Théories et Connaissances Médicales Par Dr Sonia Harzallah Debbabi 1. Introduct
Théories et Connaissances Médicales Par Dr Sonia Harzallah Debbabi 1. Introduction : Une théorie scientifique est un outil pour produire de la connaissance. Elle présente une capacité explicative et prévisionnelle. Les théories scientifiques peuvent avoir des structures conceptuelles différentes ce qui a été à l’origine de débats sur la scientificité de certaines disciplines. Selon l’approche classique, La théorie est un ensemble de phrases mathématiques décrivant des relations entre des entités théoriques non directement observables. Cette perspective identifie la théorie scientifique avec un calcul axiomatique dans lequel les termes théorétiques sont interprétés d’une manière observationnelle par des règles de correspondance logiques. Cette approche pose un double problème. D’abord un problème épistémique en raison de l’interprétation des inobservables par des observables (la traduction du vocabulaire théorique dans le vocabulaire observationnel). Ensuite un problème pratique en raison de l’échec des tentatives d’axiomatisation et d’abstraction obligeant à laisser dans l’ombre une grande partie de la science biologique (la biologie expérimentale). L’approche sémantique de la théorie des sciences est moins contraignante, dans le sens où la théorie décrit les propriétés d’un ensemble de modèles possibles auxquels appartiennent les phénomènes observables. Un modèle scientifique est représentatif d’un phénomène naturel dans une section particulière de l’univers pour une période donnée. Tout ce qui réalise ou satisfait les énoncés posant ces propriétés appartient au modèle. Le terme de ‘modèle’ est très utilisé en biologie : on parle de modèle DE (représentatif) et de modèle POUR (explicatif). L’adoption de la conception sémantique permet de montrer que les théories biologiques existent et qu’elles sont particulières et différentes des théories physiques. Y’a-t-il une théorie scientifique spécifique en médecine ? Quelle connaissance permet-elle ? Peut–on affirmer que la médecine est une science ? Pour y répondre nous commencerons par présenter ce qu’est une théorie en médecine, ensuite nous aborderons la complexité de la connaissance médicale pour conclure par une tentative de réponse à la dichotomie entre art et science. 2. Théories en biomédecine 2.1. Spécificités Dans les sciences du vivant, et en biomédecine en particulier, les scientifiques doivent faire face à de nombreux problèmes : 1 - Les théories universelles portant sur tout le règne du vivant sont exceptionnelles (théorie de l’évolution et les théories biochimiques). En médecine et en biologie, les théories, en général, couvrent un ensemble limité de vivants (ex : théorie de la sélection clonale, théorie du code génétique). On parle de « théorie de moyenne portée ». Ces théories ne sont pas universelles, décrivent une classe de modèles, décrivent des modèles polytypiques, se constituent sur la base de modèles prototypiques, décrivent des processus séquentiels, décrivent des processus inter-niveaux, et sont interdisciplinaires. Ce sont des caractéristiques qui leur permettent de répondre à la variabilité interindividuelle. Dans cette conception la science médicale est considérée comme un secteur particulier de la biologie expérimentale. 2- Certains philosophes proposent d’établir des relations hiérarchiques entres des modèles théoriques. Ils estiment que des modèles restreints peuvent être intégrés dans des modèles de plus en plus larges jusqu’à atteindre un seuil de généralisation d’un niveau théorique permettant d’apporter des affirmations contrefactuelles (prévoir ce qui se passerait si… sans l’avoir observé au préalable). Ex : les modèles d’autorégulation qui représentent les systèmes homéostatiques de l’organisme et réunissent tous les sous-modèles de régulation endocrine (ovarienne, thyroïdienne, etc.). 3- D’autres estiment que la science médicale utilise les théories mais n’en produit pas. Les connaissances médicales sont constituées de modèles d’explication qui n’atteignent pas de niveau de généralité suffisante pour donner une théorie. Certains vont jusqu’à considérer que même la partie biologique de la science médicale procède non pas avec des théories mais avec un « patchwork d’explications causales ». La biologie ne serait qu’une application de la physique, de la chimie et de l’histoire naturelle causale 4- Un des problèmes récurrents de la médecine est la prévalence des prédicats flous. Ces prédicats définissent des classes auxquelles les individus appartiennent plus ou moins (avec un degré d’appartenance entre 0 et1). C’est le cas des signes cliniques (ictère, douleur, insomnie, fièvre, etc.). La visée d’une théorie (l’ensemble des entités auxquelles on pense pouvoir l’appliquer à un moment donné) peut évoluer au cours de la vie de la théorie. (C’est le cas des syndromes lorsqu’ils sont décrits avant que l’établissement de leur étiologie ne permette de les caractériser comme maladie). 5- La nosologie (ensemble des catégories des maladies et de leurs caractéristiques de classement) est conçue comme une théorie et une description d’une entité nosologique est une définition théorique (une maladie théorique dont la définition dépasse les symptômes observables pour s’étendre au niveau des mécanismes physiopathologique). 