L'école ingouvernable par Danielle Masson "L'éducation nationale est la plus ef
L'école ingouvernable par Danielle Masson "L'éducation nationale est la plus effroyable pagaille du monde entier" disait Michel Rocard. Je ne suis pas sûre d'être tout à fait habilitée pour vous parler de l'Education nationale. D'une part parce que j'ai enseigné, pendant trente sept ans, les lettres classiques dans un lycée d'Etat :je n'en suis pas ressortie indemne et j'en ai forcément été un peu complice. Complicité qui se prolonge avec notre belle-fille elle-même professeur des écoles, comme on dit maintenant. D'autre part, parce que nous avons choisi pour nos enfants des écoles catholiques hors contrat et que plusieurs de nos petits- enfants suivent leurs traces. Je me trouve donc dans la position inconfortable de l'opportuniste qui a largement profité d'un système qu'elle a jugé assez nocif pour l'épargner aux siens. Ce que je vais essayer de vous montrer, c'est que, contrairement à ce que pense Michel Rocard, l'Education nationale est un ordre, un ordre monstrueux sans doute, mammouth ou dinosaure soviétiforme et budgétivore tant qu'on voudra, mais un ordre. Si la pagaille est pourtant visible et palpable, elle vient des effets pervers de cet ordre, de ce projet concocté par des sociologues, des pédagomaniaques, des idéologues qui forment trois armées capables de faire exploser l'école. J'essaierai donc de distinguer une école des sociologues, une école des pédagomaniaques, une école des idéologues, mais c'est la nécessité d'un plan qui m'impose cette distinction, plus que la réalité où tous sont complices, car, comme le dit Liliane Lurçat, "le gentil pédagogue peut cacher un méchant idéologue". I- L'école des sociologues ou l'égalité obsessionnelle A l'origine de notre école, le plan Langevin-Wallon. Pour comprendre de quelle école nous héritons, il faut remonter à la fin de la Seconde Guerre mondiale : à une époque quasi insurrectionnelle, De gaulle accepte un Yalta culturel : laisser les mains libres à la gauche dans le domaine de la culture et de l'éducation, en échange d'un répit social. La droite peut gouverner, c'est la gauche qui enseigne. Ainsi, en 1974, Valéry Giscard d'Estaing est président de la République. Un proche collaborateur lui suggère Raymond Aron comme ministre de l'Education nationale. Giscard refuse : "Vous n'y pensez pas !". La gauche soigne ses intellectuels. La droite boude les siens. Quant à Luc Ferry, petit neveu du grand Jules et intellectuel de gauche, ce fut le choix de Raffarin ; "Luc Ferry, c'est une prise de guerre", disait-il en privé. En 1946-47, une commission d'enseignement, présidée par les communistes Langevin et Wallon, prône l'idéologie marxiste : il n'y a pas de nature humaine ; l'homme est l'ensemble des rapports sociaux. Les différences entre les hommes sont le résultat du conditionnement socio-culturel. L'école égalitaire produira donc "l'élévation continue du niveau de la nation". Trois conditions sont nécessaires et suffisantes : - La carte scolaire pour empêcher le choix des établissements. - Le tronc commun des élèves pour que tous reçoivent le même enseignement. - Le tronc commun des maîtres, pour que les professeurs, de la maternelle à la terminale, soient recrutés au terme du même cursus. La proposition de loi reprenant les travaux de la commission fut rejetée le 11 juillet 1947. L'école de Jules Ferry disposait d'un sursis de douze ans. De 1959 à 1991, les conditions du plan Langevin - Wallon, véritable matrice idéologique des réformistes éducatifs, furent remplies. - 1959 : réalisation de la carte scolaire. - 1975 : tronc commun des élèves jusqu'à la troisième, avec René Haby et sous Giscard : quand la droite enseigne, elle joue les intérimaires de la gauche. Puis, prolongement du tronc commun, par Alain Savary, jusqu'à la seconde. - 1991 : Jospin et son conseiller Allègre (tous deux trotskistes) instituent les I.U.F.M. (Instituts de formation des maîtres) qui font des enseignants des "acteurs sociaux", et réalisent la programmation idéologique du corps enseignant. Une situation figée L'essentiel de la réforme est donc réalisé en 1991. D'où, depuis, une situation quasiment figée, verrouillée par les syndicats qu'on a appelés joliment les révolutionnaires du statu quo. Pour eux, la seule question est celle des moyens - toujours plus de moyens pour les cancres les plus chers du monde - mais la question des fins, indiscutées et indiscutables, n'est jamais posée. Les ministres qui ont voulu amorcer la réforme de la réforme s'y sont cassé les dents, et se sont brisés sur les récifs des manifs. Un proche de Fillon disait : "il est monté sur le Titanic. Qu'y pouvait-il ? ". Les réformes, ça se termine toujours entre Bastille et Nation. Bayrou, qui tempêtait dans La décennie des mal appris contre le "Collège unique, collège