1 Vocabulaire de la Somme théologique Marie-Joseph Nicolas OP Somme théologique

1 Vocabulaire de la Somme théologique Marie-Joseph Nicolas OP Somme théologique, Tome 1, Éditions du Cerf, 1984, pp. 94-119. Ce vocabulaire a pour but de donner l’explication des mots techniques qui reviennent à chaque instant dans le cours de la Somme théologique. Il ne s’agit évidemment pas des mots dont le contenu constitue le sujet même de tel ou tel traité. S. Thomas explique lui-même en leur lieu ce qu’il entend par Dieu, création, grâce, union hypostatique, sacrement, etc. Ce qu’il a paru utile d’expliquer en introduction générale, ce sont les mots – principalement philosophiques – qui reviennent partout, à propos des questions les plus diverses. Bien souvent, de tels mots se retrouvent, soit dans le langage usuel, soit dans la langue philosophique moderne, mais avec des glissements et atténuations, quand ce n’est pas des transformations de sens qui leur font perdre la force et le sens propre que leur donnait S. Thomas. Certains d’entre eux, cependant, jouent un rôle si prédominant et si spécialisé dans telle ou telle partie de la théologie que, tout en en donnant l’explication générale, nous indiquons les lieux où ils prennent tout leur sens, par exemple quand nous expliquons : relation, hypostase, substance, etc. Bien entendu, l’explication des mots qu’on peut attendre d’un vocabulaire se borne à leur sens originel, à leur définition et à la diversification de leur emploi. Mais comment éviter qu’à tout instant la pensée même de S. Thomas soit en jeu ? Cependant, il reviendra souvent aux annotateurs d’aller plus loin dans leur interprétation, à l’occasion de leur emploi dans des contextes et pour des problèmes différents. Les mots que ce vocabulaire explique sont signalés de temps à autre dans la traduction française ou les commentaires par un astérisque placé en exposant à droite du mot : abstraction*, ordre*, substance*, etc. Ces mots sont classés par ordre alphabétique. A la fin de l’article, une flèche renvoie à d’autres articles concernant des notions connexes à celle qui vient d’être expliquée. ABSTRACTION, ABSTRAIRE, ABSTRAIT (Abstractio, abstrahere) (Littéralement : retirer de, extraire de) 1. Au sens le plus général – qui est encore celui du langage courant – abstraire consiste à considérer dans un objet un aspect précis en isolant cet aspect par la pensée (en faisant abstraction) de ce qui, pourtant, l’accompagne dans la réalité de l’existence. 2. Dans le langage de S. Thomas, l’abstraction est avant tout l’acte par lequel l’intelligence dégage, de la réalité sensible qui lui est offerte par les sens, l’« intelligible » que celle-ci contient en puissance*, c’est-à-dire la réalité universelle*, qui donne lieu au concept. 3. A partir de cette première abstraction, de cette émergence de l’intelligible dans l’intelligence, on distingue l’abstraction totale de l’abstraction formelle. Par l’abstraction totale, l’intelligence dégage un tout universel de ses sous-multiples particuliers : le genre animal de ses diverses espèces, l’espèce homme des individus en lesquels cette espèce se réalise. Les mots qui désignent la réalité intelligible ainsi dégagée sont encore concrets (l’homme, l’animal), parce que cette abstraction désigne cette réalité comme existant dans des individus. Par l’abstraction formelle l’intelligence considère à part dans un objet ce qui le détermine ou le fait être tel. Par exemple : l’animalité, l’humanité. Les mots qui désignent cet aspect ainsi isolé sont des mots proprement abstraits, parce que ne désignant pas ce qui existe, mais les principes d’intelligibilité de ce qui existe. 4. S. Thomas n’attribue jamais à ce qui est abstrait une existence séparée et distincte. L’universel n’existe que dans le particulier. ➔ Concept – Intellect – Universel. ACCIDENT, ACCIDENTEL (Accidens) 1. Au sens le plus général, l’accident est ce qui survient, ce qui s’ajoute, ce qui arrive (accidit) à un sujet par ailleurs constitué en lui-même. Au sens métaphysique, l’accident est une perfection appartenant à un sujet*, à un être substantiel*. Ce que les modernes appellent, d’une manière plus vague, un attribut (ce qui peut être attribué au sujet dont on parle). 2 2. L’accident n’existe pas en lui-même, mais en ce sujet qu’il fait être de telle ou telle manière sans modifier son essence. « L’accident est plutôt d’un être qu’il n’est un être » (Accidens non est ens sed entis). Ce mode d’existence de l’accident est appelé inhaesio : « l’être de l’accident consiste à inhérer (inhaerere) ». A vrai dire, S. Thomas dit le plus souvent que l’esse de l’accident consiste en inesse, mot qu’il serait trop faible de traduire par « être dans », et qui veut dire en réalité : faire être la substance d’une certaine manière. Aussi bien c’est d’une manière analogique* que l’être est attribué à l’accident. 