Tous les matins du monde, Pascal Quignard Le refus de la comédie sociale. La li
Tous les matins du monde, Pascal Quignard Le refus de la comédie sociale. La liberté liée au refus de l’obéissance : Sainte Colombe refuse de rejoindre la Cour de Versailles malgré l’invitation (pressante) du Roi, formulée par ses émissaires (courtisans). La liberté rejoint le renoncement aux biens matériels : Sainte Colombe renonce à l’attrait de la Cour, à ses richesses et à sa gloire, pour être libre dans sa musique. Introduction Dans TLMDM, Pascal Quignard revient sur l’histoire de deux musiciens célèbres du XVIIe siècle, Sainte Colombe et Marin Marais. Notre extrait : scène opposant Monsieur de Sainte Colombe à deux courtisans envoyés par le roi – Monsieur Caignet et l’abbé Matthieu - . Ceux-ci doivent convaincre le célèbre musicien qui vit retiré à la campagne, de rejoindre la Cour. Sainte Colombe réagit violemment à cette demande, défendant des idéaux de simplicité et d’absolu, face à l’opulence et à l’artificialité, représentée par le monde de la Cour. Mouvement du texte : - Lignes 1 à 12 = le Roi missionne ses courtisans pour faire venir Sainte Colombe à Versailles. Leur arrivée en grand équipage chez le musicien. - Lignes 13 à 25 = le message du Roi et la réponse du musicien - Lignes 26 à 49 = la colère de Sainte Colombe, l’affrontement avec les messagers et la réaction magnanime du Roi. Projet de lecture : Quels sont les idéaux incarnés et défendus par le personnage de Sainte Colombe, dans sa vie comme dans sa musique ? En quoi ces idéaux marquent-ils un rejet définitif de la comédie sociale ? 1. La liberté contre l’obligation sociale A. Echapper aux ordres royaux Monsieur de Sainte Colombe défend un idéal de liberté, dans la mesure où il refuse d’obéir aux ordres royaux. - omniprésence du Roi dans le texte (cf. champ lexical de la royauté : roi X… – carrosse – empereurs et princes – seigneur – cour – palais etc.) - le roi est lié à une idée d’obligation : à la ligne 1 il est mécontent de ne pas « posséder » le musicien, ce qui objectifie l’individu qu’est Sainte Colombe. ; ligne 3 « il doit être obéi », il « renvoie » le carrosse, symbole royal, ligne 4, lequel mène les deux courtisans entourés de « deux officiers », symboles du maintient de l’ordre, ligne 5. - Le Roi est celui a qui revient le dernier mot, ligne 49. Il fait preuve de magnanimité, meilleur moyen de sauver la face devant l’échec des deux émissaires, ligne 49. B. L’individu contre le groupe Sainte Colombe incarne également la liberté dans la mesure où il défend son individualité contre la pression du groupe. - Contraste entre « les musiciens et les poètes » dans le discours de l’abbé Matthieu (l. 13) et la position de SC, illustrant son individualité par rapport au groupe des artistes cherchant la reconnaissance publique et la gloire (comme Marin Marais…). - Anaphore en « je préfère » (l. 22 à 24) + contraste entre pronoms personnels et déterminants possessifs de la première personne VS ceux désignant le Roi et la Cour. - Assimilation de soi-même à la mode « votre fraise est passée de mode », dit l’abbé Matthieu, tandis que SC reprend la métaphore pour montrer son inadaptation au monde courtisan (« C’est moi qui suis passé de mode » + interruption brutale marquée par les points de suspension). C. Le choix de la pauvreté contre l’opulence - L’abbé est caractérisé par l’opulence, l’ostentation : ligne 6, description de sa tenue, énumération ternaire avec gradation dans le nombre de syllabes (7/11/11) et augmentation progressive des C. de nom pour souligner la richesse de sa tenue. - Champ lexical des matières précieuses et rares (satin – dentelles – diamants …), antithétique du champ lexical des animaux de ferme que désigne SC : dindons – poules – poissons – souris. - Richesse et pauvreté opposent drastiquement les personnages de SC et de l’abbé Matthieu. Ligne 8 à 11, le parallélisme de construction les oppose. Les deux cc de lieu en viennent à incarner/symboliser les personnages : la cheminée (= chaleur artificielle) vs le jardin (naturel et simplicité). Les mains de l’abbé sont « couvertes de bagues » (= opulence), celles de SC sont nues (l’image est reprise tout au long du texte), authentiques. Enfin, l’abbé pose ses mains sur une canne luxueuse (bois rouge, pommeau d’argent = les 2 c. du nom soulignant le caractère précieux de l’accessoire), alors que SC s’appuie sur le dossier d’une chaise austère et sans apparat. 