Le génogramme, entre différenciation et loyautés “Toutes les familles heureuses
Le génogramme, entre différenciation et loyautés “Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon.” Lev Tolstoï – Anna Karénine Résumé Après un aperçu de mes motivations personnelles dans le choix du thème, vous trouverez une revue de la littérature incluant un bref survol de la théorie de Bowen et de Boszormenyi-Nagy. J’ai volontairement choisi de ne pas m’attarder sur la construction d’un génogramme, car l’ouvrage de McGoldrick et Gerson (1990) est bien plus exhaustif. Dans la dernière partie, je présente deux vignettes cliniques et une réflexion des possibilités thérapeutiques que l’utilisation du génogramme amène en séance. Mots clés Génogramme – Différenciation – Patterns répétitifs – Légitimité destructive – Loyautés 1 Sara Albertin Introduction J’ai choisi d’approfondir le génogramme pour des raisons personnelles. En effet, c’est un outil que j’aime et que j’utilise beaucoup dans ma pratique clinique. Il m’aide à voir les patients que je rencontre tous les jours comme faisant partie d’un système et m’oblige à ne pas perdre de vue la réflexion systémique. Cette démarche est parfois compliquée au sein d’une institution analytique, centrée sur l’individu, et d’une pratique hospitalière parfois aliénante et qui tend à renforcer la désignation du patient. Le choix de présenter un aperçu de Bowen et Boszormenyi-Nagy dans ce texte est probablement influencé par la pensée de feu Gérard Salem, avec qui j’ai eu la chance de travailler. Pour moi, le génogramme est intrinsèquement lié aux concepts de « différenciation » (de sa propre famille) et de « loyauté » (à sa propre famille). Il en ressort une visualisation graphique, et donc, une meilleure explicitation, en permettant aux familles de prendre conscience de ce qui leur pose problème. Voici donc mes réflexions autour du génogramme et de l’effet thérapeutique obtenu en séance avec les deux familles suivies dans le contexte de la formation du mardi soir. Revue de littérature Le génogramme est un arbre généalogique de la famille, enrichi par la description des relations entre les différents membres. Il pourrait tout à fait être considéré parmi les objets flottants, selon la définition de Caillé et Rey (2004), dans la mesure où il est utilisé en séance dans l’espace intermédiaire entre la famille et le thérapeute afin d’élargir leur communication (Caillé et Rey, 2004). Le génogramme offre la possibilité de mettre en évidence et de différencier le contexte actuel du contexte historique de la famille, permet d’obtenir des informations de type démographique (date de naissance ou de décès, âge, …), ainsi que des données sur le fonctionnement de chaque membre. En outre, nous pouvons y noter les événements critiques pour la famille, c’est à dire les changements importants et leurs liens avec les transitions du cycle de vie (McGoldrick et Gerson, 1990). Pour en revenir à l’étymologie du terme, génogramme signifie l’« écriture de l’origine », il est, en fait, constitué de deux mots grecques: genos, qui veut dire « naissance, origine » et gramma « écriture » (Compagnone, 2010). A ce sujet, la réflexion que fait Compagnone dans 2 Sara Albertin son article est particulièrement intéressante: si on pense au génogramme comme un arbre généalogique plus complet, nous devrions en réalité le construire à l’envers. Les générations plus anciennes seraient représentées par les racines et le tronc, tandis que la génération actuelle serait symbolisée par les branches de l’arbre. Cette structure permettrait une vision nouvelle de la place de chacun au sein de la famille et éviterait de tomber dans le piège de la causalité linéaire d’un héritage historique qui nous pèse sur les épaules (Compagnone, 2010). Durant les années septante Murray Bowen offre le substrat théorique du génogramme. Selon sa pensée chaque personne possède un niveau de « différenciation du soi de base » qu’il acquiert dans sa famille d’origine. Il conçoit le niveau de différenciation du soi selon une échelle de zéro à cent, dont zéro représente l’indifférenciation, cette à dire le plus haut niveau de « fusion émotionnelle avec le moi collectif » et cent correspond au degré maximum de différenciation possible (attente maximale purement théorique). Les individus peu différenciés tendent à confondre leurs sentiments avec la vérité objective, tandis que plus le niveau de différenciation est élevé, plus la différence entre pensées et sentiments est claire et les décisions sont prises suite à une réflexion pondérée. But final de la thérapie de Bowen est de permettre aux membres de la famille de gagner un plus haut niveau de différenciation. Grâce à l’étude minutieuse de l’arbre généalogique de plusieurs familles, ainsi que des réflexions dérivées des connaissances sur sa propre