Victor Brochard (1884) “ De la croyance ” Un document produit en version numéri
Victor Brochard (1884) “ De la croyance ” Un document produit en version numérique par Bertrand Gibier, bénévole, professeur de philosophie au Lycée de Montreuil-sur-Mer (dans le Pas-de-Calais) Courriel: bertrand.gibier@ac-lille.fr Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm Victor Brochard (1884), “ De la croyance ” 2 Cette édition électronique a été réalisée par Bertrand Gibier, bénévole, professeur de philosophie au Lycée de Montreuil-sur-Mer (dans le Pas- de-Calais), bertrand.gibier@ac-lille.fr , à partir de : Victor Brochard (1848-1907) “ De la croyance ” (1884) Une édition électronique réalisée à partir de l'article Victor Brochard (1884), “ De la croyance ” in Revue philosophique, IXe année, n° 7, juillet 1884, pp. 1-23. Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times, 12 points. Pour les notes de bas de page : Times, 10 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pour Macintosh. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’) Édition complétée le 4 novembre 2002 à Chicoutimi, Québec. Victor Brochard (1884), “ De la croyance ” 3 Victor BROCHARD, « De la croyance », Revue philosophique, IXe année, n° 7, juillet 1884, pp. 1-23. Retour à la table des matières C’est un véritable service que M. Cl. Gayte a rendu à la philosophie en publiant son Essai sur la croyance 1 et en ramenant l’attention sur un sujet si important. Aucune philosophie ne devrait s’en désintéresser ; presque toutes le négligent ou l’esquivent. L’empirisme et le positivisme se devraient à eux- mêmes de dire comment ils définissent la certitude, et quelle différence ils font entre croire et être certain ; ils laissent généralement cette question de côté. Le spiritualisme a toujours compris l’importance du problème de la certitude : sauf quelques exceptions 2, il prête moins d’attention à la croyance. Il n’est pas même facile de dire dans quelle partie de la philosophie cette question devrait trouver sa place. Les psychologues ne s’en occupent guère, parce qu’il leur paraît qu’elle appartient aux logiciens. Les logiciens, tels que Stuart Mill, la renvoient aux métaphysiciens. Mais les métaphysiciens ont bien d’autres visées. Pressés d’arriver aux conclusions qui leur tiennent au cœur, ils l’oublient ou l’ajournent. C’est pourtant par là qu’il faudrait commencer. 1 Paris, Germer Baillière, 1883. 2 Il y a sur ce sujet des pages intéressantes dans le Traité des Facultés de l’Âme d’Ad. Garnier. Victor Brochard (1884), “ De la croyance ” 4 Dans la philosophie généralement enseignée en France, la croyance est considérée comme tout à fait distincte de la certitude ; elle est autre chose, si elle n’est pas le contraire, et elle est fort au-dessous. C’est une sorte de pis- aller dont on ne se contente qu’à regret et qui, par suite, ne mérite guère qu’on s’y arrête. L’œuvre propre du philosophe est de chercher la certitude ; c’est à elle seule qu’il a affaire. Rien de mieux, assurément, et ce n’est pas nous qui contesterons le devoir qui oblige tout philosophe à donner son adhésion à toute vérité clairement et distinctement aperçue. Nous n’avons garde de mé- connaître ce qu’il y a de noble et d’élevé dans cette manière de comprendre le rôle de la philosophie ; nous savons les dangers du fidéisme ; l’idéal que tant de philosophes se sont proposé, que les plus illustres d’entre eux se proposent encore, doit être poursuivi sans relâche. Mais cette certitude si entière, si absolue, qui ne laisse place à aucun doute, le philosophe la rencontre-t-il par- tout ? la rencontre-t-il souvent ? N’y a-t-il pas bien des questions où, après de longues recherches, en présence de difficultés toujours renaissantes, en face des divergences qui séparent irrémédiablement les meilleurs esprits, et les plus éclairés, et les plus sincères, il est forcé de s’avouer que la vérité ne s’impose pas avec la rigueur et la nécessité d’une démonstration géométrique ? Il peut croire pourtant, et sa croyance est légitime. Nous ne savons guère de doctrine plus dangereuse, et qui fasse au scepticisme plus beau jeu, que celle qui, entre la certitude absolue et nécessaire, et l’ignorance ou le doute, ne voit de place pour aucun intermédiaire. Mais si on revendique le droit de croire rationnelle- ment, n’a-t-on pas par là même le devoir d’examiner la nature de la croyance, de s’enquérir des motifs sur lesquels elle se fonde, de chercher comment elle se produit ? Si, comme il semble bien qu’il faut en convenir, la croyance