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Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 1998 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 6 mars 2022 11:45 Laval théologique et philosophique La mort : événement naturel ou accidentel ? Bernard N. Schumacher Éthique et corps souffrant Volume 54, numéro 1, février 1998 URI : https://id.erudit.org/iderudit/401131ar DOI : https://doi.org/10.7202/401131ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de philosophie, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Schumacher, B. N. (1998). La mort : événement naturel ou accidentel ? Laval théologique et philosophique, 54(1), 5–22. https://doi.org/10.7202/401131ar Laval Théologique et Philosophique, 54,1 (février 1998) : 5-22 LA MORT : ÉVÉNEMENT NATUREL OU ACCIDENTEL ? Bernard Schumacher Philosophisches Seminar Universitàt Tiibingen RÉSUMÉ : Certaines thèses contemporaines ne voient rien d'autre dans la mort que la fin du pro- cessus vital d'un organisme : soit comme un événement naturel, propre à la structure biologi- que ou ontologique du sujet, soit encore comme un « accident » venant briser l'élan vers l'a- venir de la réalisation des possibles. La mort est alors ressentie comme anti-naturelle. Que faut-il en penser, de même que de la théorie d'un droit fondamental à tout être humain de mourir naturellement afin que disparaisse la mort violente, comme aussi toute crainte de la mort ? Toute mort ne serait-elle pas plutôt, comme le maintient Nagel, un mal de l'ordre de la privation ? La question est posée, enfin, du sens d'une vie sans fin, dans l'hypothèse où la mort aurait été vaincue par la science. ABSTRACT : Certain contemporary accounts see no more in death than the end of the vital process of an organism : either as a natural event, belonging to the biological or ontological structure of the subject, or else as an "accident" breaking the momentum toward the oncoming realiza- tion of possibles. Death is thus felt to be anti-natural. What is one to think of such a view, as well as of the theory of a fundamental right of every human being to die naturally so that vio- lent death may disappear, and likewise any fear of death ? Would it be better, following Nagel rather, to consider death as an ill to be defined as a privation ? Finally, the question is raised of what an endless life would mean, should death be conquered by science. L 9 homme contemporain occidental se caractérise par une attitude paradoxale face au phénomène de la mort. Bien que ce dernier soit largement discuté au niveau éthico-médical, socio-historique, philosophique et poétique, il fait néanmoins l'objet d'un tabou que l'on a exprimé par l'image de la « pornographie de la mort1 ». 1. Voir G. GORER, « The Pornography of Death », Encounter (octobre 1955), repris dans ID., Death, Grief and Mourning, New York, Doubleday, 1963 ; J. BAUDRUXARD, L'Échange symbolique et la mort, Paris, Gallimard, 1976, p. 279 et suiv. Voir au sujet de la crise contemporaine de la mort : E. MORIN, L'Homme et la Mort, Paris, Seuil, 1976, p. 299 ; Ph. ARIÈS, L'Homme devant la mort, Paris, Seuil, 1985, t. II, p. 269 et suiv. ; ID., Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, Paris, Seuil, 1977, p. 67 et suiv. Ariès résume bien cette dichotomie : « Si la littérature a continué son discours sur la mort [...] les hommes quelconques sont devenus muets, ils se comportent comme si la mort n'existait plus. Le décalage entre la mort livresque qui reste bavarde et la mort réelle, honteuse et taisible, est d'ailleurs l'un des caractères étranges mais significatifs de notre temps » (p. 178). 5 BERNARD SCHUMACHER Le tabou du sexe a fait place au tabou de la mort qui a déserté la place publique. Dans la sphère privée, on n'en parle qu'à mots couverts et elle fait surgir chez l'interlocuteur un frissonnement, une crispation, un malaise mêlé à une crainte de sa propre mort ou à des souvenirs de morts aimés ou encore, pour reprendre une image de Montaigne, « on s'en signe, comme du nom du diable2 ». La mort au quotidien est vécue au niveau de l'inauthenticité, du man-« On » kierkegaardien ou heideggerien. La cogitatio mortis est écartée comme la peste, car on préfère s'occuper de choses moins lugubres et obscènes. La société occidentale contemporaine tend même à sup- primer tout ce qui rappelle la mort. On prive l'être humain de sa mort3. Celle-ci a perdu la place éminente qu'elle avait pendant des millénaires au sein de