3. On distingue l’accident propre et nécessaire (propriété d’une substance), qui suit nécessairement la substance – de l’accident contingent sans lequel la substance peut être. 4. En retenant de la notion d’accident ce caractère de contingence, on appellera accidentel tout ce qui arrive à un sujet sans être appelé par son essence. Ainsi dira-t-on de toute existence créée qu’elle est accidentelle. Mais loin d’être un accident de l’essence, l’existence en est l’acte*. S. Thomas a été amené à approfondir le statut métaphysique de l’accident à propos de l’Eucharistie (Dans la IIIe Partie de la Somme, à la Q. 77). ➔ Contingent – Par soi – Propre – Substance. ACTE, ACTUALITÉ, ACTUATION (Actus, actualitas, actuatio) Dans le langage de S. Thomas, le sens ontologique du mot est premier, nécessairement présupposé au sens psychologique et moral, qui est beaucoup plus courant aujourd’hui, et d’ailleurs largement employé aussi dans la Somme théologique (l’acte humain est la matière même de la IIe Partie de la Somme). 1. Acte (du latin actus) veut traduire l’énergéia (action, activité) ou l’entéléchéia (entéléchie) d’Aristote. Il exprime dans tous les ordres de réalité l’être lui-même en ce qu’il a d’achevé, ou plutôt l’achèvement même de l’être. La notion d’acte ne peut se comprendre que corrélativement à celle de puissance*, la puissance étant ce qui appelle un achèvement. C’est l’expérience du fait que les êtres peuvent devenir autres qu’ils ne sont qui donne lieu aux concepts d’acte et de puissance. On appelle donc actualité l’état d’un être qui est en acte, et actuation le passage d’une puissance à l’acte, ce passage n’étant pas autre chose que le devenir : ce qui peut être quelque chose, mais ne l’est pas, l’est en puissance ; ce qui l’est déjà, l’est en acte. Tout acte, qui est l’accomplissement d’une puissance, est limité par elle. 2. On appelle acte premier l’acte par lequel l’être est purement et simplement (acte d’exister*), ou selon telle ou telle forme* ou essence. On appelle acte second l’action* ou opération, c’est-à-dire le surplus d’être par lequel l’acte se communique. Parmi les actions et opérations le terme d’acte est réservé d’une manière privilégiée aux actes conscients et volontaires, autrement dit aux actes humains. 3. L’Acte pur est l’Être qui n’est pas la réalisation d’une potentialité, l’actuation d’une puissance, mais purement et simplement l’Acte d’être, subsistant par soi*. Rien ne le limitant, il a en lui-même la totalité de l’Être et de la Réalité. En lui l’Être et l’Action s’identifient absolument, de même aussi l’Être et la Pensée, l’Être et l’Amour. Mais cela est développé largement dans les vingt-quatre premières questions de la première Partie de la Somme théologique. ➔ Action – Être – Forme – Puissance. ACTION, AGENT, AGIR (Actio, agens, agere) Le concept et le mot même d’acte ou d’actualité proviennent de l’expérience de l’activité de l’être, c’est-à- dire de son action. Mais celle-ci n’est que l’acte second de l’être, c’est l’existence qui en est l’acte premier, celui qui le constitue dans sa réalité surgissant avant toute action quoique en vue de l’action. 1. Prise dans son sens le plus général, l’action s’identifie avec l’opération. Le mot « opération », à la différence du premier, n’est guère passé dans le langage philosophique moderne. Dans le langage de S. Thomas au contraire, le mot operatio, surtout employé au singulier, lié au mot d’opus ou operatum (œuvre, chose faite), indique l’action en tant qu’expression d’une nature, d’un sujet, accomplissement de l’être et réalisation de sa fin, en un mot en tant qu’acte second de l’être. Le mot action sera au contraire préféré pour la caractériser comme accident* advenant à la substance. (On parle du prédicament* action, mais non pas du prédicament opération.) 3 En effet, c’est entendue dans cette généralité que l’action ou opération est dite être la fin même de l’être, autrement dit, l’être n’est accompli que lorsqu’il opère ou agit. 2. S. Thomas distingue constamment le sujet*, qui accomplit l’action et qui est celui-là même qui existe, du principe formel qui est la forme* selon laquelle il agit (qui est aussi la forme selon laquelle il est). Cependant, il conçoit des principes immédiats de chacun des types spécifiques et distincts d’action dont un être est capable et il les appelle puissances* au sens actif du mot (les dunameis ou énergies d’Aristote). La puissance est une qualification de la nature qui la détermine comme principe de tel ou tel type d’action. Dans le langage moderne, il se uploads/Philosophie/ vocabulaire-st.pdf

  • 19
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager