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HAL Id: hal-02950819 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02950819 Submitted on 21 Sep 2021 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Copyright L’expulsion des philosophes de 93-94 p.C. Philosophie et sociabilité aristocratique dans la Rome des Flaviens Clément Bady To cite this version: Clément Bady. L’expulsion des philosophes de 93-94 p.C. Philosophie et sociabilité aristocratique dans la Rome des Flaviens. Revue des études anciennes, Revue des études anciennes, Université Bordeaux Montaigne, 2020, 122 (1), p. 107-125. hal-02950819 REA, T. 122, 2020, n°1, p. 107 à 125 * Je remercie pour leur relecture et leurs conseils Frédéric Hurlet ainsi que les deux experts anonymes de la REA. Les omissions et les erreurs restent miennes. ** Doctorant en histoire romaine, Université Paris Nanterre, ArScAn (UMR 7041) ; clement.bady@gmail.com. L’EXPULSION DES PHILOSOPHES DE 93-94 P.C. PHILOSOPHIE ET SOCIABILITÉ ARISTOCRATIQUE DANS LA ROME DES FLAVIENS* Clément BADY** Résumé. – – L’expulsion des philosophes de Rome pendant les années 93 et 94 p.C. a soulevé de nombreuses questions quant à sa chronologie, ses cibles ou ses causes. Cette étude recourt aux notions de réseau et de sociabilité afin de comprendre la densité et la superposition des liens interpersonnels unissant des aristocrates romains et grecs dans l’Vrbs. En expulsant ceux qui sont liés d’une manière ou d’une autre à la philosophie, l’empereur affaiblit les réseaux aristocratiques, sans forcément entraîner leur disparition. Ce travail entend montrer que Domitien n’aurait pas tant cherché à chasser les philosophes que la philosophie comme un élément central dans la création et la résilience des réseaux aristocratiques de Rome. Abstract. – Domitian’s A.D. 93-94 expulsion of philosophers from Rome raised numerous questions about its chronology, its targets or its causes. This study uses the notions of network and sociability in order to better understand the density and the superposition of interpersonal relationships between Roman and Greek aristocrats in the city of Rome. With the expulsion of those who were somehow linked to philosophy, the emperor weakens aristocratic networks without necessarily causing their disappearance. This paper aims to show that it is not so much the philosophers themselves that Domitian sought to exclude as philosophy as a central element in regard to creation and resilience among aristocratic networks in Rome Mots-clés. – Domitien, Pline le Jeune, Plutarque, Rome, philosophie, sociabilité, aristocratie, réseau. Keywords. – Domitian, Pliny the Younger, Plutarch, Rome, philosophy, sociability, aristocracy, network. 108 clement bady Parmi les écrits que Suétone attribue à Auguste, les Hortationes ad philosophiam donnent l’impression d’un prince bienveillant envers la philosophie et soucieux d’en encourager la pratique au sein de l’aristocratie 1. Cette image, en partie idéalisée, ne peut que contraster avec celle que le biographe des Césars laisse de Domitien et des dernières années de son principat dépeintes comme un âge de défiance envers la philosophie et surtout envers les philosophes. Il est possible d’identifier au moins trois raisons à cela. Premièrement, l’hostilité relativement unanime des sources littéraires au sujet de Domitien ont fait de ce dernier, parfois au prix de topoi, un mauvais prince, sinon un tyran 2. Deuxièmement, les auteurs contemporains de son principat, en particulier Tacite et Pline le Jeune, ont composé leurs écrits à charge contre Domitien après son exécution et cela dans un contexte mémoriel troublé. En effet, le règne de Nerva a été vu comme le moment d’un compromis aristocratique entre la réhabilitation des victimes des dernières années du principat de Domitien et le refus de s’acharner sur les complices du prince assassiné 3. Troisièmement, les condamnations à mort et à l’exil d’aristocrates, qui ont eu lieu sous Domitien, ont pu concerner, de près ou de loin, des individus qui revendiquaient une identité, un mode de vie ou des pratiques philosophiques. L’expulsion des philosophes de Rome, qui s’est déroulée vers 93-94 p.C., a fait couler beaucoup d’encre. Les commentateurs y voyaient la confirmation de l’évolution « tyrannique » du pouvoir de Domitien. Bien souvent, ceux-ci ne prenaient pas en considération que les mesures d’expulsion « des mages et des sages », pour reprendre l’heureuse formule de Yann Rivière, avaient aussi leurs propres logiques 4. De plus, l’expulsion de 93-94, malgré les problèmes de chronologie et de périmètre qu’elle pose, a été étroitement associée à une crise aristocratique plus globale, au sein de laquelle des représentants de grandes familles, telles que les Iunii ou les Helvidii, ont été condamnés à mort ou à l’exil par