L’indépendance des banques centrales renforce-t-elle l’efficacité des politique

L’indépendance des banques centrales renforce-t-elle l’efficacité des politiques économiques ? Sommaire Aujourd’hui, dans la plupart des pays développés, les banques centrales, qui sont en charge de la politique monétaire, sont indépendantes des gouvernements ; c’est notamment le cas de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Réserve Fédérale américaine (FED). Or, il semble établi que la politique monétaire menée par A. Greenspan, lors de son dernier mandat de gouverneur de la FED, serait une des causes de la crise économique et financière dite des subprimes. En effet, en maintenant les taux directeurs à des niveaux assez bas, il aurait contribué à la formation d’une bulle immobilière et financière, puis aurait ensuite favorisé son éclatement par le resserrement des conditions de crédit à partir de 2006, justifié par le retour de tensions inflationnistes. Dans ces conditions, il est possible de douter de l’aptitude d’une banque centrale indépendante à mener une politique monétaire limitant l’amplitude des cycles économiques. La banque centrale est l’institution en charge de la politique monétaire. Par l’intermédiaire de ses taux directeurs, elle contrôle la masse monétaire. On lui attribue traditionnellement trois fonctions principales : émettre la monnaie fiduciaire, assurer la supervision du système financier et jouer le rôle de prêteur en dernier ressort en cas de crise systémique. La notion d’indépendance appliquée à la banque centrale recouvre à la fois une dimension politique et une dimension économique. L’indépendance politique traduit l’absence d’interférence du pouvoir politique sur les décisions prises par la banque centrale mais aussi l’absence d’influence de celui-ci sur l’organisation institutionnelle de la banque centrale, notamment sur la nomination et la révocation des dirigeants, sur les statuts de la banque centrale, etc … [1]. De plus, la longueur du mandat du gouverneur de la banque centrale ainsi que la nature des responsabilités qui lui sont confiées sont un indice de cette indépendance politique. Quant à elle, l’indépendance économique traduit à la fois le libre choix des objectifs fixés (quantifiés ou non) et des instruments utilisés par la banque centrale mais aussi l’impossibilité de financer le déficit budgétaire des gouvernements par la création monétaire [2]. Pour opérationnaliser la notion d’indépendance de la banque centrale, les économistes ont tenté de la mesurer à l’aide de différents indicateurs, dans le but de pouvoir apprécier la performance relative des différentes banques centrales dans la conduite de leur politique monétaire. Il est traditionnellement distingué une mesure de :  l’indépendance légale de la banque centrale, réalisée principalement dans la littérature économique à l’aide de deux indices : l’indice GMT, du nom de ses concepteurs Grilli, Masciandaro, et Tabellini (1991), qui mesure l’indépendance politique et économique de manière binaire et l’indice de Cukierman (1992), plus complet et plus précis en ce qu’il évalue en continu le degré d’indépendance ;  l’indépendance réelle de la banque centrale qui tente d’évaluer l’indépendance effective, et non a priori, de la banque centrale, à l’aide d’indicateurs comme la faible fréquence de changement des gouverneurs de banque centrale ou encore l’absence de cycles électoraux. Ces deux indicateurs constitueraient la preuve d’une indépendance plus marquée de la banque centrale. Par ailleurs, la question de l’indépendance des banques centrales se pose ici sous l’angle de l’impact qu’elle aurait sur les politiques économiques, qui peuvent être définies comme l’ensemble des instruments dont disposent les pouvoirs publics pour atteindre certaines finalités à long terme, les principales étant d’assurer le bien-être maximum pour les générations présentes et futures, de garantir la solidarité nationale et de limiter les inégalités sociales. Il est coutume de distinguer les politiques conjoncturelles qui visent à réguler l’activité économique en poursuivant les quatre objectifs principaux mis en évidence dans le « carré magique » de N. Kaldor (croissance économique, plein-emploi, stabilité des prix et équilibre du commerce extérieur), et les politiques structurelles qui visent à agir sur les caractéristiques fondamentales de l’économie (garantir la concurrence et la liberté des prix, améliorer la compétitivité des industries…). Le sujet nous amène naturellement à focaliser notre attention sur les politiques budgétaire et monétaire, donc sur le versant conjoncturel des politiques économiques, et notamment sur leur efficacité que nous appréhendons comme leur capacité à atteindre les objectifs qu’elles se fixent. Au départ, l’indépendance des banques centrales, qui s’est très largement généralisée depuis le début des années 1990, surtout dans les pays développés, est un choix guidé par la volonté d’améliorer la conduite de la politique monétaire. Mais quelles sont les conséquences en termes de politique budgétaire de ce choix ? Est-il pertinent si l’on conçoit la régulation conjoncturelle comme le fruit de l’interaction entre les politiques