VI. Il Medioevo e la «storia della metafisica» «Quaestio», 1 (2001), 379-406 Ol

VI. Il Medioevo e la «storia della metafisica» «Quaestio», 1 (2001), 379-406 Olivier Boulnois Heidegger, l’ontothéologie et les structures médiévales de la métaphysique L’un des concepts les plus remarquables développés par Heidegger est celui d’onto-théologie. Selon ce concept, la métaphysique possède une «constitution»: son essence détermine son histoire conformément à sa structure. – Celle-ci est- elle universelle, sans exception, infalsifiable? – Remarquons d’abord qu’il n’est pas sûr, pour une théorie, qu’être infalsifiable soit une qualité. Si elle prétendait tout expliquer, cette formule risquerait d’être aussi indémontrable et totalitaire que l’interprétation psychanalytique ou marxiste de l’existence. Le concept d’ontothéologie est-il donc une critique conceptuelle, ou l’indice d’un soupçon généralisé portant sur tout discours métaphysique? Est-il destiné à dépasser une crise de la philosophie première, ou à la mettre en cause au nom d’une déter- mination antérieure et anonyme? Je souhaite dans cette étude tester cette hypothèse générale sur les diverses métaphysiques qui se sont déployées concrètement dans l’histoire, et notamment sur la pensée médiévale, où s’enracine le concept moderne de métaphysique. – Mais ici, la question se complique du fait que Heidegger, philosophe-historien, a aussi interprété des métaphysiques précises. Pour le Moyen-Age, pensons es- sentiellement à l’oeuvre de Thomas d’Aquin, à celle de Scot, d’Eckhart. Trouve- t-on une confirmation ou une esquisse du concept d’onto-théo-logie dans l’in- terprétation heideggérienne de leurs métaphysiques? Et cette interprétation se voit-elle à son tour confirmée par notre lecture des oeuvres? Pour aborder cette question, nous devons alors demander: 1. Existe-t-il une seule structure de la métaphysique? La métaphysique, comme discipline et comme complexe de questions, prend-elle toujours la structure d’une onto-théo-logie? 2. Cette struc- ture s’applique-t-elle aux métaphysiques médiévales comme un genre à ses espèces? Les métaphysiques, comme textes historiquement accessibles, cor- respondent-elles à l’essence de la métaphysique, telle que Heidegger la décrit? 3. Le concept d’onto-théo-logie admet-il certaines limites, ou du moins, faut-il le compliquer d’autres critères plus précis? Doit-on historiciser ce schéma? Et en l’historicisant, ne faut-il pas: a. le relativiser (le délimiter); b. le compliquer? 380 Olivier Boulnois I. L’essence de la métaphysique et sa structure ontothéologique Que signife le concept d’onto-théo-logie? Avant d’employer le terme, Heidegger a déjà signalé la difficulté qu’il expri- me. Il connaît parfaitement l’articulation entre metaphysica generalis et meta- physica specialis, au moins depuis sa lecture de Heimsoeth et de Wundt, cités dans Kant et le problème de la métaphysique. Dès le cours sur Kant, en 1929, il identifie explicitement metaphysica specialis et théologie, portant sur le «sum- mum ens», metaphysica generalis et ontologie, portant sur l’«ens commune», dé- signant ainsi le «concept de l’Ecole» (Schulbegriff)1, et il nomme le problème: «on voit apparaître un curieux dédoublement dans la détermination de l’essen- ce de la «philosophie première». Celle-ci est aussi bien «“connaissance de l’étant en tant qu’étant” (o£n h©ı oçn) que connaissance de la région la plus éminente de l’étant (timiåtaton génov), à partir de laquelle se détermine l’étant en totalité (kaqólou). Cette double caractéristique de la pråth filosofía n’implique pas deux ordres d’idées foncièrement différents et indépendants; mais, d’autre part, on ne saurait non plus éliminer ni même affaiblir l’un de ces ordres au profit de l’autre; on ne doit pas davantage ramener cette apparente dualité à l’unité. Il s’agit plutôt d’ex- pliquer les sources de cette apparente dualité (Zwiespältigkeit) et la nature de l’inter- dépendance (Zusammengehörigkeit) des deux déterminations à partir du problème di- recteur d’une ’philosophie première’ de l’étant. Cette tâche est d’autant plus pressan- te que ce dédoublement n’apparaît pas seulement chez Aristote, mais régit de part en part le problème de l’être depuis les débuts de la philosophie antique»2. Heidegger a élaboré le concept d’onto-théo-logie pour nommer et élucider cette difficulté. D’emblée, il refuse les analyses génétiques inspirées de Jaeger et Na- torp, selon lesquelles les divers livres de la Métaphysique d’Aristote correspon- dent à une évolution chronologique de leur auteur et de ses positions philoso- phiques. Il congédie d’emblée toutes les contingences historiques, y compris la genèse du corpus aristotélicien, et entend en donner une explication unitaire – c’est pourquoi son explication doit également être différenciée. Mais Heidegger a proposé trois interprétations successives du concept, qui se recoupent mais ne correspondent pas exactement. I.1. En premier lieu, l’ontothéologie désigne une interprétation de l’être com- me Dieu. Dans le cadre de son interprétation de la Phénoménologie de l’Esprit 1 M. HEIDEGGER, Kant und das Problem der Metaphysik, GA Bd. 3, hrsg v. F.