Pouvoirs et contre-pouvoirs en matière de planification urbaine au Maroc : pour

Pouvoirs et contre-pouvoirs en matière de planification urbaine au Maroc : pour une nouvelle régulation des pouvoirs de décision POUR CITER CET ARTICLE :Zineb Sitri - Institut National d’Aménagement et d’Urbanisme, INAU, Rabat, MarocMohamed Hanzaz - Institut National d’Aménagement et d’Urbanisme, INAU, Rabat, Maroc"Pouvoirs et contre- pouvoirs en matière de planification urbaine au Maroc : pour une nouvelle régulation des pouvoirs de décision"Riurba 2016/Numéro 2URL : http://riurba.net/Revue/pouvoirs-et-contre-pouvoirs-en-matiere-de-planification-urbaine-au-maroc- pour-une-nouvelle-regulation-des-pouvoirs-de-decision/DOI : Mots clés : Maroc, mécanismes de régulation, mechanisms of regulation, mode de gouvernance, mode of governance, planification, planning, Urban planning, urbanisme Checks and balances regarding urban planning in Morocco: For a new regulation of decision-making powers Zineb SITRI1 (Institut National d’Aménagement et d’Urbanisme, INAU, Rabat, Maroc) Mohamed HANZAZ2 (Institut National d’Aménagement et d’Urbanisme, INAU, Rabat, Maroc) Résumé – L’histoire de l’urbanisme actuel au Maroc puise ses origines dans le protectorat français, et les incidences socio-spatiales de l’urbanisme colonial demeurent encore vivaces. De nos jours, les évolutions des dispositifs de planification et de gestion urbaine renseignent sur un domaine hautement procédural alliant des intérêts publics et privés et représentant des enjeux décisionnels. L’article met en évidence la domination de l’approche techniciste exercée par des institutions nommées, au grand dam des acteurs décentralisés se proclamant d’une légitimité démocratique. Les réformes opérées à chaque mouvement de décentralisation territoriale n’ont pas pu accorder à ces instances élues la complétude des compétences en matière d’urbanisme. En effet, seul un rôle consultatif leur a été confié dans le cadre des procédures d’établissement des documents de planification urbaine, et les autorisations dont ils sont signataires restent conditionnées par l’avis conforme des agences urbaines. À ces rapports de force s’ajoute la fréquence des changements au niveau du rattachement ministériel de l’urbanisme. Ces changements sont souvent accompagnés de réaménagements du statut et des attributions, ce qui porte atteinte à l’efficacité de l’action publique. Mots-clés : urbanisme, planification, mode de gouvernance, mécanismes de régulation, Maroc. Abstract – The history of the current urban planning in Morocco draws its origins from the French protectorate. The socio-spatial incidences of the colonial urban planning as practiced at that time remain still long-lived and arouse until today deep reflections. The evolutions having impacted on the urban planning and management devices, inform on a highly procedural domain allying public and private interests and representative of the decision-making stakes. These stakes seem to be marked by the domination of the technical approach exercised by appointed institutions, to the great displeasure of the decentralized actors proclaiming themselves of a democratic legitimacy. The reforms operated in each movement of territorial decentralization were not able to grant these elected authorities the comprehensiveness of the skills regarding urban planning. Indeed, only a consultative role was confided to them within the framework of the procedures of establishment of urban planning documents and the authorizations of which they are signatory remain conditioned by the corresponding notice of the urban agencies. To this balance of power is added the frequency of the changes at the level of the ministerial fastening of the urban planning. These changes do not concern only the name they are often accompanied with reorganizations of the status and with the attributions which affects the efficiency of the public action. Keywords: Urban planning, planning, mode of governance, mechanisms of regulation. Figure 1. Extension de l’urbanisation dans la conurbation de Rabat-Salé-Témara (source : Schéma Régional d’Aménagement du Territoire de la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaïr. Rapport urbanisme, 2014). Introduction En raison de la sensibilité des dimensions politiques et socio-économiques qu’il revêt, de la multiplicité des intervenants qu’il mobilise et des intérêts qu’il suscite, l’urbanisme constitue un domaine à la fois de convergence, voire de convoitise, de plusieurs enjeux et d’exercice de rapports de force entre différents acteurs publics et privés (Hamdouni Alami, 20063). Ceci n’est pas spécifique du Maroc ou des pays du Maghreb, le même constat est fait dans certains pays d’Orient comme l’Égypte (Ben Nefissa, 20064), la Jordanie (Al Omari et Augé, 20065) et bien d’autres. L’évolution de l’architecture institutionnelle de l’urbanisme et des textes juridiques qui le régissent au Maroc nous renseigne sur un domaine très complexe dont la prise de décision demeure particulièrement fluctuante au gré de la conjoncture sociopolitique, entre centralisme excessif et décentralisation peu efficace. Cette situation de flou et d’ambiguïté donne lieu à des dysfonctionnements au niveau de la maîtrise et de la rationalité de l’utilisation du sol (Hanzaz, 20106). Depuis le mouvement de décentralisation effectivement initié par la charte communale de 1976, on a