Revue Philosophique de Louvain En quel sens l'«Unique fondement possible d'une

Revue Philosophique de Louvain En quel sens l'«Unique fondement possible d'une démonstration de l'existence de Dieu» de Kant est-il «unique» fondement «possible»? Robert Theis Citer ce document / Cite this document : Theis Robert. En quel sens l'«Unique fondement possible d'une démonstration de l'existence de Dieu» de Kant est-il «unique» fondement «possible»?. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 95, n°1, 1997. pp. 7-23; http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1997_num_95_1_7014 Document généré le 25/05/2016 Abstract The author examines the sting inherent in the title of Kant's work on the Unique possible foundation of a demonstration of the existence of God, published in 1762. In this work, Kant admits not wanting to establish a formal demonstration of the existence of God, but only the foundations of such a demonstration. In this way, he develops less than a proof, but at the same time more, i.e. the unique possible foundation of such a proof. The author critically analyses that in this formula, obviously to a different extent, both the leibnizian proof starting from the possibles and the wolffian, so-called a posteriori proof, at a critical moment of their respective articulations, resort to a second argumentation in order to prove the existence of the necessary being and that they are thus not auto-sufficient (unique). Résumé L'auteur s'interroge sur la pointe que contient le titre de l'ouvrage kantien sur l'Unique fondement possible d'une démonstration de l'existence de Dieu paru en 1762. Kant y affirme, non pas vouloir établir une démonstration en forme de l'existence de Dieu, mais uniquement le fondement d'une telle démonstration. Dans ce sens, il développe moins qu'une preuve, mais en même temps plus, à savoir l'unique fondement possible d'une telle preuve. L'auteur montre que dans cette formulation sont visées de façon critique — à des titres différents certes — la preuve leibnizienne à partir des possibles et la preuve wolffienne dite a posteriori qui, toutes les deux, recourent, à un moment crucial de leurs articulations respectives, à une seconde argumentation pour démontrer l'existence de l'être nécessaire et qu'elles ne sont pas, de ce fait, auto-suffisantes (uniques). En quel sens V «Unique fondement possible d'une démonstration de V existence de Dieu» de Kant est-il «unique» fondement «possible»! En 1762 (page de titre 1763), Kant publie Y Unique fondement possible d'une démonstration de l'existence de Dieu, un ouvrage qui devait être réédité à quatre reprises jusqu'en 1794. Le titre en indique bien le thème central, à savoir l'élaboration du fondement d'une démonstration de l'existence de Dieu. Ce titre contient en même temps la pointe de l'écrit. Kant n'affirme pas vouloir établir une démonstration de l'existence de Dieu, mais uniquement un Beweisgrund, un fondement d'une démonstration. Il insiste d'ailleurs explicitement sur ce point: «Je n'ai pas l'intention de présenter ici une démonstration en forme (fôrmliche Demonstration)»1. Dans ce sens, il développe moins qu'une preuve, mais en même temps, cette restriction s'avère être une radicalisation: il se propose en effet, non pas de développer un fondement, mais l' unique fondement possible d'une démonstration. En se plaçant ainsi sur le terrain de l'unique et du possible, il se place d'emblée au point de vue de l'indépassable et du non contradictoire. Or, dans cette formulation du titre sont visées implicitement — et voilà notre thèse — les positions que Kant entend critiquer et qui sont d'une part la preuve leibnizienne à partir des possibles et la preuve wolf- fienne dite a posteriori. Cependant, la preuve leibnizienne sera visée à un autre titre que la preuve wolffienne, et cela dans la mesure où le schéma argumentatif de Leibniz sera retenu par Kant même comme schéma valable de l'unique fondement possible. La preuve leibnizienne aura à être amendée sur un point — il est vrai essentiel, et sur lequel la critique kantienne rejoint celle qui sera faite de la preuve wolffienne — pour pouvoir servir d'unique fondement possible d'une démonstration. 1 Immanuel Kant, Der einzig mogliche Beweisgrund zu einer Demonstration des Daseins Gottes, Kônigsberg 1763, A 42 (pagination de l'édition originale). Nous indiquerons dans la suite cette pagination en mettant entre parenthèses la référence de la traduction française de Y Unique fondement d'après l'édition de la Pléiade des Œuvres philosophiques de Kant, volume I, Paris 1980; ici: (346). 