-W. von Herrmann, Klos- termann, Frankfurt am Main, 9; trad. fr. par A. de Waelhens et W. Biemel, Kant et le problème de la mé- taphysique, Gallimard, Paris 1981, 69. Wundt et Heimsoeth sont cités § 1, 6, n. 4; trad. fr. 66, n.1. 2 HEIDEGGER, Kant und das Problem der Metaphysik, GA Bd. 3, 7-8; trad. fr. 67-68 modifiée. Heidegger, l’ontothéologie et les structures médiévales de la métaphysique 381 en 1930-31, Heidegger applique l’expression à Hegel: le savoir absolu est une onto-théo-logie. L’être compris spéculativement, en tant que médiation, est l’u- nité qui assume toute particularité et surmonte toute contradiction. Il est le coeur logique de l’absolu: «La “réconciliation”, voilà l’étant véritable, l’étant d’après l’être duquel tout étant doit être déterminé dans son être. L’interprétation de l’être saisie spéculativement et ainsi fondée est ontologie, mais de telle manière que l’étant proprement dit (eigentlich) est l’absolu, jeóv. C’est à partir de son être que tout étant et que le lógov sont déterminés. L’interprétation spéculative de l’être est onto-théo-logie. Cette expression ne doit pas signifier simplement que la phi- losophie est orientée vers la théologie, ou même qu’elle en est une au sens du concept – déjà élucidé au début de ce cours – de la théologie spéculative ou rationnelle. Sans doute Hegel, plus tardivement, écrira-t-il lui-même une fois ces lignes: “Car même la philosophie n’a pas d’autre objet que Dieu, et elle est ainsi essentiellement théologie rationnelle, à titre de service divin perpétuel au service de la vérité” [Leçons d’esthé- tique, Iere partie]. Nous savons aussi qu’Aristote établissait déjà la connexion la plus étroite entre la philosophie au sens propre et la qeologikæ e¬pistämh, sans que nous soyons en mesure d’obtenir par voie d’interprétation directe de réels aperçus sur le rapport qui unit la question de l’o£n h©ı o¢n et la question du qeîon. Ce que nous voulons dire par l’expression “ontothéologie”, c’est que la problématique de l’oçn en tant que problématique logique est orientée en première et dernière instan- ce sur le qeóv, qui est alors déjà conçu lui-même “logiquement”. [...] Le “concept”, ici, [est] l’auto-conception absolue du savoir [...]. Comprendre quelque chose de l’essence de Dieu, cela veut dire: comprendre la logicité vraie du logos, et inversement»3. Ce texte appelle une série de remarques: 1. Heidegger écrit onto-théo-logique en articulant le terme en trois parties, ce qui contraste avec la graphie de Kant, qui emploie «onto-théologie» pour dé- signer la preuve ontologique dans la dialectique transcendantale. Par là, il in- siste sur la dimension logique, c’est-à-dire ici, dialectique et spéculative, de l’i- dentification hegelienne de l’être avec Dieu. 2. C’est à propos du savoir absolu de l’absolu, dans la béatitude de la pos- session de soi qui caractérise la vie de l’Esprit divin, que Heidegger introduit le concept d’onto-théo-logie (plus loin: onto-théo-ego-logie, à la suite de la méta- physique moderne de la subjectivité, reprise par l’idéalisme allemand). 3. Cette appellation vient du fait que Hegel accomplit la démarche tradi- tionnelle de l’ontologie, rechercher l’être de l’étant, à partir d’un étant particu- 3 M. HEIDEGGER, Hegels Phänomenologie des Geistes, GA Bd. 32, hrsg. v. I. Görland, Klostermann, Frankfurt am Main 1980, 141-143; trad. fr. par E. Martineau, «La phénomenologie de l’esprit» de Hegel, Gallimard, Paris 1984, 157-159. 382 Olivier Boulnois lier, l’absolu. C’est parce que la pensée de Hegel est une ontologie de l’absolu, une ontologie du divin, qu’elle est une onto-théo-logie. 4. Mais ce que stigmatise Heidegger, ce n’est pas que le divin soit détermi- né à partir de l’être, thèse banale depuis Duns Scot et Suarez. C’est précisément l’inverse, une thèse proprement hegelienne: que l’étant et le logos sont détermi- nés à partir du divin: «C’est à partir de son être que tout étant et que le lógov sont déterminés.» – autrement dit, que le commencement soit déjà un résultat, ou que l’être soit déjà divin, et que le logos soit déjà concept. 5. Par conséquent, Heidegger pourra insister sur une thèse: l’onto-théo-logie hegelienne ne constitue pas une simple théologie rationnelle, une branche de l’ontologie comme la métaphysique spéciale. Car chez Hegel, la théologie dé- termine de fond en comble l’ontologie: «Cette expression ne doit pas signifier simplement que la philosophie est orientée vers la théologie, ou même qu’elle en est une au sens du concept – [...] – de la théologie spéculative ou rationnel- le». – L’onto-théo-logie au sens strict ne se confond pas avec l’onto-théologie au sens kantien, celle qui achève la théologie transcendantale. «Or puisque toutes les preuves purement spéculatives aboutissent à une seule preuve de Dieu, la preuve ontologique, la théologie transcendantale, même si elle a une dimension cosmothéologique [...], est fondamentalement une uploads/Philosophie/boulnois.pdf

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