Revue théologique de Louvain Sociologie et religion. Pour clarifier les relatio
Revue théologique de Louvain Sociologie et religion. Pour clarifier les relations entre sociologues et théologiens Liliane Voyé Citer ce document / Cite this document : Voyé Liliane. Sociologie et religion. Pour clarifier les relations entre sociologues et théologiens. In: Revue théologique de Louvain, 10ᵉ année, fasc. 3, 1979. pp. 305-323; doi : https://doi.org/10.3406/thlou.1979.1712 https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1979_num_10_3_1712 Fichier pdf généré le 29/03/2018 Sociologie et religion Pour clarifier les relations entre sociologues et théologiens Ces quelques pages voudraient proposer une réflexion concernant les rapports existant ou pouvant exister entre l'analyse sociologique d'une part, la religion d'autre part. Pour aborder cette question, où sociologues et théologiens se rencontrent, nous allons procéder en deux temps. Nous désirons d'abord, en vue d'écarter un certain nombre de malentendus courants et tenaces, présenter une mise au point visant à corriger diverses perceptions de la sociologie, qui donnent une vue erronée de sa fonction et de sa démarche : nous préciserons ainsi la portée de cette science ainsi que les divers niveaux d'analyse et d'intervention qui peuvent être les siens. Tout en nous mouvant ici dans le seul domaine de la sociologie, nous sommes convaincue de rencontrer, ce faisant, un malaise ressenti par maints théologiens. Ensuite, nous illustrerons cette brève présentation théorique à partir de deux exemples de recherche portant sur des phénomènes et comportements religieux que nous avons analysés récemment, et qui montrent de quel apport peut être la sociologie tant pour aider à une réflexion sur la signification sociale et culturelle des divers éléments du champ religieux et spécifiquement chrétien, que pour aider l'Église dans sa pratique et dans sa rencontre des hommes et de leur vécu1. 1 Sur les thèmes étudiés dans cet article, on peut lire : R. Aron, De la condition historique du sociologue, Paris, Gallimard, 1971 ; P. L. Berger, Invitation to Sociology : A Humanistic Perspective, Penguin Books, 1963; P. Bourdieu, J.-Cl. Chamboredon, J.-Cl. Passeron, Le métier de sociologue, Paris, Mouton, 1973; P. Bourdieu, Position et condition de classe, dans Archives européennes de sociologie, vol. VII, 1966, p. 201-229; J. Dhooge, Socio-religious Research as a Professional Rôle in the Institutional Church, dans Social Compass, XVI/2, p. 227-240; J. Dhooge, De christelijke dimensie van een verplegingsinrichting, Bruxelles, Hospitalia, 1975, p. 7-26; L. Goldmann, Épistémologie des sciences humaines, dans J. Piaget, Logique et connaissance scientifique, Paris, Gallimard, 1967; T. S. Simey, Social Science and Social Purpose, Londres, Constable, 1968; J. Remy & L. Voyé, Église et partis. Le champ religieux peut-il s'organiser à la manière du champ politique?, dans Lumen Vitae, vol. XXVIII, 1973, n° 4, p. 609-616; L. Voyê, Usage social du concept de critère objectif. Rôle du sociologue, dans Recherches sociologiques, vol. IV, 1973, n° 1 ; L. Voyé, Sociologie du geste religieux, Bruxelles, Vie ouvrière, 1973; J. Remy, L. Voyê, É. Servais, Produire ou reproduire, Bruxelles, Vie ouvrière, 1978. 306 L. VOYÉ I. Intérêt, utilisation et limites de l'analyse sociologique Nous aurions pu aussi bien donner pour titre à ce qui suit: «la sociologie : de la description à l'interprétation et de l'interprétation à l'intervention». Trop souvent - et en particulier par les différents média - la sociologie se voit assimilée et réduite soit à de quelconques opérations statistiques plus ou moins élaborées, soit à la présentation de résultats d'enquêtes de divers types dont les plus connues sont sans doute les enquêtes d'opinion, que celles-ci portent, par exemple, sur les types de consommation, sur l'attitude vis-à-vis des jeunes, du racisme ou de la religion, ou bien encore qu'elles prolifèrent en période préélectorale pour tenter - vainement d'ailleurs bien souvent ! - de prévoir les scores réalises par les partis et les candidats en présence. Souvent aussi la sociologie est regardée avec méfiance, notamment par des institutions majeures dans nos sociétés comme l'Église et l'État, dans la mesure où celles-ci voient en elle un instrument de démobilisation sinon parfois même de destruction, à partir de la critique qu'elle opère et qui l'amène à démonter des mécanismes sociaux et à mettre en évidence le processus de genèse et de fonctionnement d'institutions, de pratiques et d'idéologies dont l'efficacité tient parfois précisément à l'amnésie de ce processus. Cette réaction de méfiance, conduisant parfois au rejet pur et simple, est plus fréquente lorsque la sociologie ne se limite pas à décrire une situation donnée, mais propose en outre une explication, une interprétation de cette situation et, éventuellement, à partir de là, suggère des orientations pour l'action. La combinatoire possible