QUE SAIS-JE ? Le droit constitutionnel DENIS BARANGER Professeur à l'Université
QUE SAIS-JE ? Le droit constitutionnel DENIS BARANGER Professeur à l'Université Paris-II (Panthéon-Assas) Membre de l'Institut Universitaire de France Sixième édition mise à jour 18e mille Introduction l n’y a pas toujours eu de droit constitutionnel, et peut-être un jour n’y en aura-t-il plus. Son trait distinctif réside dans l’intention de faire advenir par des moyens humains – et spécialement par l’exercice de la volonté – l’ordre politique idéal. Il n’y avait pas de « droit constitutionnel » tant que l’on s’en remettait à la volonté divine, ou aux prescriptions de la nature, pour régler la question politique. Avant d’employer couramment ce terme, on a parlé de « droit politique ». Il y avait à cela certaines raisons. De premier abord, la politique se présente comme une action humaine – celle qui vise, pour simplifier, à résoudre les problèmes de la vie collective – et, comme les autres actions humaines, elle peut être soumise à des règles. Cependant, la politique est loin d’être seulement soumise au droit. La constitution est l’espace où se déroule l’action politique telle que le droit la met en forme, mais aussi le lieu où sont fixées les conditions de création du droit. Et, de fait, plusieurs données de base du droit constitutionnel sont déterminées par l’idée de politique, telle que la raison humaine peut en saisir les caractères. La première de ces données tient dans la manière dont l’action politique place les individus les uns vis-à-vis des autres dans des positions différentes : les uns sont appelés gouvernants, parce qu’ils peuvent, dans l’intérêt commun, exercer une contrainte sur d’autres qui sont appelés gouvernés. Une autre propriété importante de l’action politique, telle qu’elle a été analysée par la philosophie classique, a joué un rôle majeur dans la formation du droit constitutionnel : du gouvernant qui ne recherche pas le bien des gouvernés, on considère qu’il cesse de mériter son nom. « Le véritable gouvernant, écrit Platon dans La République, n’est point fait, en réalité, pour chercher son propre avantage, mais celui du gouverné » (I, 347 d). En conséquence, les gouvernés ne sont pas des sujets entièrement passifs du pouvoir exercé sur eux, comme le sont les soldats de plomb entre les mains d’un enfant jouant à la guerre. La supériorité du gouvernant n’est pas celle du maître sur l’esclave ou de I l’être conscient et raisonnable sur la chose inanimée. Il est presque impossible de définir par avance ce qui fait le bon et le mauvais gouvernement. Mais le pouvoir politique est toujours soumis à l’impératif de réalisation du bien commun. Si une telle finalité n’existait pas, quel que soit le contenu qu’on lui donne, jamais l’on n’aurait confié au droit la mission de donner forme au pouvoir politique. Et, si cet impératif du bien commun est énoncé, c’est que nul n’ignore la possibilité d’un gouvernement détourné de ses fins, c’est-à-dire corrompu. La mise en forme du pouvoir politique par le droit ne suppose pas que soit connu le critère du mauvais gouvernement ; mais il faut admettre qu’il existe comme un point de rupture où le détenteur du pouvoir ne méritera plus le nom de gouvernant : du prince se comportant en tyran, on considère qu’il abdique ou qu’il a mérité d’être déposé. L’Occident s’est représenté le pouvoir politique comme une domination légitime. Si l’on pouvait dissoudre l’édifice du droit constitutionnel et considérer les forces qui l’ont composé, on verrait à l’œuvre ces deux principes de domination (c’est-à-dire de pouvoir) et de légitimité. Mais ils sont réunis d’une manière qui distingue le droit constitutionnel des mises en ordre du pouvoir politique qui l’ont précédé. La conception du pouvoir propre au droit constitutionnel est le fruit d’un effort considérable de structuration de l’autorité, qui lui est antérieur, et dont le résultat est l’État. Si le droit constitutionnel moderne ne conteste pas la nécessité du pouvoir, il place ses espoirs dans la réalisation du bien commun par la volonté des gouvernés. Cette espérance est apparente dans les deux dimensions que doit explorer une étude du droit constitutionnel : celle du pouvoir tel qu’il est établi en droit et qu’il déploie ses effets sur les personnes (première partie) ; celle de la légitimité, c’est-à-dire de la justification de la détention et de l’exercice du pouvoir (deuxième partie). Première partie Le pouvoir e pouvoir politique est une contrainte exercée pour le bien commun par certaines personnes et selon certaines formes. Le droit constitutionnel moderne réalise cette idée simple en attribuant à des institutions le pouvoir d’édicter et de mettre en œuvre des règles de droit (chap. I). Le propre du droit constitutionnel est d’organiser la coexistence de ces institutions dans un ensemble plus large, appelé État. Comprendre ce qu’est l’État suppose d’appréhender le type de mise en ordre du pouvoir qui lui est propre : la souveraineté (chap. II). Sous cette même dénomination d’« État », plusieurs formes d’unité politique sont envisageables (chap. III). L Chapitre I Les institutions et le droit e pouvoir constitutionnel, qui est une mise en forme du pouvoir politique par le droit, est exercé par des institutions (I) et suppose la formulation de règles juridiques (II). I. Les institutions politiques Une institution n’est autre qu’une action humaine dissociée de son auteur et considérée en elle-même. On raisonne en termes d’institutions lorsque l’on se fait une représentation abstraite d’une action et que cette représentation survit au changement de l’individu qui en a la charge. Dagobert est roi. Mais, lorsque Dagobert meurt, celui qui lui succède devient roi à son tour. L’institution royale survit à celui qui est « roi » à un certain moment. 1. L’existence des institutions Dans la vision traditionnelle de l’ordre politique qui fut celle des anciens régimes européens, il y avait des institutions en charge du pouvoir politique. Leur existence n’était pas vue comme le résultat d’une décision d’origine humaine. Elle était un legs de l’histoire et, de manière plus ou moins marquée selon les cultures nationales, était vue comme se conformant à la volonté divine. L’existence de ces institutions était, comme celle de toute chose, soumise à des lois supérieures : celle de Dieu, celle de la nature. S’agissant de préciser comment ces institutions devaient agir pour la réalisation du bien commun, on raisonnait très fréquemment en partant des institutions elles-mêmes, de manière à déduire les règles les L régissant d’une contemplation de leur nature propre. De la dignité spéciale du roi, de ses cours, de ses conseils, de la relation éminente qui l’unissait à son peuple, on pouvait tirer les maximes qui régissaient le royaume. Ce type de raisonnement est caractéristique de ce que l’on appellera (rétrospectivement, pour l’essentiel, hormis le cas spécifique de l’Angleterre) les constitutions coutumières. Le mot ne convient guère. Peut-être vaudrait-il mieux parler d’un ensemble institutionnel coutumier, car il y avait avant tout des institutions, dont l’existence juridique était fondée sur l’ancrage dans un passé très lointain, et auxquelles étaient reconnues en droit des qualités qui ne sont pas de nature. Au monarque, on reconnaît ainsi la capacité de ne pas mourir. Personne ne pense que le roi échappe effectivement à la mort, mais une distinction est opérée en droit entre son corps naturel et mortel, d’une part, et, d’autre part, son corps « mystique », ou « politique », qui ne l’est pas. Le résultat, incarné dans la fameuse maxime de la monarchie française : « Le roi est mort, vive le roi », est que la continuité de l’ordre politique était assurée. Ce qui doit attirer l’attention n’est pas que l’on ait inventé la fiction du corps mystique, parce qu’à toutes les époques le droit fait appel à la fiction (c’est-à-dire à la méthode juridique consistant à affirmer la réalité de certains faits, en contradiction avec les données de l’expérience, pour produire certaines conséquences de droit). L’important ici est que la fiction ait été greffée sur une personne, dont elle a visé à étendre les capacités naturelles. Lorsque l’on commença (assez tard) à employer le mot de « constitution », ce fut au sens d’une représentation de cet ensemble d’institutions et de règles déduites de leur nature. La constitution n’était pas à proprement parler composée de lois ni « inscrite » dans des textes. En France, à qui demandait où la trouver, on répondait qu’elle était inscrite « ès cœur des sujets ». La constitution écrite. Ensuite – et c’est encore l’époque à laquelle nous nous trouvons –, les choses se sont en quelque sorte inversées : loin de croire que les règles se déduisaient de la nature des institutions, on a pensé que des règles de droit, fruits de la volonté humaine, pouvaient engendrer des institutions politiques. C’est l’ensemble de ces règles que désigne le terme (non moins maladroit) de « constitution écrite », qui signifie que la constitution est désormais assimilée à une loi (v. infra). La frontière entre la constitution « coutumière » et la constitution « écrite » n’est pas nette du point de vue historique : on trouve très tôt (dès le xvie siècle) des tentatives pour uploads/Politique/ baranger-denis-le-droit-constitutionnel.pdf
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- Publié le Apv 17, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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