L’Art de la fugue Compagnie Yoann Bourgeois Introduction L’Art de la fugue, pré

L’Art de la fugue Compagnie Yoann Bourgeois Introduction L’Art de la fugue, présenté par la compagnie Yoann Bourgeois au Théâtre du Cent quatre le mardi 12 avril 2014 offre une plongée poétique et philosophique dans un spectacle de cirque revisité. Les deux interprètes, Yoann Bourgeois et Marie Fonte, accompagnés au piano par Célimène Daudet qui joue Die Kunst der Fuge de Jean Sébastien Bach, sont comme des «figures minimales de l’humanité » qui dansent leur vie, hyperbole des relations inter-humaines. Ainsi, en mêlant cirque, mime, danse, philosophie, ce spectacle invite à entrer dans une parenthèse où le temps est suspendu, concentré, vrillé, et modifié. Ainsi, en quoi ce rapport décalé au temps permet-il de faire advenir une vision poétique de l’art du cirque ? I-Une nouvelle forme de cirque centrée sur la poétique et la métaphysique 1) Une nostalgie de l'enfance Dans une interview pour le théâtre du Centquatre, réalisée par Jean-Marc Adolphe, Yoann Bourgeois raconte qu'une anecdote de son enfance est à l'origine de L'art de la fugue. En effet, lorsqu’il était enfant et seul chez lui, il s'amusait à sauter sur le lit de ses parents et à se laisser rebondir. Cette habitude semble avoir influencé sa carrière dans le cirque, et c'est une des raisons pour lesquelles l'élément central de cette performance est un trampoline. Ce trampoline est encastré dans une structure en bois, qui au début du spectacle forme un cube et fait penser à une maison. Ce cube va cependant être déconstruit tout au long du spectacle, pour former à la fin un praticable digne des meilleures aires de Jeu pour enfants. En effet, cette structure en bois se révèle composée de plusieurs escaliers ne débouchant sur rien, permettant de jouer sur différentes hauteurs pour sauter sur le trampoline, d'un toboggan à jardin, de plusieurs trappes et portes dérobées pour se cacher et apparaître de manière à surprendre le spectateur. Cet agencement de l'espace crée très vite une ambiance qui rappelle l'enfance, et le spectateur se prend à rêver d'explorer les cachettes et passages secrets de la structure. De la même manière, on imagine que les deux interprètes forment un couple, parce qu'ils se trouvent au début dans une maison, à table sur des chaises face à face, mais leur relation s'apparente plus à celle d'enfants: ils jouent ensemble, lorsque Marie Fonte glisse le long du « toboggan », elle fait semblant d’être morte, mais quand Yoann Bourgeois arrive pour l’aider, elle se relève toute seule et recommence. Il y a donc tout un jeu entre les deux interprètes qui fait signe vers l’univers de l’enfance, et crée une atmosphère presque irréelle, comme si le spectateur entrait dans un lieu avec des codes différents de ceux que nous avons l’habitude. Ceci participe sans doute à la recherche que mène Yoann Bourgeois vers une autre forme de cirque, tel qu’il l’exprime lui-même à propos de L’Art de la fugue : « je cherchais à écrire le cirque autrement que je le voyais écrit ». Ce spectacle se sépare donc des codes traditionnels du cirque pour en adopter de nouveaux. On peut néanmoins remarquer que certain éléments tendent à rappeler le cirque traditionnel, comme s’il y avait une certaine nostalgie à son égard. Les « enfants » qui se déguisent en clown (en portant des vêtements colorés et un nez rouge), ou en dompteur (la femme apparait un instant avec un fouet) pourraient être une métaphore du nouveau cirque encore en expérimentation, qui reprend les anciens codes et les déforme, en joue. 2) L'histoire sublimée de nos vies L'Art de la fugue ne semble pas pour autant être un spectacle sur l'enfance, ni même « pour enfants». Cette présence allusive de l'enfance semble plutôt contribuer à installe une ambiance complètement étrangère à ce que nous pouvons vivre au quotidien. La reprise des codes de l'enfance, au sens où les interprètes ne se sentiraient pas concernés par les normes rnorales ou de bienséance, renforceraient la dimension « hors de la réalité » déjà présente par le fait même d’aller voir le spectacle, et contribuerait à faire de cette parenthèse dans le temps, un songe. Ainsi, il n'est pas choquant que des adultes « s'amusent » à rebondir sur un trampoline, il n'est plus question non plus de respect de la vraisemblance. C'est en cela qu'on peut affirmer que ce spectacle est centré sur l'aspect poétique du cirque, plus encore que sur sa dimension comique ou spectaculaire traditionnelle (même si on les retrouve par bribes tout au long du spectacle). Dès lors, cette