Extrait d’Une loyauté à toute épreuve de James Comey (Flammarion Québec) […] Un

Extrait d’Une loyauté à toute épreuve de James Comey (Flammarion Québec) […] Une loyauté à toute épreuve m’a dit qu’il avait entendu que d’autres avaient été invités et que ça devrait être un dîner de groupe. Ça m’a un peu rassuré. Le Président n’aurait pas dîné en tête à tête avec le direc- teur du FBI. Quelqu’un à la Maison-Blanche avait forcé- ment dû lui dire que ça ne se faisait pas, ou du moins plus depuis Nixon et Hoover. Je me souviens du jour où le Président Obama m’avait invité à discuter longuement avant ma nomination, car, comme il me l’avait expliqué : « Une fois que vous serez directeur, nous ne pourrons plus parler comme ça », c’est-à-dire converser de grandes ques- tions philosophiques. Le chef du FBI ne pouvait pas se retrouver à discuter en privé avec le Président des États- Unis ; surtout pas après une élection comme celle de 2016. Une telle situation compromettrait l’intégrité et l’indépen- dance que le FBI avait acquise à grand-peine. J’avais peur que ce soit précisément ce que Trump souhaitait. Je suis arrivé à la Maison-Blanche par West Excutive Drive, la petite route qui sépare l’entrée souterraine du bâtiment exécutif Eisenhower. L’équipe de sécurité du FBI a arrêté le véhicule devant l’entrée par laquelle je passais pour me rendre à la Situation Room. Je suis entré et j’ai annoncé à l’agent des services secrets qui se trouvait là que je venais dîner avec le président. L’air confus, il m’a invité à prendre un siège. Peu de temps après, une jeune femme m’a conduit à travers l’aile Ouest, le long de la Roseraie, jusqu’au rez-de-chaussée de la résidence. Elle a emprunté un escalier que je n’avais jamais vu auparavant, qui donnait près de la Green Room à l’étage principal. Tandis que j’attendais devant la porte, j’ai discuté avec deux stewards de la marine tout en guettant discrètement l’arrivée des autres convives. Les stewards étaient des Afro- Américains d’à peu près mon âge qui travaillaient à la 322 Tests de loyauté Maison-Blanche depuis une dizaine d’années. Ils mesu- raient bien plus d’un mètre quatre-vingts, mais ils avaient pourtant tous deux servi dans des sous-marins au cours de leur carrière. Naturellement, nous en sommes venus à parler de la place qu’on a à bord, et l’un d’eux m’a raconté que les couchettes faisaient un mètre quatre-vingt-treize de long, soit tout juste sa taille. Nous sommes convenus en riant qu’il valait mieux que j’évite les sous-marins. Devant la porte de la Green Room, en pleine discussion, j’ai fini par apercevoir la table, clairement dressée pour deux. L’une des places était ornée d’un carton calligraphié sur lequel on pouvait lire : « Directeur Comey. » L’autre place devait être celle du Président. Je me sentais mal à l’aise, et pas uniquement à l’idée d’avoir une troisième conversation sur les prostituées russes. Le Président est arrivé à dix-huit heures trente, et les compliments n’ont pas tardé à sortir de sa bouche. Voyant que j’étais déjà en train d’attendre dans le couloir, il a dit : « Ça me plaît. J’aime les gens ponctuels. Je crois qu’un dirigeant se doit d’être toujours à l’heure. » Il portait comme d’habitude un costume bleu foncé, une chemise blanche et une cravate rouge trop longue. Il n’a pas adressé la parole aux stewards et m’a fait signe d’approcher de la table, installée pile sous le lustre au centre de la pièce rectangulaire et autour de laquelle nous étions placés à un mètre vingt l’un de l’autre. Comme le nom l’indique, les murs de la Green Room étaient couverts de soieries vertes. J’ai lu par la suite que John Adams en avait fait sa chambre et Thomas Jefferson une salle à manger, mais, depuis, les présidents s’en étaient tous servis comme un salon. Ce soir-là, les meubles avaient été remplacés par une petite table à manger. Par-dessus 323 Une loyauté à toute épreuve l’épaule droite du Président, j’apercevais l’une des deux sta- tues de part et d’autre de la cheminée qui soutenaient sur leurs têtes le manteau de marbre, ce qui avait l’air très douloureux. Dans mon assiette, j’ai trouvé une grande carte couleur crème qui annonçait les quatre plats au menu en écriture cursive : salade, langoustines, poulet à la Parmesane accom- pagné de pâtes, et glace à la vanille. Le Président s’est mis à admirer son menu, qu’il a levé en l’air. — Ils écrivent ces trucs-là un par un, à la main, a-t-il