2.2. La théorie médicale Un moyen de dépasser le problème épistémologique de l’approche classique serait de considérer la connaissance en médecine (biomédecine et clinique) comme constituée d’affirmations empiriques applicables au monde expérimental. Une affirmation empirique Est considérée comme une mini-théorie. Les mini-théories peuvent s’étendre et s’interconnecter pour former des réseaux théoriques. La théorie est un outil pour acquérir la connaissance. Son application produit des affirmations qui seront des connaissances. Elle est créée par des individus ou groupes dans une période particulière de l’histoire, évolue avec le temps de façon à ce que des générations de scientifiques développent et modifient son noyau et ses applications et meurt quand elle est remplacée par une meilleure structure conceptuelle. Durant sa vie, une théorie est utilisée comme un outil conceptuel pour acquérir de la connaissance. La médecine est l’articulation des sciences fondamentales et des sciences cliniques appliquées au moment de la rencontre thérapeutique. Or chacune des sciences est elle-même pluridisciplinaire et chaque discipline dispose le plus souvent de plusieurs théories. Cette pluralité est en fait dynamique dans le sens où chaque science a sa vie propre et au sein d’une même science, les théories peuvent collaborer, se compléter ou s’affronter. La même chose survient entre les différentes disciplines. Il en résulte que la connaissance ou le savoir produit est en perpétuelle actualisation en fonction de la relation dynamique des théories qui le produisent. C’est une connaissance en construction et reconstruction induisant une certaine fragilité. Il y a un savoir mais pas définitif et pas nécessaire1. 3. La connaissance médicale L’histoire de la médecine révèle que l’évolution de la connaissance médicale n’est pas linéaire. Des pratiques, des faits et des informations qui ont été rejetés à des moments donnés, peuvent ultérieurement dans des contextes différents réapparaitre et permettre le développement de nouvelles pratiques valides. La médecine comme forme de savoir et d’acquisition du savoir a dû s’affirmer dès l’antiquité contre le discours profane. Hippocrate est le premier à signifier la nécessité de sortir la médecine de l’empirisme et la rendre scientifique et rationnelle en appliquant une méthodologie 1 Il suffit de regarder l’histoire de la médecine pour s’en rendre compte. C’est le cas des postulats raisonnée à la pratique. Le patient était considéré comme un tout, un microcosme fonctionnant dans un macrocosme (holisme). La médecine hippocratique a été la première à considérer un principe vital2 qui organise et rend la vie possible tout en étant à la racine de la santé et de la maladie. Les phénomènes sont expliqués en suivant une méthode rationnelle (rationalisme) par des termes naturalistes. Hippocrate a ainsi institué une théorie déterminant la santé comme étant un équilibre des quatre humeurs : sang, lymphe, bile jaune et bile noire ; établissant ainsi les premières règles d’homéostasie. La pratique médicale d’Hippocrate reposait sur le triangle : patient-maladie-médecin, les médecins devant appartenir à une communauté liée par serment d’Hippocrate. La connaissance médicale est à la fois acquise des pairs et des maitres qui transmettent leur savoir théorique, leur technicité et leur savoir-faire, mais est également acquise directement auprès du malade, par l’accumulation de l’expérience de la pratique quotidienne. Galien a perpétué cette tradition en conjuguant l’évidence sensible à l’évidence logique pour pouvoir raisonner sur l’invisible. Cette tradition a été à l’origine de la médecine occidentale contemporaine en fondant ses bases : une approche rationnelle pour expliquer les maladies, une pratique médicale intégrant à la fois une technicité et une prise en compte de l’expérience de la maladie par le patient, une profession médicale devant respecter des devoirs et suivre une éthique. Il a fallu attendre la Renaissance pour avoir l’identification entre voir et connaître grâce à l’exploration du corps humain par la pratique de la dissection. Aujourd’hui, l’outil des mathématiques probabilistes, couplé à la médecine expérimentale, joue un rôle important dans ce qui est aujourd’hui appelé la médecine par les preuves autorisant l’acquisition d’un savoir médical issu de l’articulation de plusieurs sources informatives. Ce savoir médical qui tend à être rationnel et scientifique, évolue, s’enrichit et se corrige. La connaissance médicale n’est jamais achevée et définitive. Cette évolution perpétuelle du savoir médical impose au praticien une double obligation : celle d’un soin basé sur le savoir et celle d’une recherche du savoir. Cette connaissance est renouvelée par les avancées des différentes disciplines qui fondent les sciences médicales. C’est donc une connaissance plurielle, qui se construit et qui s’établit dans des communautés d’experts. Ce savoir permet de connaître une maladie, d’une part, en expliquant ses causes, et d’autre part, en uploads/Philosophie/ theories-et-connaissances-medicales-2019-2020.pdf
Documents similaires










-
21
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 16, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1362MB