de ces différentes phases dans la démarche sociologique renvoie inévitablement à un problème toujours et encore débattu : celui de l'objectivité de la science, ce problème se posant de façon d'autant plus aiguë qu'il est évoqué à propos des sciences humaines et plus particulièrement encore à propos de la sociologie. Celle-ci en effet, parce qu'elle a pour objet le quotidien dans ses dimensions collectives, porte sur des pratiques, des idées, des organisations des groupes que «l'homme de la rue» pense connaître et comprendre dans la mesure où il les vit directement, et que «l'homme du pouvoir» prétend maîtriser et veut préserver et contrôler dans la mesure où, explicitement ou non, il y fonde son pouvoir même et où il y attache son zèle, sa force et son engagement. Cette double inquiétude a donné lieu, dans la sociologie elle-même, à des réactions diverses, sinon contradictoires : que l'on songe, par SOCIOLOGIE ET RELIGION 307 exemple, à Comte qui concevait la sociologie comme une science de l'intervention, une thérapeutique sociale et, à l'inverse, à Weber qui, s'opposant aux théories de l'économie sociale de son époque en Allemagne, affirmait la nécessité de la «Wertfreiheit» de la sociologie, sa nécessité d'être dégagée de toute valeur et de se limiter à constater l'existence des valeurs, à étudier les conditions de leur genèse et leurs conséquences pour l'action, sans s'interroger sur leur caractère bon ou mauvais. Que l'on songe aussi à Mannheim, éminent représentant de la sociologie de la connaissance, qui insiste sur le déterminisme situa- tionnel du sociologue, marqué par le système de valeurs de son milieu et qui espère trouver une solution à ce problème dans le concept de la « Freischwebende Intelligenz»; que l'on pense enfin aux marxistes qui voient dans les valeurs des propositions qui, présentées comme des absolus devant rallier l'ensemble d'une société, mettent en réalité celle-ci au service d'un groupe donné - ces marxistes voulant alors substituer à une explication en termes de valeurs une explication en termes de contradictions de structures. On le voit : les diverses tendances sociologiques elles-mêmes ne réussissent pas à se mettre d'accord lorsqu'il s'agit de passer au niveau de l'explication des phénomènes sociaux. Convient-il, à partir de là, d'accorder à une sociologie interprétative moins de crédit qu'à la médecine qui, par exemple, en matière de dépistage et de traitement du cancer, voit s'affronter diverses écoles allant de la chimiothérapie à la chirurgie en passant par la radiothérapie?... Quelle que soit la réponse faite à cette dernière question, il ne fait pas de doute que la polémique soulevée autour de la sociologie existe de façon d'autant plus vive que le travail du sociologue fait généralement entrer celui-ci dans un processus d'échange social avec des «commanditaires» au sens large qui, la plupart du temps, sont les détenteurs directs ou non de l'une ou de l'autre forme de pouvoir ou les responsables de l'une ou l'autre institution ou organisation. Les uns et les autres se sentent en effet impliqués dans l'objet de la recherche demandée au sociologue et plus encore sans doute dans les résultats auxquels celui-ci va aboutir et qui peuvent mettre en question leur propre analyse de la situation, les interprétations qu'ils en font et les conséquences qu'ils en tirent pour leur pratique. Ainsi, par exemple, les militants d'une organisation ouvrière risquent-ils de se rebiffer si une analyse sociologique, qu'ils ont par ailleurs demandée, révèle que les membres de la base sont plus préoccupés de voir réduire leur temps 308 L. VOYÉ de travail et élever leur niveau de revenu que d'obtenir la participation dans la gestion, voire l'autogestion de leur entreprise. De tels résultats qui révèlent une distorsion importante entre les objectifs de la base et ceux des militants et qui, dès lors, peuvent aider à orienter une action - ne serait-ce que dans la mesure où ils mettent fin à cette cécité entretenant l'illusion de l'identité de vue - de tels résultats ne risquent- ils pas, au moins dans une première réaction, d'être «mal reçus» par les commanditaires, lesquels manifesteront dès lors leur scepticisme quant à l'objectivité de la recherche et à la pertinence de ses résultats, ceux-ci ne coïncidant pas avec leurs propres attentes et menaçant ainsi de les amener à se mettre eux-mêmes en question tant dans leur engagement que dans leur action. La sociologie se verra alors fréquemment accusée d'être démobilisante et de n'offrir que des éléments de critique négative. Si, dans l'exemple qui vient d'être évoqué, le jugement porté sur la sociologie tend à taxer celle-ci de «droitière» et de «conservatrice», dans la mesure où la recherche débouche en quelque sorte sur un cautionnement de la société uploads/Philosophie/ voye-teologia-y-sociologia.pdf
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- Publié le Mar 07, 2022
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