dit d’un ton émerveillé en faisant référence au personnel de la Maison-Blanche. — Oui, c’est un vrai travail de calligraphe, ai-je répondu en hochant la tête. Il m’a regardé d’un air perplexe. — Ils les écrivent à la main, a-t-il répété. Au début du repas, à peu près au moment où les stewards nous ont apporté les langoustines, Trump a demandé de but en blanc : — Alors, qu’est-ce que vous voulez faire ? C’était une question étrange, et je ne l’ai pas comprise tout de suite, mais sans attendre ma réponse, il s’est lancé dans un monologue qui laissait peu de place au doute : est-ce que je voulais garder mon poste ? Il m’a dit que de nombreuses personnes voulaient diriger le FBI, mais qu’il avait une haute opinion de moi, qu’il avait entendu de bonnes choses à mon sujet et qu’il savait que les gens du bureau partageaient son avis. Malgré ça, il a affirmé qu’il comprendrait si je décidais de « me retirer », étant donné tout ce que j’avais traversé, même s’il a fait remarquer que ce serait une mauvaise option pour moi parce que je paraîtrais fautif. Il a fini en disant qu’il savait 324 Tests de loyauté qu’il pourrait « changer les choses au FBI » s’il le désirait, mais il voulait savoir ce que j’en pensais. La situation était plutôt claire. L’invitation à dîner en privé et le fait qu’il prétendait ne m’avoir pas déjà demandé de garder mon poste plusieurs fois m’ont convaincu qu’il essayait d’instaurer une relation de parrainage. Quelqu’un avait dû lui dire – ou bien il venait de se rendre compte – qu’il m’avait « donné » le poste « gratuitement » et qu’il pouvait obtenir quelque chose en échange. Cela ne faisait que rendre la chose encore plus bizarre : le Président des États-Unis m’avait invité à dîner et avait décidé de mettre mon avenir professionnel au menu. J’ai répondu qu’il pouvait bien entendu licencier le directeur du FBI quand il le voulait, mais que je voulais garder ce travail que j’aimais et que je pensais faire correc- tement. À l’origine, je n’avais pas envisagé de retourner travailler au gouvernement mais je trouvais le poste très gratifiant et je voulais finir mon mandat. Je sentais qu’il en attendait plus de moi, et j’ai ajouté qu’il pouvait compter sur moi pour être « fiable ». Pas au sens où les politiciens l’emploient parfois – un vote « fiable » pour un camp donné – mais il pouvait compter sur moi pour lui dire toujours la vérité. Je lui ai dit que je ne faisais jamais rien de sournois et que je ne divulguais rien. Cependant, je ne prenais jamais parti politiquement et je ne comptais pas vraiment dans la vie politique traditionnelle, ce qui allait dans l’intérêt du Président. Le FBI et le département de la Justice se plongent dans les enquêtes les plus controversées du pays, enquêtes qui impliquent souvent des membres importants de l’administration présidentielle, comme ça avait été le cas pour Karl Rove et « Scooter » Libby sous le gouvernement Bush. Le FBI arrive à travailler de façon crédible parce 325 Une loyauté à toute épreuve qu’il n’est pas – et n’a pas l’air d’être – un outil du Président. Sans cette réputation, le Président n’aurait plus aucun moyen d’enquêter sur son gouvernement, à moins de nommer un procureur spécial. Ce discours n’a pas eu l’air de le rassurer. Quelques instants plus tard, le visage grave, il m’a dit : — J’ai besoin de loyauté. J’attends de la loyauté. Durant le silence qui a suivi, je n’ai ni bougé, ni parlé, ni changé d’expression. Le Président des États-Unis venait de demander au directeur du FBI de lui être loyal. C’était surréaliste. Que ceux qui se sentent enclins à prendre la défense de Trump essayent d’imaginer le Président Obama inviter le directeur du FBI à dîner en tête à tête en plein milieu d’une enquête sur des membres haut placés de son gouvernement, discuter de son avenir professionnel et affirmer qu’il attend de lui la loyauté. Des gens apparaî- traient immédiatement sur Fox News pour appeler à sa destitution. Bien sûr, je n’imagine pas un seul instant Obama capable d’un tel comportement, pas plus que George W. Bush d’ailleurs. À mes yeux, cette requête res- semblait à la cérémonie d’intronisation de « Sammy the Bull » à la Cosa Nostra ; avec Trump dans le rôle du par- rain qui me demandait si j’avais les atouts nécessaires pour devenir un uploads/Politique/ extrait-d-x27-une-loyaute-a-toute-epreuve-de-james-comey.pdf

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