2. L’art comme absolu et nom comme vecteur de reconnaissance et de vanité A. La nécessaire reconnaissance de l’art des courtisans - La Cour est un univers de reconnaissance. Dans le discours des deux émissaires royaux, on comprend que le musicien a besoin d’être reconnu pour être un véritable artiste. Utilisation d’un argument d’autorité (« Les musiciens et poètes de l’Antiquité… »). Parallélisme entre les deux sujets doubles, qui met « musiciens et poètes » sur le même plan que « empereurs et princes », sans lesquelles ils ne pourraient exister. - Les émissaires accusent SC de gâcher son talent : « Vous cachez un talent qui vous vient de Notre Seigneur » : ici la référence au Christ est un moyen hypocrite de mettre en œuvre l’oppression du pouvoir royal. L’oxymore « détresse orgueilleuse » (l. 16) est une façon de culpabiliser le musicien. - Le refus de SC de rejoindre l’univers de la Cour est l’objet d’une condamnation à mort, soutenue par la comparaison animalière : « Vous mourrez desséché comme une petite souris au fond de votre cabinet de planches, sans être connu de personne » (+ souris = minuscule). - Au dessèchement de la souris vient s’ajouter l’autre condamnation, à travers la métaphore du ruisseau et de la noyade l. 38, qui forme une antithèse. L’idée de la noyade dans le ruisseau, tout comme la référence à la boue et à la banlieue, fait référence à l’humilité qui caractérise SC et que l’abbé Matthieu veut faire passer pour de l’orgueil. B. La révolte de Sainte Colombe Face aux accusations, SC se révolte avec violence : - champ lexical du hurlement : s’écria – cria encore – hurlant de nouveau etc. - impératifs (« Quittez-moi et ne m’en parlez plus ! », l. 28) – phrases exclamatives dénotant la colère du musicien + interjection « Ah ! », l. 42, au pluriel. - violence physique avec bris de la chaise - extrême pâleur provoquée par la colère : « blanc comme du papier » - notations traduisant la colère : tremblement + « calme effrayant », l. 40 et 45 - comparaison implicite des visiteurs à des porcs, l. 24 C. L’art comme absolu - SC prend parti pour l’art, comme absolu : « votre palais est plus petit qu’une cabane et votre public est moins qu’une personne » : deux comparaisons, l’une positive, l’autre négative (« plus » vs « moins »), chacune comparant deux termes antithétiques, le premier connotant toujours la grandeur et renvoyant à la Cour, le deuxième connotant l’humilité et renvoyant à la personne de SC. Le musicien dénonce la vanité du « palais » et du « public », face à la grandeur de la musique jouée dans une « cabane » (celle qu’il a construite lui-même pour jouer en paix ses créations), pour une seule « personne » (le fantôme de la femme morte de SC). L’art de SC se passe de reconnaissance. - SC ne joue pas de la musique pour être reconnu, glorifié, mais il considère la musique comme un absolu. En cela son art prend une dimension sacrée, quasi religieuse. 3. La critique de l’abbé de Cour vs le sage authentique A. La conception courtisane de la religion L’abbé Matthieu semble obéir au roi plutôt qu’à Dieu. Son allure ne ressemble en rien à la pauvreté évangélique prônée par le Christ à ses apôtres (= « N’emportez rien pour la route, ni sac de voyage, ni vêtement de rechange, ni bâton… », St Matthieu X, 10) : ses doigts sont garnies de bagues et il porte une croix en diamants + canne à pommeau d’argent + carrosse. Son interprétation de l’attitude de SC au travers de la reprise de la parabole des talents est des plus douteuse (cf. l. 16 « Vous cachez un talent qui vous vient de Notre-Seigneur » = donc montrez-vous, et jouissez auprès du roi et de la Cour de votre réputation. Acceptez cette bonne fortune, quitte à devenir vaniteux, orgueilleux, suffisant etc.) B. Sainte Colombe = le vrai sage SC constitue le vrai sage du texte, au contraire de l’abbé Matthieu : - humilité du personnage (préfère vivre dans la pauvreté et la simplicité : cf. l23-24). - Onomastique du nom du musicien : la colombe incarne le Saint Esprit, la troisième personne de la Trinité dans la religion catholique. Madeleine, sa fille = prénom de la pécheresse convertie, symbole d’amour et d’humilité puisqu’elle lave les pieds uploads/Philosophie/ tous-les-matins-du-monde-quignard-commentaire.pdf
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- Publié le Mar 10, 2022
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