inique", s'est bien gardé d'y toucher quand il est arrivé au ministère, s'est fait couleur de muraille et a sagement cogéré l'Education nationale avec les syndicats. En 1993, la suppression des I.U.F.M. était préconisée par Fillon, alors Secrétaire d'Etat aux universités. L'idée fut reprise par Luc Ferry. Elle fut abandonnée par l'un et l'autre, car les I.U.F.M. sont indispensables "comme organes de reproduction du pédagogisme". Même lorsque Ferry se contentera de vouloir "le recentrage de l'Ecole sur ses finalités fondamentales : lire, écrire, compter", il fut contesté. Qu'on se rappelle Chevènement exprimant cette même volonté. Les journaux s'interrogèrent gravement : "Monsieur Chevènement n'est-il pas de droite ?". Les grands prêtres, Bourdieu et Meirieu Pas question donc, d'opérer la réforme de la réforme. Et de la sacro sainte réforme, deux personnages sont les gardiens vigilants : Pierre Bourdieu et Philippe Meirieu. Au début des années 60, le sociologue marxiste pierre Bourdieu annonce et promet les fruits empoisonnés de mai 68. Pour lui, l'école est une machine à reproduire, de génération en génération, les inégalités sociales, ce qu'il appelle "la reproduction des élites". Il donne donc à l'école comme mission première non plus la transmission des savoirs, mais la lutte obsessionnelle contre les inégalités. Prenant le relais de Bourdieu, Philippe Meirieu dirigea l'I.N.R.P. (Institut national de recherche pédagogique) et fut l'inspirateur, en 1998, du questionnaire proposé par Allègre aux lycéens, et qui poussa jusqu'à l'extrême la logique consumériste : "De quoi avez-vous envie ? On vous le donne". Dans L'école ou la guerre civile, Meirieu prend acte des risques de guerre civile que fait courir au pays le morcellement des communautés. Mais pour lui, la fracture sociale vient de la fracture scolaire ; ce sont les partisans de l'école-sanctuaire qui préparent le drame des banlieues. La violence dans l'école vient de la violence de l'école. Au contraire, l'école lieu de vie, par la liberté qu'elle suscite, épargnera la guerre civile. Les conflits doivent se résoudre par le brasage généralisé des enfants et l'uniformisation idéologique : "Seul le mixage des enfants de tous les milieux et de tous les niveaux permettra d'unifie les pensées en une pensée commune". Projet totalitaire de pensée unique et utopie de la fin de la violence se mêlent. Dans l'école idéale selon Meirieu, pas de redoublement, pas d'orientation précoce, pas de compétition entre les élèves. Pas de hiérarchie non plus entre les élèves et les professeurs : "apprendre à lire, c'est prendre le pouvoir sur les autres". Poussant jusqu'au bout la logique de l'absurde, il dénonce "l'arrogance de l'intelligence rationaliste", qu'il accuse d'avoir "érigé en absolu la valeur de vérité", celle-ci étant "facteur d'exclusion". On n'est pas loin du mot de Roland Barthes : "Le langage est fasciste parce qu'il cherche à convaincre". Effets pervers Tous égaux donc. Mais cette obsession égalitaire a ses effets pervers : si tous les élèves sont égaux, certains sont un peu plus égaux que les autres. L'école comme ascenseur social est en panne. L'obsessionnelle égalité des chances se transforme en généralisation des malchances, et l'école renforce les pesanteurs sociales et défavorise les défavorisés : un quart des élèves entrant en sixième ne maîtrisent ni la lecture, ni l'écriture, ni le calcul. En 1966, le pourcentage d'étudiants d'origine populaire à l'E.N.A., à l'E.N.S. et à l'X. était de 15,4 %, il est passé à 7 % pour les années 1992-1993. Contrairement au vœu de Meirieu, l'école importe, condense et amplifie les conflits de la société. On n'aura pas l'école ou la guerre civile, mais l'école et la guerre civile. Jean-Claude Milner (à bas les élèves!) affirme qu'une classe est une cocotte-minute des situations toujours prêtes à exploser. Nicolas Revol (Sale prof!) décrit ainsi la classe de terminale B.E.P. : "Ma classe est disposée en "U". Face à moi, au fond de la classe, il y a le petit groupe d'Africains, à ma droite les Maghrébins et à ma gauche les autres. Ainsi chacun peut observer chacun en toute liberté. Les camps sont déjà faits en cas de discorde ou de conflit". La volonté d'égalitarisme a suscité une hétérogénéité ingérable. D'où les fortes paroles de Xavier Darcos, qui fut ministre délégué à l'enseignement secondaire du temps de Luc Ferry : "Il faut oser dire qu'on ne peut entrer en sixième tant qu'on ne sait ni lire, ni écrire, ni compter. Il faut oser dire que l'hétérogénéité des classes handicape aussi bien les plus forts que les plus faibles. A Henri IV, le professeur uploads/Philosophie/ a-escola-ingovernavel-danielle-masson-em-frances 1 .pdf
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- Publié le Fev 26, 2021
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