assisté à l’expérimentation de mécanismes de régulation des rapports entre un État central planificateur et des collectivités territoriales chargées de la gestion urbaine. Cette expérimentation a pris une ampleur particulière avec la création des agences urbaines et l’institutionnalisation de l’avis conforme, véritable contrepoids des compétences communales en matière de gestion urbaine. Les textes régissant l’urbanisme prévisionnel et opérationnel semblent rejetés par la majeure partie des conseils communaux qui réclament la responsabilité d’un seul gestionnaire et en revendiquent l’exclusivité au nom de la légitimité démocratique. Le caractère ponctuel de l’intervention publique sur l’espace urbain, souvent sur fond d’urgence ou d’événements (Rachik, 20027) et les transformations récurrentes sur le plan du rattachement de l’urbanisme à des départements ministériels différents (impactant son statut, ses attributions et sa dénomination) affaiblissent l’action des autorités chargées de l’urbanisme, non seulement sur le plan juridique mais aussi sur le plan technique. Le tout confirme le constat d’hésitation, tant au niveau de la dévolution des pouvoirs de décision que des modalités de leur exercice. Aussi, la gestion de l’urbanisme par une loi contestée (loi n° 12-90 relative à l’urbanisme) et souvent substituée par des circulaires conjoncturelles et la montée en puissance de nouveaux acteurs issus du secteur privé et de la société civile mettent à l’ordre du jour la question de la gouvernance en tant que mode de régulation collective des différents rapports (Sitri, 20048). L’urbanisme est resté la chasse gardée des acteurs institutionnels classiques (Abouhani, 20119). Plus particulièrement, la dimension politique de l’urbanisme renvoie à l’un des principaux enjeux de ce champ d’action, celui des relations de pouvoir et d’articulations des rapports entre les différents acteurs. Certains voient en l’urbanisme une technique déployée au service des politiques à qui il incombe de définir la politique de la ville, d’autres font prévaloir sa dimension démocratique (Hamdouni Alami, 200610). La connotation éminemment politique de cette discipline n’est donc pas à remettre en cause, d’autant que l’ensemble des décisions prises et des réformes adoptées en la matière ont souvent une répercussion sur le mode de gouvernance établi. Il serait illusoire de croire que l’urbanisme est l’affaire du seul technicien. La ville constitue un espace complexe où la concurrence et le positionnement entre les différents modes d’organisations animent sa dynamique (Bourdin, 200611). La relation dialectique entre un pouvoir central concepteur de la planification urbaine et un pouvoir local supposé la mettre en œuvre engendre des conflits d’intérêts. Ces conflits imposent des concessions et des exercices d’adaptation entre deux courants, l’un « descendant » du pouvoir étatique dans le cadre de la déconcentration, l’autre « ascendant » de l’unité communale (la municipalité). Ceci implique l’hypothèse qu’entre ces deux mouvements s’instaurent des rapports qui donnent naissance au système de gouvernance actuel, que cet article s’attache à décortiquer. Ainsi, le présent article se focalise sur les dimensions de planification, de gestion et de gouvernance de l’urbanisme au Maroc à partir d’une hypothèse formulée autour d’un constat de relation instable entre le pouvoir central et celui du local, marquée par l’hésitation et la fluctuation au niveau des politiques publiques d’urbanisme qui se sont succédé depuis l’avènement de l’indépendance. On met en exergue, d’une part, l’existence d’outils légaux de planification rigide et centralisée que seules les pratiques dérogatoires12 ou illicites ont pu contourner et, d’autre part, l’incohérence des dispositifs institutionnels mis en place, consacrant un mode de gouvernance basé sur des rapports de force et sur des tiraillements décisionnels. L’analyse des évolutions de ce secteur devrait nous permettre de confirmer cette hypothèse et, partant, de repérer les lacunes et les dysfonctionnements d’un processus de réforme inachevé pour in fine proposer quelques pistes de réflexion sur les mécanismes opératoires de régulation des différents enjeux et pouvoirs. Ainsi, nous tenterons d’analyser les évolutions des pouvoirs en urbanisme sous l’angle des relations dialectiques des pouvoirs entre le local et le central et des dispositifs normatifs permettant la structuration de ces pouvoirs (section 1), ainsi que des mécanismes institutionnels et les perspectives de recomposition desdits pouvoirs (section 2). Soubassement historique de l’urbanisme au Maroc : du consensuel au centralisme Villes précoloniales : consensus, sacralité et fonctionnalité Avant 1912, le Maroc était un pays foncièrement rural. Le nombre des villes était très réduit, environ une douzaine. Leur population ne dépassait guère 450 000 habitants, soit 9 % de la population globale (Rousseaux, 200013). Ces villes, principalement continentales (Meknès, Fès et Marrakech), constituaient une armature urbaine structurant l’ensemble du territoire marocain. Elles reflétaient la puissance et l’image du pouvoir, dans la mesure où dans chaque ville, Dar El Makhzen faisait fonction de siège de l’autorité gestionnaire des affaires urbaines. La ville était un centre uploads/Politique/ pouvoirs-et-contre.pdf

  • 13
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager