Lucien Cerise GOUVERNER PAR LE CHAOS Ingénierie sociale et mondialisation Max M

Lucien Cerise GOUVERNER PAR LE CHAOS Ingénierie sociale et mondialisation Max Milo ESSAIS-DOCUMENTS © Max Milo Éditions Collection Essais-Documents, Paris, 2010 www.maxmilo.com ISBN : 978-2-35341-074-3 Essais-Documents TABLE DES MATIERES ORDO AB CHAO POLITIQUE ET MASSIFICATION POLITIQUE ET MONDIALISATION QU’EST-CE QUE L’INGÉNIERIE SOCIALE ? LA STRATÉGIE DU CHOC LA CONDUITE DU CHANGEMENT LE SOCIAL LEARNING LA FABRICATION DU CONSENTEMENT LE TITTYTAINMENT LE PIED-DANS-LA-PORTE LE MIND CONTROL LE VIRTUALISME LA GUERRE CONTRE-INSURRECTIONNELLE LE REALITY-BUILDING LE MANAGEMENT NÉGATIF LA THÉORIE DE LA JEUNE-FILLE LE BIOPOUVOIR CONCLUSION PROVISOIRE L'APPEL DES RÉSISTANTS « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1793, article 35. ORDO AB CHAO Dans un article du 19 novembre 2008 paru dans le quotidien Li- bération, le philosophe Giorgio Agamben récapitulait ainsi les dé- buts de l’affaire dite « de Tarnac » : « À l’aube du 11 novembre, 150 policiers, dont la plupart appartenaient aux brigades antiterroristes, ont encerclé un village de 350 habitants sur le plateau de Millevaches avant de pénétrer dans une ferme pour arrêter neuf jeunes gens (qui avaient repris l’épicerie et essayé de ranimer la vie culturelle du village). Quatre jours plus tard, les neuf personnes inter- pellées ont été déférées devant un juge antiterroriste et “ac- cusées d’association de malfaiteurs à visée terroriste”. » Cagoulés et armés, les policiers et gendarmes ont rondement mené leur opération, déroulée sous le nez des journalistes, prévenus à l'avance, et d’une population locale choquée par la mise en scène intentionnellement spectaculaire et traumatisante. Âgés de 23 à 34 ans, les neuf individus arrêtés dans leur sommeil se retrouvaient mis en examen par le ministère de l’Intérieur pour avoir pris part à des sabotages de lignes de trains de la SNCF. Un ouvrage politique, intitulé L’Insurrection qui vient, rédigé par un « Comité invisible » anonyme mais attribué à ce groupe, sert de pièce à conviction aux policiers. On peut y lire des appels à la désobéissance civile et au sabotage des instruments du pouvoir, ce qui rattache ce texte à la mouvance qualifiée d’ultra-gauche, la- quelle serait grandement susceptible de passer à l’acte, toujours selon le ministère. Mais en dehors de ces suppositions, le dossier reste vide et les preuves matérielles ne se bousculent pas pour rendre l’accusation crédible. Une dizaine d’autres jeunes gens soupçonnés d’être liés à ce groupe ont été arrêtés le même jour ailleurs sur le territoire, mais rapidement relâchés, faute d’éléments à charge. Très vite, un autre comité, de soutien celui-là, se met en place, composé de proches des accusés, famille, amis, voisins, ainsi que d’intellectuels et de jour- nalistes sympathisants. L’accusation un peu rapide de terrorisme et la détention sans preuve qui se prolonge pourtant pour plusieurs personnes ont scandalisé pas mal de monde, bien au-delà des mi- lieux militants d’extrême gauche. D’autres collectifs de soutien poussent un peu partout en France et même à l’étranger ; des con- férences, des concerts et des manifestations sont organisés sur le mot d’ordre : « Sabotons l'antiterrorisme ! » Le samedi 31 janvier 2009, une de ces manifestations serpentait dans les rues de Paris à travers les 5e et 14e arrondissements. Une population hétérogène s’était au préalable rassemblée sur la place Edmond-Rostand, point de départ du défilé, entre les grilles vernies du jardin du Luxembourg et les colonnes du Panthéon au bout de la rue Soufflot. Le cortège se mit en branle en début d’après-midi et descendit vers le sud en direction de la prison de la Santé, où était encore embastillé Julien Coupât, l’un des neuf inculpés, présenté dans les médias comme le chef du groupe. Tout au long du parcours, des cordons de CRS bloquent l’accès aux rues perpendiculaires et canalisent le cortège dans une sorte de souricière dont le but est d’empêcher que l’on puisse s’approcher en nombre de la maison d’arrêt. Stoppés sur le boulevard Arago et se rendant compte trop tard de la manigance, des manifestants se mettent à envoyer des projectiles et à tirer horizontalement des feux d’artifice sur les CRS ; lesquels, protégés derrière leurs boucliers et leurs camions grillagés, ne risquent de toute façon pas grand-chose... la manifestation se dissout en une trentaine de mi- nutes, laissant derrière elle une ambiance d’émeute urbaine avortée ainsi que des panneaux publicitaires démolis. Pendant tout le défilé, le camion sono d’où bourdonne de la musique arbore une parodie de slogan peinte sur