8 Robert Theis La preuve wolffienne en revanche est visée plus directement et cela dans la mesure où elle se présente explicitement comme unicum argumentum1 et prétend être suffisante — unum sufficit3 — pour démontrer l'existence de Dieu. Cette affirmation de la Theologia natu- ralis qui rejoint d'ailleurs le point de vue de la métaphysique allemande, dans laquelle Wolff développe ce seul argument a posteriori4, trouve son écho dans les manuels des wollfiens qui en présentent, à leur tour, ce seul argument a contingentia mundi5. Vue de là, la formule de Y unique fondement possible dans le titre de l'écrit de Kant se lit en quelque sorte comme l'antonyme de Y unum argumentum wolffien. Cette perspective est encore corroborée si l'on se tourne vers la question du statut de la preuve elle-même ainsi que vers son concept central. La preuve kantienne est une preuve a priori6 dont le concept central est celui de Yens necessarium. La preuve leibnizienne est également une preuve a priori qui aboutit à l'affirmation de l'existence de Yens necessarium. La preuve wolffienne, nous le disions, est une preuve a posteriori dont le concept central est également la notion de Yens necessarium. Or, ce que Kant reproche à la preuve wolffienne (et implicitement à celle de Leibniz) — nous aurons à revenir sur ce point — c'est précisément le fait que chez l'un et chez l'autre, la démonstration de Yens necessarium y est faite en définitive en ayant recours à une autre argumentation, et que, de ce fait, elles ne sont pas suffisantes en elles-mêmes Dans cette optique, Y unique fondement possible est compris comme étant unique en un double sens: non seulement du fait qu'il s'articule autour de la notion de Yens necessarium, mais encore — et plus profondément — du fait qu'il ne fait que s'appuyer sur cette notion. 2 Cf. Christian Wolff, Theologia naturalis methodo scientifica pertractata pars prior, integrum systema complectens, qua existentia et attributa Dei a posteriori demonstrantur ('1736), in: Christian Wolff, Gesammelte Werke, éd. par Jean École e.a., Hildesheim 1978, section II, tome 7.1, § 10. (Cité: Theologia naturalis I). 3 Cf. ibid. 4 Cf. Christian Wolff, Vernûnfftige Gedancken von Gott, der Welt und der Seele des Menschen, auch alien Dingen iiberhaupt [Métaphysique allemande] ('1720), in: Christian Wolff, Gesammelte Werke éd. par Jean École e.a., Hildesheim 1983, section I, tome 2, § 928 ss. (Cité: Vernûnfftige Gedancken). 5 Voir plus loin notes 34 ss. 6 Cf. Unique fondement A 49 (350). L ' « Unique fondement possible. ..» de Kant 9 a. La discussion de la notion de l'être nécessaire constitue l'objet de la troisième considération de la première partie de V Unique fondement. Kant y distingue d'emblée entre une conception purement nominale du nécessaire et une conception réelle. La définition qu'il donne de la première s'apparente à celle de Baumgarten: «Est absolument nécessaire ce dont le contraire est impossible en soi»7. Baumgarten, pour sa part, avait défini le nécessaire de la manière suivante: «Cuius oppositum in se impossibile est, est illud necessarium in se»8. Kant considère cette conception de la nécessité comme étant purement logique et il la désigne par conséquent étant de nécessité logique. D'après lui, elle ne concerne que l'aspect formel d'une chose ou d'un concept. Ainsi, un concept se définit en tant que tel par un certain nombre de déterminations. Poser donc le concept et poser en même temps la négation d'une des déterminations qui le constituent par définition est contradictoire, donc logiquement impossible. A cette notion purement logique, Kant oppose une conception du nécessaire qu'il qualifie à' absolute Realnotwendigkeit, de «nécessité réelle et absolue»9. Celle-ci ne porte pas sur l'aspect formel d'une chose ou d'un concept, mais, à un niveau plus fondamental, sur ses aspects réels ou matériels. En effet, tout ce qui est pensable (possible) l'est formellement en vertu du fait qu'il est non contradictoire. Mais pour que non-contradiction il y ait, il faut préalablement que quelque chose soit donné à titre de pensable. Kant qualifie ce donné aussi de «réalité» (Realitàt)i0. La Realnotwendigkeit concerne ce point précis. En quel sens cela doit-il être compris? La question centrale porte sur la possibilité même du pensable. Qu'une chose possible soit ce qu'elle est, cela n'est possible qu'en raison des possibilités ou réalités dont elle est constituée. Mais les possibilités elles-mêmes, sur quoi reposent-elles? Sur d'autres possibles? Ceci reviendrait à aller à l'infkii. Le possible n'est pensable ou possible, en dernière instance, que s'il est fondé dans quelque chose qui, lui, n'est 7 Ibid. A 25 (337). 8 Alexander Gottlieb Baumgarten, Metaphysica 71779 (réimpr. Hildesheim 1982), §102. 9 Unique fondement A 27 (338). 10 Voir par exemple Immanuel Kant, Principiorum primorum metaphysicae cogni- tionis nova dilucidatio (1755), Prop. VII. (cité: Nova dilucidatio). Nous citerons le texte latin de la Nova dilucidatio d'après l'édition de W. Weischedel, Immanuel Kant. Werke in zehn Bànden, uploads/Philosophie/en-quel-sens-l-x27-unique-fondement-possible-d-x27-une-de-monstration-de-l-x27-existence-de-dieu-de-kant-est-il-unique-fondement-possible.pdf

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