisation d’une sociologie appauvrie par la méconnaissance d’une histoire et d’une culture africaines authentiques, objectives et cohérentes. 3» Nous n’avons pas changé d’avis. Nous pensons que la question de la méthode d’accès à la rationalité africaine impose une révision du cadre « classique » de la démarche analytique. La grande problématique est donc la suivante : quel système de visées cognitives et normatives peut permettre d’appréhender les phénomènes sociaux avec le maximum d’efficience ? Peut-on en confronter la dynamique introspective à la science de la complexité qui se fait ? En engageant une telle problématique, nous mettons en conflit (salutaire) la domination cognitive de la logique « classique » et la sollicitation eschatologique du sacré africain (finalité universelle). Il est impératif, même du point de vue de la simple analyse, de resituer un tel débat au niveau des logiques de construction paradigmatique (occidentale et africaine) et celui du sens à donner à leur affrontement séculaire. Un examen de leurs séquences organisatrices, sur les plans à la fois anthropologique, historique, ontologique et religieux s’impose. D’où nos préoccupations suivantes : - Quel serait le paradigme cognitif et expérimental (unité des savoirs) de la sociologie africaine ? - Quel serait la Valeur de ce paradigme en considération de la science qui se fait dans un monde de surcroît planétarisé ? 3 Mbog Bassong, Les fondements de l’Etat de droit en Afrique précoloniale, L’Harmattan, Paris, 2007, p. 14. 9 - Comment cette Valeur a-t-elle traversé les âges ? À quoi pourrait-elle servir dans le cadre des nouvelles technologies de l’information, en particulier, celui de la communication sur Internet ? Ces interrogations correspondent aussi aux trois chapitres qui suivent. - Chapitre I : Le paradigme de la connaissance (L’unitas multiplex) ; - Chapitre II : La Valeur du paradigme (Le Principe d’Ordre universel) ; - Chapitre III : La communication de la Valeur (L’intersubjectivité de la connaissance). Nous établirons pour chacun de ces chapitres, les problématiques y afférentes et les différences essentielles qui opposent la pensée africaine à la pensée dominante. Nous montrerons aussi en quoi les solutions proposées par l’Afrique sont pertinentes face à la faillite des modèles théoriques dominants et leur corollaire, la montée conjointe des périls sociaux, politiques, économiques et écosystémiques qui hantent désormais la conscience politique mondiale. 10 11 Chapitre I LE PARADIGME DE LA CONNAISSANCE (L’UNITAS MULTIPLEX) « Le paradigme que produit une culture est en même temps le paradigme que reproduit cette culture. » Edgar Morin, Jean-Louis Le Moigne, L’intelligence de la complexité, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 74. Collection Cognition & Formation. Comment et pourquoi envisager les fondements d’une sociologie africaine (1) ? Où trouver le matériau pertinent pour une telle entreprise (2) ? Peut-on, à partir d’une méthode, dégager une forme de savoir commun aux Africains (le paradigme de la connaissance) (3) ? Quelles sont les catégories scientifiques qui en gouvernent l’ordre des raisons (4) ? Dans cette optique, quelle place accorder à une sociologie de la connaissance (5) et comment en éprouver l’ordre des raisons en vue de bâtir une nouvelle culture-monde ? Ces interrogations constituent l’échine dorsale de ce chapitre. Pour y répondre, nous prenons appui sur la science qui se fait par le biais de la méthode de la Complexité, entre Ordre et Désordre. L’enjeu, rappelons-le à toutes fins utiles, c’est la maîtrise des fondements de toute connaissance en vue de la formalisation d’un sillon de recherche cognitif et normatif (Valeur), susceptible d’être partagé par toutes les cultures de la postmodernité. 12 De la sorte, la maîtrise de ces fondements devient le moyen par lequel on peut appréhender davantage, pensons-nous, le sens de l’enracinement des savoirs dans la socioculture, mais aussi, l’enjeu d’un dépassement des particularismes aux fins de bâtir la civilisation de demain. 1. LA QUESTION DES FONDEMENTS Cette question ne date pas d’aujourd’hui. Le philosophe Louis Althusser nous éclaire : « Tout le monde sait que sans théorie scientifique correspondante, il ne peut exister de pratique scientifique, c’est-à-dire de pratique produisant des connaissances scientifiques nouvelles. Toute science repose donc sur sa théorie propre. » (…) « Toute vraie science doit fonder son propre commencement. 4» La production des connaissances qui se veulent scientifiques repose, pour ainsi dire, sur la théorie. La sociologie africaine n’échappe pas à cette règle. 1.1 LE PROBLEME Nous ne pouvons plus uploads/Philosophie/ sociologie-africaine-pdf.pdf
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- Publié le Jul 12, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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