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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Kathy Sabo et Greg Marc Nielsen Études françaises, vol. 20, n° 1, 1984, p. 74-86. Pour citer la version numérique de cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/036818ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf Document téléchargé le 24 novembre 2009 « Critique dialogique et postmodernisme » Critique dialogique et postmodernisme KATHY SABO et GREG MARC NIELSEN Depuis quelque temps, la critique littéraire et culturelle a témoigné d'un intérêt croissant à l'égard de la problématique bakhtinienne de recherche1. Comme l'ont delà souligné bon nombre de chercheurs, il est plus que nécessaire de réexaminer Bakhtine à la lumière d'un cadre contemporain2. Pourtant, dans une large mesure, de telles recherches semblent aujourd'hui porter sur le carnavalesque et souvent n'attribuent aux autres aspects de la démarche bakhtinienne qu'une valeur périphérique3. À l'encontre de cette tendance, nous nous proposons d'ouvrir une discussion sur le principe dialogique : dans un premier temps par rapport aux processus normatifs de la critique de l'objet culturel en particulier et de l'imaginaire social en général et, ensuite, relativement au roman contemporain en tant que genre littéraire en transformation permanente. 1 Etant donné le rapport étroit entre Bakhtine et ses collaborateurs, tels que PN Medvedev et V N Volochinov, nous entendons aussi les membres du Cercle lorsque nous parlons de Bakhtine 2 Par exemple, David Hayman, «Au-delà de Bakhtine», Poétique, 13, 1973, p 76-94, Linda Hutcheon, «The Carnivalesque and Contemporary Narrative Popular Culture and the Erotic», Revue de l'Université d'Ottawa, 53 1, 1983, p 83-94, M -Pierrette Malcuzynski, «Mikhail Bakhtin and Contemporary Narrative Theory», ibid , p 51-65 3 Voir la bibliographie de recherche en langues non slaves, dans le Bulletin Bakhtine, 1, 1983, 30 p , où l'accent est mis, à part certaines exceptions, sur la recherche carnavalesque 76 Études françaises, 20,1 De ses analyses de Freud, de Saussure, de la théorie linguistique générale et de la prédominance du formalisme dans la théorie littéraire russe, ainsi que dans son Dostoïevski^', Bakhtine développe un mode critique d'analyse fondé sur le principe dialogique qu'il applique à l'analyse littéraire et plus généralement à la critique de l'idéologie5. Quoique nous soyons d'accord avec M. Holquist et A. Belleau lorsqu'ils soulignent que le projet fondamental chez Bakhtine est le roman6, nous sommes convaincus que c'est la critique dialogique qui sert à réunir les diverses ouvertures de sa problématique globale : phénoménologie, sociologie, linguistique, théorie littéraire7. Rien ne nous semble plus fondamental pour la compréhension de l'apport de Bakhtine, plus stimulant pour les nouvelles perspectives de recherche de la critique culturelle qu'une réflexion sur ce mode d'analyse. LA CRITIQUE DIALOGIQUE ET L'OBJET D'ÉTUDE CULTUREL Lorsque nous parlons de dialogue, nous n'entendons pas bien sûr tout simplement un ensemble d'énoncés, l'un suivant l'autre, et constituant un dialogue au sens d'un échange ou d'une conversation entre deux interlocuteurs. Ce type de dialogue n'est que la manifestation superficielle du phénomène dialogique en tant que tel, lequel «dépasse de très loin les relations entre les répliques d'un dialogue formellement produit; il est quasi universel et traverse tout le discours humain [...] d'une façon générale, tout ce qui a un sens et une valeur8». Donc, à la limite, le dialogue implique le signe même, étant donné que la signification, toujours contextuelle, provient de l'interaction entre au moins deux voix. En ce qui concerne la littérature, objet culturel par 4 Ecrits sur le freudisme, Pans, Age d'homme, 1980, le Marxisme et la philosophie du langage, Paris, Minuit, 1978, The Formal Method in Literary Scholarship, Baltimore, Johns Hopkins, 1978, la Poétique de Dostoïevski, Paris, Seuil, 1970 5 Selon Viach Ivanov, l'étude littéraire chez Bakhtine doit être toujours envisagée en tant que courant particulier de «la science [critique] de l'idéologie» Voir son article «The Significance of M M Bakhtin's Ideas on Sign, Utterance, and Dialogue lor Modern Semiotics», dans Semiotics and Structuralism, H Baran, dir , New York, International Arts and Sciences Press, 1974, p 312-313 6 Voir la synopsis d'André Belleau, «Reprise critique du concept de carnavahsation», dans MM Bakhtine, son Cercle, son influence, Kingston, Queen's University, 1983, p 12 7 C'est T Todorov qui réunit les divers aspects de la méthode de Bakhtine sous la désignation «critique dialogique» Voir son texte, «La place de Bakhtine dans l'histoire des idéologies», ibid , p 