son flanc : « Al-Qaïda. Oui, c’est possible ! » De nombreuses personnes se sont munies de pancartes artisanales qui déclarent en substance « Nous sommes tous des terroristes ! » Des petits masques blancs, comme ceux du mouvement des stagiaires, sont distribués, sur lesquels on a écrit le mot TERRORISTE au marqueur. Bref, tout le monde réclame le statut de terroriste. Si- tuation qui nous fait irrésistiblement penser à la dernière séquence de V pour Vendetta, quand le peuple descend dans la rue pour prendre d’assaut le Parlement, chaque visage dissimulé derrière un masque identique à celui de l’homme le plus recherché du pays, un justicier à la Robin des Bois présenté dans les médias comme... un terroriste. Le fil conducteur de la suite des événements restera pour la postérité ce qu’il est effectivement convenu d’appeler une « bouffée délirante » de la justice française, condamnée à la fuite en avant pour ne pas perdre la face. Après des mois d’investigations, le dossier à charge est toujours aussi vide. Aucune preuve, rien, le néant. En dépit de cela, les mesures de détention et de contrôle policier s’empilant les unes par-dessus les autres sans aucun prin- cipe de réalité, une bonne vingtaine de personnes ont dû subir éga- lement de la garde à vue, et un dixième larron fut mis en examen pour avoir eu le malheur d’être sympathisant de ces dangereux épiciers. Alors pourquoi ? Avec un petit clin d’œil, il est aujourd’hui permis de se demander : de quoi l’affaire de Tarnac est-elle le nom ? Certes, des intérêts carriéristes particuliers ont probablement joué, quand des services du Renseignement ont eu besoin de s’inventer des ennemis pour ne pas disparaître dans des restructu- rations fatales, ou quand un conseiller en criminologie de l’Élysée s’est mis à voir des terroristes partout pour faire plaisir à l’un de ses premiers employeurs, la mairie de New York. Mais au-delà de ces petites tractations véreuses, cette histoire nous semble être le révé- lateur d’une véritable mutation du champ politique. On pourrait dire qu’apparemment il n’y a rien de neuf sous le soleil. L’anthropologie nous a appris que, de tout temps, le pouvoir a dû s’appuyer sur le mensonge et les boucs émissaires pour asseoir son emprise. Mais les stratégies mensongères de l’ordre ancien présentaient malgré tout au moins un avantage, celui d’offrir en plus à la majorité dominée un espace de stabilité sociale et psychique. Le chaos était l’ennemi de l’ordre. Au XXe siècle, de nouvelles formes de contrôle social sont apparues, que l’on peut rassembler sous le concept d’ingénierie sociale, et dont l’objet est non seulement de déréaliser la sphère publique, comme par le passé, mais en outre de déstructurer intentionnellement le corps social et le psychisme individuel dans les classes populaires. Aujourd’hui, le chaos est l’instrument de l’ordre. Ce nouvel ordre postmoderne, mondialisé, globalisé, résulte dès lors d’une alliance entre le mensonge, plus que jamais au cœur du système, et d’un certain nombre de techniques de déconstruction programmée des équilibres socioculturels. Le « pompier pyromane » est le nom de l’une de ces méthodes de marketing politique, qui consiste, par exemple, à créer en amont de l’insécurité pour créer en aval une « demande » de sécurité et y répondre par une « offre » sécuritaire. L’antiterrorisme, comme mode de gouvernement reposant sur la diffusion d’une peur inductrice de soumission dans les couches populaires, a donc absolument besoin de terroristes, réels ou fictifs. Il faut dès lors les créer, par l’entretien de conditions sociologiques favorables à leur émergence, ou, à défaut, de manière totalement imaginaire. Les vrais terroristes, les plus dangereux, sont ainsi ceux qui occupent le pouvoir et qui, depuis des décennies, travaillent à ce que nos banlieues et quartiers difficiles explosent, de sorte à main- tenir sous pression le bon peuple et à le pousser « librement » dans les bras d’une réponse politique répressive d’ampleur totalitaire. Des flics déguisés en « Black Blocks » ou en « racailles » complè- tent le tableau en venant grossir les troupes des casseurs de mani- festations. Mais chut, personne ne doit le savoir et tous doivent trembler devant les « bandes », les « barbus » et l’ultra-gauche, sortes d’épouvantails sur lesquels le système est entièrement fondé et sans lesquels il s’effondrerait rapidement. Pour résumer, la SNCF a mille fois plus à redouter de ceux qui sont en train de la privatiser que des saboteurs de caténaires. Notre objet d’étude est cette involution méthodique et planifiée dont l'analyse uploads/Politique/ null.pdf

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