tient, dans les systèmes de philosophie, autant de place que la certitude, pourquoi réserver toute son attention à la certitude et reléguer la croyance au second plan, comme chose secondaire ? Le temps n’est plus où les systèmes de méta- physique se présentaient comme des vérités rigoureusement déduites d’un principe évident, et prétendaient s’imposer de toutes pièces à l’esprit, comme ces démonstrations géométriques dont ils empruntaient quelquefois la forme et dont ils enviaient la rigueur incontestée. Spinoza, Leibnitz, Hegel, pou- vaient bien croire qu’ils démontraient a priori leur doctrine : qui oserait, aujourd’hui, afficher de telles prétentions ? Il y a encore bien des systèmes, et les explications de l’univers, en dépit des prédictions positivistes, qui procla- maient la métaphysique morte pour toujours, dont jamais été plus nombreuses que de notre temps. Mais elles déclarent que leurs principes sont des induc- tions : plus exactement, elles s’offrent comme des hypothèses capables de rendre compte de tous les faits, et dignes par conséquent, si cette prétention est fondée, de passer à l’état de vérité, suivant la méthode fort légitimement appliquée dans les sciences de la nature. La fierté dogmatique a singulière- ment baissé le ton ; la métaphysique est devenue modeste. Mais dire que les Victor Brochard (1884), “ De la croyance ” 5 théories sont des hypothèses, c’est dire qu’elles font, en dernière analyse, appel à la croyance, et par la force des choses, la théorie de la croyance ne devient-elle pas une des parties principales de la théorie de la connaissance, si les systèmes se proposent comme des croyances, au lieu de s’imposer comme des certitudes ? En supposant même que la croyance soit maintenue au rang subalterne où on l’a reléguée jusqu’ici, et qu’on contribue à la confondre, non sans quelque dédain, avec l’opinion ; en admettant qu’elle s’attache, dans la vie pratique et faute de mieux, à de simples probabilités, et qu’à ce titre elle soit fort éloignée de la haute et pleine certitude à laquelle aspire le philosophe, ne mériterait-elle pas encore une étude attentive ? La plupart des hommes, et même tous les hommes, dans les circonstances les plus importantes de leur vie, se décident sur des croyances et non sur des certitudes. « Le sage, disait déjà Cicéron, quand il entreprend un voyage sur mer, quand il ensemence son champ, quand il se marie, quand il a des enfants, dans mille autres occasions, fait-il autre chose que de suivre des probabilités 1 ? » Que deviendrait l’art oratoire si la masse des hommes n’agissait [pas] 2 plus par persuasion que par conviction ? Mais si la croyance tient tant de place dans la vie, et s’il y a une philosophie de l’esprit qui doit nous apprendre à nous rendre compte de ce que nous faisons, l’étude de la croyance ne doit-elle pas aussi tenir quelque place dans cette philosophie ? Que ce soit dans la psychologie ou dans la logique, c’est une autre question dont nous n’avons cure pour le moment. À coup sûr, le philosophe sans renoncer à son idéal de certitude, ne dérogera pas en s’en occupant. Mais il y a plus : la théorie, trop facilement acceptée, qui distingue jus- qu’à les opposer la certitude et la croyance, est elle-même fort contestable. Généralement, on évite d’insister sur ce point : il semble qu’on s’en réfère au sens commun pour reconnaître entre la certitude et la croyance une différence spécifique. Mais peut-être ne faudrait-il pas insister beaucoup auprès du sens commun pour obtenir de lui l’aveu qu’après tout, être certain est une manière de croire, et que si on peut croire sans être certain, on n’est pas certain sans croire : en d’autres termes, la croyance est un genre dont la certitude est une espèce. En réalité, les rapports de la certitude et de la croyance sont une question à débattre entre philosophes. Or, il se trouve plusieurs penseurs qui la résolvent tout autrement qu’on ne fait d’ordinaire. Stuart Mill disait déjà, 1 Cic., Acad., liv. II, 34, 109. 2 [À la suite de Victor Delbos (dans le recueil d’articles de Brochard qu’il a édité : Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne, publié chez Vrin, 1912), nous ajoutons ce mot qui paraît nécessaire à la compréhension du texte. BG] Victor Brochard (1884), “ De la croyance ” 6 mais sans insister, et sans en tirer aucune conséquence, que uploads/Philosophie/de-la-croyance.pdf
Documents similaires










-
37
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 19, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1451MB