la culture humaine. La conscience contemporaine ne se distingue pas seulement par cette « dispa- rition-refoulement » de la mort, mais aussi par un idéal de la mort qu'on peut appeler la mort naturelle et qui s'oppose à la mort non naturelle, « accidentelle » (maladie, accident proprement dit) que l'on dénomme comme violente. Cette « théorie critique de la mort4 » contemporaine, qui se trouve à la croisée des sciences naturelles, socia- les, éthico-médicales et juridiques, conçoit la mort comme la fin du processus vital d'un organisme. Sa définition se situe essentiellement au niveau biologique et exclut de son horizon toutes questions métaphysiques thanatologiques. Elle s'insère ainsi dans le courant de « l'inversion thanatologique5 » de non-retour qui marque dans une certaine mesure la réflexion philosophique contemporaine sur la mort. 2. MONTAIGNE, Essais, Paris, Librairie Générale Française, 1972, chapitre XX, p. 130. 3. La mort ne pousse plus à une réflexion sur le sens de l'existence de l'individu ou de la communauté pro- che, mais elle est conçue, par réaction de crainte, comme un hasard banal, un accident. Elle est marquée par une gêne communicative et tend à disparaître de la communication journalière. On constate aussi une privatisation du deuil dû aux changements des liens familiaux et de la séparation nette entre les sphères publique et privée. En outre, on ne meurt plus à la maison, mais à l'hôpital : les morts sont exclus de la communauté des vivants. Il est rare de voir mourir quelqu'un. L'enterrement est déguisé de manière à ne pas rappeler trop ouvertement la victoire de la mort qui attend chacun. Voir au sujet du changement de perspective dans la modernité : ARIÈS, MORIN, W. FUCHS, Todesbilder in der modernen Gesellschaft, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1969 ; ou encore I. ILLICH, « The Political Uses of Natural Death », dans P. Steinfels, R. Veatch, éd., Death Inside Out, New York, Harper & Row, 1975, p. 25-42 ; ID., Nemesis médicale. L'exportation de la santé, Paris, Seuil, 1975, p. 170-201. 4. J. SCHWARTLÀNDER, « Der Tod und die Wiirde des Menschen », dans J. Schwartlânder, éd., Der Mensch und sein Tod, Gôttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1976, p. 25. L'auteur se réfère ici à la théorie déve- loppée par W. FUCHS, Todesbilder in der modernen Gesellschaft. 5. H. EBELING, éd., Der Tod in der Moderne, Frankfurt am Main, Hain, 19923, p. 12. « Vor Heidegger hatte auch die philosophische Thanatologie die Hoffnung auf eine Unsterblichkeit noch bewahrt. Mit Heideg- ger ist sie preisgegeben. Und seit Heidegger ist sie mit Mitteln der Philosophie nicht mehr zu restau- rieren » (p. 11). Bien que cette affirmation vaut pour une partie de la thanatologie contemporaine, il est historiquement faux de lui attribuer une valeur absolue caractérisant la totalité de la réflexion contempo- raine sur la mort comme le maintiennent Ebeling ou Schulz (« Zum Problem des Todes », A. Schwan, éd., Denken im Schatten des Nihilismus. Festschrift fur Wilhelm Weischedel zum 70. Geburtstag, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1975, p. 313 et suiv.). En effet, le questionnement d'une possible survivance n'a pas seulement fait l'objet de réflexions à partir des notions d'interpersonnel et d'amour dans le cadre du débat existentialiste (Marcel), mais on le retrouve aussi dans la discussion de la tradition analytique anglo-saxonne concernant l'identité personnelle et les divers modes de survies (im- mortalité personnelle, réincarnation, etc.). Cette tradition ne se réfère guère à la solution thanatologique heideggerienne et concentre son attention plutôt sur des questions systématiques métaphysiques que Hei- degger relègue au niveau ontique. 6 LA MORT : ÉVÉNEMENT NATUREL OU ACCIDENTEL ? Le phénomène de la mort est saisi soit comme thanatos, comme un événement naturel et propre à la structure biologique du sujet (Feuerbach, Scheler, Simmel, Jo- nas d'un point de vue philosophique ; et Carrel, Ehrenberg, Metchnikoff d'un point de vue biologique) ou à sa structure ontologique (Heidegger) ou encore à l'ordre dans lequel le sujet est projeté, soit comme ker, comme un « accident » venant briser l'élan vers Yà-venir de la réalisation des possibles et étant ainsi ressenti comme anti-naturel (Sartre). Je discuterai (1) la uploads/Philosophie/la-mort-evenement-naturel-ou-accidentel-bernard-n-schumacher.pdf

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