famille, Bowen décrit le « processus de transmission multigénérationnelle ». Ceci permet à l’enfant d’évoluer vers un niveau de différenciation plus ou moins élevé en fonction de la projection de l’indifférenciation/ immaturité que ses propres parents font sur lui (Anonyme, 1993). En élaborant un génogramme, nous pouvons également retrouver des modes de fonctionnement, des modes relationnels ou des structures familiales qui se reproduisent de génération en génération: il s’agit des patterns répétitifs. En thérapie, il est utile de les mettre en évidence et les relier avec ce qui se passe au présent pour la famille, afin de trouver des alternatives pour en créer des nouveaux plus adaptés (McGoldrick et Gerson, 1990). Pour aller plus loin dans les possibles implications de l’utilisation du génogramme en thérapie de famille, nous faisons un saut vers Ivan Boszormenyi-Nagy, fondateur de la thérapie contextuelle, basée sur une approche intergénérationnelle. En s’inspirant de la philosophie existentielle de Martin Buber, il conçoit les relations humaines sur la base d’une dialectique entre « Je » et « Tu », structurée selon une « éthique relationnelle ». Cette dernière n’est pas à 3 Sara Albertin confondre avec la morale, mais se base sur le principe des relations équitables: par moment nous donnons aux autres, à d’autres moments nous recevons d’eux. Cet échange n’est jamais en équilibre parfait, tout comme une balance de marché qui se trouve en mouvement permanent en fonction du poids à mesurer. Selon ce principe, lorsque nous avons l’impression d’avoir subi une injustice (car une vraie objectivité n’existe pas), nous cherchons à être indemnisés en quelque sorte. Si ceci n’est pas possible, nous pouvons soit aller de l’avant et « passer l’éponge » sur le tort subi, soit demander d’être dédommagé par quelqu’un d’autre, ce qui crée une autre injustice. Ce processus est appelé « légitimité destructive ». La plupart du temps elle se rejoue envers nos proches, en particulier les enfants sont les plus à risque d’en subir les conséquences et de poursuivre ensuite le cercle vicieux (Ducommun-Nagy, 2006). Un autre concept fondamental dans la théorie de Boszormenyi-Nagy est celui de « loyauté », que nous pouvons définir comme une préférence relationnelle envers un groupe particulier, par exemple sa propre famille. Nous ne pouvons pas parler de loyauté sans parler du « conflit de loyauté » qui nait de l’impossibilité de satisfaire deux ou plusieurs groupes qui demandent en même temps notre disponibilité. Dans ce contexte, la loyauté est « invisible » jusqu’au moment ou un choix est demandé. Si ce dernier devient impossible, comme lorsqu’un enfant doit se montrer déloyale à un de deux parents afin de manifester sa loyauté envers l’autre, nous nous retrouvons face au « clivage de loyauté ». Les conséquences de cela sont souvent très graves: l’enfant, une fois adulte, pourra, par exemple, réclamer à ses enfants ou à son partenaire la réparation des torts en accord avec le principe de légitimité destructive. Dans d’autres cas, pour sortir de l’impasse, il coupe tous liens avec ses parents (Ducommun-Nagy, 2008). Au contraire, le principe de « légitimité constructive » est en lien avec notre générosité relationnelle. L’acte de donner permet de rentrer en lien avec les autres et, en même temps, d’agrandir notre propre valeur personnelle. En conclusion, pour les thérapeutes contextuelles, le don doit se transmettre à travers les générations, de sorte que les enfants puissent recevoir à chaque fois plus de ce qu’ils offrent à leur parents (Ducommun-Nagy, 2006). 4 Sara Albertin Première situation clinique Matéo et ses parents viennent en thérapie sous conseil de sa psychiatre afin de retrouver une dynamique familiale moins conflictuelle, comme nous le dit la maman lors de la première séance, et de soigner les relations, en particulière celle père-fils, comme nous le confie la consœur lors d’un échange téléphonique. Matéo est un adolescent de 14 ans qui souffre d’un trouble obsessionnel compulsif avec des rituels à prédominance d’ordre, symétrie et compte, qui sont apparus pour la première fois il y a quatre ans. Il fréquente la dernière année de l’école obligatoire. Sa sœur Chloé, 16 ans, en septembre 2018 a intégré un internat en France afin de concilier l’école avec sa grande passion pour le tennis, depuis qu’elle est partie de la maison, Matéo nous confie moins rigoler en famille. Susanne, la maman, âgée de 45 ans, est secrétaire médical dans un cabinet d’opticien. Il y a deux ans, elle a dû augmenter son pourcentage de travail pour aider la famille durant la période de chômage de son uploads/Philosophie/le-genogramme-entre-differenciation-et-loyaute.pdf
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- Publié le Nov 02, 2022
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