Domitien. Or ces aristocrates avaient également la particularité de prôner un idéal de vertus politique et philosophique, qui a pu entrer en dissonance avec les pratiques de pouvoir du dernier prince flavien. Notre perspective n’est pas de refaire l’histoire des doctrines philosophiques sur le bon prince ou sur le bon gouvernement, mais plutôt de mieux comprendre le rôle socialisant de la philosophie entre les élites grecques et les aristocrates romains dans la Rome des Flaviens. Le choix d’une temporalité réduite – la crise de 93-94 – et la prise en compte d’acteurs concernés à des degrés divers par les mesures coercitives de Domitien permettent de voir en situation le fonctionnement de réseaux aristocratiques et d’en saisir les solidarités internes et externes. Aussi, cette étude 1. Suét., Aug., 85.1. 2. Sur l’ambiguïté des sources littéraires de l’époque flavienne, voir B. W. Jones, The Emperor Domitian, London 1992, p. 124-125 et Fr. Hurlet, « Sources and Evidence » dans A. Zissos éd., A Companion to the Flavian Age of Imperial Rome, Chichester 2016, p. 17-24. Sur la figure de Domitien comme « anti-modèle », voir A. Gangloff, Pouvoir impérial et vertus philosophiques. L’évolution de la figure du bon prince sous le Haut‑Empire, Leyde 2019, p. 146-149. 3. A. Gangloff, op. cit., p. 161. 4. Voir l’article très complet de Y. Rivière, « L’exil des mages et des sages. Un empire sans philosophes ? (Ier siècle ap. J.-C.) » dans P. Vesperini éd., Philosophari. Usages romains des savoirs grecs sous la République et sous l’Empire, Paris 2017, p. 265-352. l’expulsion des philosophes de 93-94 p.c. ... 109 entend démontrer que l’expulsion des philosophes prononcée par Domitien ne vise pas les philosophes eux-mêmes mais plutôt la philosophie comme un élément intervenant dans la création et la résilience des réseaux aristocratiques de l’Vrbs. Après une présentation des enjeux historiographiques et historiques de l’expulsion de 93-94 p.C., les mécanismes de résilience des réseaux aristocratiques seront examinés à travers deux exemples d’interventions de Pline le Jeune en faveur d’acteurs concernés par cette crise : le philosophe Artémidore et la famille de Q. Iunius Arulenus Rusticus. Enfin, la présence à Rome de Plutarque vers 92-93 p.C. et son départ de la ville permettront de déterminer les contours et les ressorts d’une sociabilité aristocratique en partie fondée sur des pratiques et des valeurs philosophiques. I. – DE L’HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE À L’HISTOIRE DE L’EXPULSION DES PHILOSOPHES L’histoire de la philosophie a longtemps été écrite du point de vue des doctrines et des contenus, du point de vue des écoles et des généalogies de pensée qui en découlent 5. Cette histoire accordait peu d’importance à la dimension historique des usages et des pratiques philosophiques, ces derniers étant envisagés comme de quasi invariants historiques 6. Ces trois dernières décennies, un renouvellement majeur dans l’appréhension historique et sociologique de la philosophie est venu des approches en termes de réseau et d’espace. L’ouvrage collectif Philosophy in History : Essays on the Historiography of Philosophy, publié en 1984, proclamait la dimension historique de la philosophie et la discontinuité de ses pratiques à travers le temps, lesquelles ne sont détachées ni de contextes sociaux, ni d’institutions de savoir 7. Dans une autre perspective, celle de l’histoire comparée, Randall Collins essayait de concilier « une théorie globale du changement intellectuel », allant de l’Antiquité jusqu’au XXe siècle, avec « une analyse empirique fondée sur l’étude intensive des interactions singulières » 8. Le « réseau » philosophique se définirait alors comme une configuration sociale et historiquement située de 5. Voir M. Frede, « Doxographie, historiographie philosophique et historiographie historique de la philosophie », Revue de Métaphysique et de Morale 97, 1992, p. 311-325. 6. Voir S. Van Damme, À toutes voiles vers la vérité. Une autre histoire de la philosophie au temps des Lumières, Paris 2014, p. 7-18. Dans cet ouvrage, Stéphane Van Damme propose une histoire sociale de la philosophie, dans laquelle il montre la difficulté qu’il existe à délimiter la notion même de philosophie au temps des Lumières et à définir ce qu’est « être philosophe » aux XVIIe et XVIIIe siècles. Pour une synthèse éclairante sur les différentes traditions et approches historiographiques de l’histoire de la philosophie, nous renvoyons le lecteur à l’épilogue (p. 269-300). Cette partie de l’ouvrage constitue un uploads/Philosophie/bady-l-x27-expulsion-des-philosophes-de-93-94-p-c-2020.pdf
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- Publié le Mai 07, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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