269-291 8 La Poétique de Dostoïevski, p 77 Critique dialogique et postmodernisme 77 excellence, on peut très schématiquement parler de dialogue tant au niveau de la langue que des idées (hybridation et polyphonie) Le phénorrïène dialogique existerait alors à un nombre indéfini de niveaux, partant de la signification du mot, allant jusqu'au texte entier et même dépassant ses limites pour toucher à ce que nous pouvons appeler le contexte, c'est-à-dire le réseau de rapports socio-discursifs dans lequel le texte s'inscrit — ce que d'autres ont déjà nommé l'intertexte9 II faut retenir un point simple, mais néanmoins essentiel, en ce qui concerne la critique dialogique, elle est foncièrement immanente en ce sens qu'elle est toujours construite à partir de son objet Qu'il s'agisse d'une critique des problématiques dans l'histoire du rire, de la fête, du carnaval, ou encore de la théorie littéraire, la construction de l'objet exige trois procédures interdépendantes la mise en lumière de la relativité de l'approche par l'étude plus ou moins exhaustive de sa position à l'intérieur du champ des discours possibles sur l'objet d'étude, la négation de sa prétention à l'autosuffisance et l'appropriation des éléments positifs dans le cadre critique en voie de construction10 À !'encontre du courant positiviste qui vise à éliminer à la fois les discours alternatifs sur l'objet d'étude, ainsi que les variables intervenant dans la détermination cause-effet, et la position subjective du chercheur lui-même, tout cela en vue de construire une explication ou un modèle prédicatif à la fois verifiable et valable, la critique dialogique, elle, cherche à se situer à l'intérieur du champ des discours possibles qui ont trait à un objet d'étude afin qu'elle puisse être aussi autocritique Elle veut intégrer plutôt qu'éliminer les variables intervenantes, les interprétations alternatives, afin de dissoudre, comme le dit Adorno, «la rigidité de l'objet bloqué ici et maintenant [ ] dans un champ de tension entre les pôles du possible et du réel11» 9 L'idée d'intertexte ou d'intertextuahté en tant que telle ne se trouve pas dans les écrits de Bakhtine mais relève plutôt du mouvement structuraliste français des années soixante Pour un survol de la genèse de l'intertextuahté, voir Marc Angenot, «L'«intertextuahté» enquête sur l'émergence et la diffusion d'un champ notionnel», Revue des sciences humaines, 189, 1983-1, p 121 135 10 C'est la méthode de la «négation concrète» commune à la tradition critique de Marx à Habermas, comme le dit Thomas McCarthy, dans The Critical Theory ofjurgen Habermas, Cambridge, MIT, 1978 À ce sujet, voir aussi l'article de Ray Morrow, «Théorie critique et matérialisme historique Jurgen Habermas», Sociologie et sociétés, 14 2, 1982, p 97-113 11 T W Adorno et al, De Vienne a Francfort, la querelle allemande des sciences sociales, Bruxelles, Éditions Complexe, 1979, p 60 78 Études françaises, 20,1 Tel est l'intérêt — au sens que donne à ce mot la Théorie critique12 — sur lequel se fonde la critique dialogique; c'est dans cette optique que Bakhtine parle de l'aspect positif du romantisme : son historicisme, la reconnaissance du temps et du devenir13. «La réalité perd son statisme, son naturalisme, sa dispersion [...] le futur commence à y pénétrer sous la forme de tendance de possibilité, d'anticipation.» Le rapport de l'aspect historique au réel et à son devenir comporte «des vues essentielles sur la liberté, surmonte le déterminisme et le mécanisme étroits et abstraits14». C'est dans «le courant chaud» de l'historicisme qu'on peut le mieux situer la critique dialogique parmi les discours possibles sur l'objet culturel15. Toute explication est par définition un processus de réduction, mouvement du dialogique vers le monologique. «Chaque fois», affirme Bakhtine, «que nous tentons de limiter l'objet de la recherche, de le ramener à un complexe objectif [...] nous perdons l'essence même de l'objet étudié, sa nature sémiotique et idéologique16.» La critique immanente, la pierre de touche de la méthode dialogique, est engagée à construire la multiplicité du social, le mouvement du monologique vers le dialogique; sa tendance autoréflexive l'amène à une reconnaissance de sa propre relativité à l'intérieur de «l'horizon idéologique» qu'elle vise à critiquer. 12 L'expression^ «théorie critique» ne se limite pas pour nous au cercle restreint de l'ancienne École de Francfort Nous l'entendons plutôt dans un sens plus vaste, lequel regroupe les problématiques de recherche qui se lient à «-l'intérêt uploads/Philosophie/critique-dialogique-et-postmodern-is-me.pdf
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- Publié le Mai 27, 2021
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