budgétaire et monétaire et non pas comme un cloisonnement de celles-ci ? L’indépendance des banques centrales permet-elle vraiment d’améliorer l’efficacité de la politique économique conjoncturelle ? Nous présenterons dans un premier temps les avantages théoriques supposés de l’indépendance des banques centrales en termes de politiques monétaire et budgétaire. Puis, dans un second temps, nous pointerons du doigt les limites de cet arrangement institutionnel quant à la capacité de la politique économique à réguler efficacement l’économie. I- L’indépendance des banques centrales est censée, en théorie, améliorer l’efficacité des politiques économiques Les fondements théoriques de l’indépendance de la banque centrale partent de l’idée qu’une politique monétaire aux mains des gouvernements n’est pas dynamiquement efficace (A). Rendre indépendante la banque centrale permettrait non seulement de redonner de l’efficacité à la politique monétaire mais aussi à la politique budgétaire (B). A) A la base, l’inefficacité de la politique monétaire aux mains des gouvernements On peut faire reposer le point de départ de l’analyse théorique menant à la proposition que l’indépendance des banques centrales est un arrangement institutionnel souhaitable du point de vue de l’efficacité de la politique économique sur la critique de Lucas (1976). Il est le premier à avoir mis en évidence le fait que les anticipations des agents économiques s’adaptent aux politiques économiques menées, qui en retour doivent elles aussi s’adapter. Ainsi, toute politique économique discrétionnaire menée par un gouvernement générera une adaptation du comportement des agents qui viendra conditionner son efficacité, celle-ci dépendant de la nature des anticipations des agents (anticipations extrapolatives, adaptatives, rationnelles…). Cette critique a ouvert la porte à deux débats différents concernant la politique économique, et plus précisément la politique monétaire : celui concernant l’opposition entre politique de règle et politique discrétionnaire, et celui concernant l’indépendance de la banque centrale. L’approche de Lucas, et avec lui des Nouveaux Classiques, a mis en difficulté la conduite par les gouvernements d’une politique monétaire discrétionnaire efficace. Supposons que les deux principaux objectifs d’un gouvernement soient l’emploi et la stabilité des prix. Dans ce cas, le gouvernement peut utiliser la politique monétaire pour chercher à atteindre l’un ou l’autre de ces objectifs. Notamment, dans le cadre de la courbe de Phillips revisitée par Solow et Samuelson (1960), il existe un arbitrage possible entre inflation et chômage. Or, dans la version de la courbe de Phillips augmentée des anticipations (Friedman, 1968), cet arbitrage n’est possible qu’à court terme en cas d’anticipations adaptatives (les agents sont alors victimes d’illusion monétaire) et, à long terme, la politique monétaire perd son efficacité. On retrouve alors la dichotomie Classique entre sphère réelle et sphère monétaire, avec un retour au taux de chômage d’équilibre mais avec un niveau d’inflation plus élevée. Certains comme Sargent et Wallace (1975) vont même plus loin en montrant, sous l’hypothèse d’anticipations rationnelles des agents qui prennent leurs décisions en se basant sur toute l’information disponible et connaissent les « lois » traduisant le fonctionnement de l’économie, et de parfaite flexibilité des prix, qu’une politique monétaire expansionniste n’est jamais efficace. En effet, les agents anticipent parfaitement l’annonce des gouvernements et adaptent instantanément leurs comportements. On retrouve la neutralité de la monnaie même à court terme. Pour Sargent et Wallace, seule une politique discrétionnaire visant à surprendre les agents économiques pourrait être efficace à court terme pour rétablir l’arbitrage inflation- chômage. Mais ce type de politique ne fonctionnerait qu’une seule fois, les agents « sanctionnant » le gouvernement en élevant définitivement leurs anticipations d’inflation. On se retrouve alors face au problème d’incohérence temporelle des décisions de politique économique mis en évidence la première fois par Kydland et Prescott (1977) : dans ce cas, la politique économique qui maximise le bien-être social à court terme ne serait plus celle socialement optimale à long terme. Barro et Gordon (1983) ont appliqué ce raisonnement à la conduite de la politique monétaire. Pour eux, le gouvernement serait tenté de « tricher » en menant une politique monétaire plus expansionniste que celle qui lui permettrait de respecter la cible d’inflation annoncée au départ. Une fois les salaires nominaux fixés par négociation collective entre les partenaires sociaux, ce type de « surprise » permettrait de diminuer à court terme le niveau des salaires réels, et donc le chômage, au prix d’une inflation un peu plus élevée. Cependant, à plus ou moins long terme, selon que les partenaires sociaux formulent des anticipations rationnelles ou non quant à la « stratégie » menée par le gouvernement, cette politique perdrait de son efficacité et se traduirait par un niveau d’inflation uploads/Politique/ bcc-ind4.pdf

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