enfance laisse place à la vie « sublimée » d'un couple. Il n'est pas question de représenter un couple, mais de faire comprendre la relation entre les interprètes à travers (les gestes, des mouvements significatifs et non réalistes. En ce sens, l’aspect « cabane » de la structure en bois peut également faire penser à une maison précaire, dans laquelle le mobilier se casse et d'une certaine manière, s'adapte à tous les remous que peut connaître un couple. Ainsi, lors de « disputes » les chaises qui se cassent transcrivent en actes ce que les interprètes ne disent pas. Le spectateur est donc invité à contempler un couple à travers ses disputes, ses moments de complicité… D’une certaine manière, le silence des interprètes, comblé parfois par les Fugues de Bach joués au piano, fait de ce duo une figure du couple à laquelle le spectateur peut s’identifier. L’aspect non quotidien des gestes et des mouvements effectués par les interprètes amplifie la dimension « symbolique » de ces figures et renforce ainsi la possibilité d’identification. 3) La voix de Gaston Bachelard souligne le silence des corps Dans ce passage au quotidien à la figuration, et des paroles aux actes condensant le parcours suivi par chaque couple à sa manière, L’Art de la fugue revêt une dimension presque métaphysique, au sens où il s’agit d’une illustration de thèses philosophiques. En effet, ce spectacle montre la vie telle qu’elle est vécue de manière poétique : la voix de Gaston Bachelard, philosophe du XXème siècle, qui se fait entendre à trois reprises comme diffusée par une radio, fait signe vers une certaine conception de la vie en philosophie. Pour G. Bachelard, l’espace peut être considéré de deux manières : d’abord de manière rationnelle, ensuite de manière poétique. L’Art de la fugue illustre son propos quant à la maison telle qu’elle est vécue. La maison représentée sur scène est au début du spectacle un cube, à priori froid, symbole même de la rationalité. Cependant Marie Fonte va créer une ouverture dans celui-ci en faisant tomber les cubes qui bouchent la «fenêtre » face à la salle. Cette percée dans la maison déclenche ensuite une immersion progressive dans la rêverie, notamment grâce à la déconstruction du cube qui permet de créer une aire de jeu. Or, pour G. Bachelard, « la maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix ». L’espace lui-même ferait alors advenir la poésie, c’est pourquoi J.P.Thibaudat écrit que « Yohann Bourgeois est aussi un poète de la matière ». Cette évocation de la philosophie de Bachelard se comprend donc par rapport à l’espace crée par la scénographie, mais on peut également l’interpréter par rapport aux temps présents mis en jeu. En effet, G. Bachelard est également influencé par la pensée philosophique de Henri Bergson. Or, celui- ci avait pensé une distinction similaire à celle que théorise Bachelard par rapport à l’espace, mais vis- à-vis du temps. Là encore, le spectacle prend une dimension métaphysique, puisque considéré de deux manières : de façon rationnelle, mesurée, à travers la précision des gestes rythmés par la musique, mais aussi tel qu’il est vécu, à la fois par le spectateur et par les figures sur scène. Ainsi, « entre temps métrique et sensible, temps discontinu et cyclique, se tissent là de multiples fils de tensions. » II- La distorsion du temps l) Le Point de suspension «Au milieu de ce décor vivant, les corps se parlent sans voix, s’envoilent et se suspendent en l'air avant de retomber mollement sur le sol. De déséquilibres en rebonds, de disparitions en apparitions, la chorégraphie de Yoann Bourgeois se transforme à l'infini, s’amuse des variations, se joue de motifs ». Ce résumé d'Elsa Pereira sur la manière dont le spectacle est perçu par le spectateur met en lumière les tensions causées par la distorsion du temps sur lesquelles reposent-la représentation. En effet, le temps vécu pendant la représentation ne correspond pas au temps tel qu'on peut le mesurer. Les interprètes usent de différents stratagèmes pour maintenir l’attention du spectateur, et ceci a pour effet de donner l'impression que le temps s’écoule à des rythmes différents. En ce sens, on retrouve en assistant à ce spectacle des sensations qui le rapproche du cirque traditionnel, par exemple, lorsque les interprètes se jettent du haut des escaliers sur le trampoline (soit peut-être trois mètres), le temps semble suspendu pour les spectateurs. Tout comme au cirque lors des numéros de funambules uploads/Philosophie/analyse-de-l-x27-art-de-la-fugue.pdf

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