CHAPITRE 1 QU’EST-CE QUE L’ÉCONOMIE POLITIQUE ? 3 1 Qu’est-ce que l’économie po

CHAPITRE 1 QU’EST-CE QUE L’ÉCONOMIE POLITIQUE ? 3 1 Qu’est-ce que l’économie politique ? Dans la plupart des ouvrages d’économie politique, des considérations diverses — et souvent fort longues — précèdent l’introduction d’une définition mûrement pesée et considérée comme «incontestable» par son auteur. Nous préférons la démarche inverse : donner d’emblée la définition généralement acceptée de l’économie politique, et montrer ensuite qu’en dépit de sa rigueur, elle laisse subsister bien des incertitudes. • La section 1.1 développe le contenu de cet énoncé, d’un point de vue qui présente l’économie comme une science portant sur une forme particulière du comportement humain : celle qui résulte du phénomène de la rareté. Nous l’appelons la conception «formelle» de l’économie — qui s’avère peut-être excessivement large. • La section 1.2 commente la définition d’un autre point de vue, celui de l’objet matériel et concret de l’économie : production, distribution, consommation des biens et services. Une conception «réelle» de l’économie est ainsi présentée — dont les limites sont pourtant floues. • Enfin la section 1.3 avertit dès l’abord de la différence profonde qui caractérise deux méthodologies courantes en économie : l’approche positive et l’approche normative. Définition de l’économie politique Les auteurs contemporains définissent l’économie politique comme étant la science sociale qui étudie les comportements humains devant des moyens rares sollicités par des fins multiples. Les réflexions que suggère cet énoncé se groupent autour de deux thèmes complémentaires : le comportement économique, comme forme générale de toute activité humaine, et le domaine économique, comme champ particulier d’activité. 1.1 4 INTRODUCTION Section 1.1 La conception formelle §1 Besoins et moyens Le fondement de tout raisonnement économique se trouve dans une simple constatation : alors que la limitation caractérise la disponibilité des moyens, les besoins humains sont au contraire multiples et illimités. Sans doute, l’accession à des niveaux successifs de «richesse» permet-elle de combler certains d’entre eux, mais l’expérience quotidienne apprend que cette satisfaction même s’accompagne de l’apparition de nouveaux besoins, parfois même plus difficiles encore à assouvir. Face à la limitation des moyens, l’insatiabilité des besoins semble la règle. De la confrontation entre ces deux faits surgit le problème de leur compatibilité : si les besoins éprouvés par les hommes dépassent ce que les moyens disponibles leur permettent d’obtenir, il est impossible de les satisfaire tous complètement : il faut choisir. Pour chaque homme, des choix individuels (conscients ou non) doivent répondre à la question : à quels besoins consacrer mes ressources limitées, et dans quelle mesure? Au plan de la société, ce sont des choix collectifs semblables (formellement exprimés ou spontanément effectués) qui déterminent à qui les biens disponibles sont attribués. De cette nécessité d’«économiser» les moyens découle l’existence d’une science, qui puisse dire comment réaliser la meilleure combinaison des ressources limitées pour réaliser les objectifs désirés. §2 La rareté Si les moyens n’étaient pas limités, ou si les besoins n’étaient pas nombreux ou insatiables, il n’y aurait donc pas de problème économique. Ceci restreint, en fait, le domaine des «moyens» qui relèvent de l’économie politique : un objet sans utilité pour l’homme (« dont personne n’a besoin») ne donne lieu à aucune déci- sion humaine et ne saurait intervenir dans un problème de choix; de même, un objet en abondance telle que tous les besoins humains correspondants sont comblés jusqu’à la satiété, n’est pas «limité» par rapport à ses besoins; dès lors, la question de son affectation à tel ou tel usage ne se pose pas. Pour ce type de biens, appelés biens libres, le calcul économique et donc l’économiste sont inutiles. En revanche, et à l’opposé, les «biens économiques» sont les biens qui sont limités par rapport aux besoins. Ces biens sont appelés biens «rares». Au fait matériel de la limitation des moyens est maintenant ajoutée l’idée de rareté. Celle-ci est prise cependant dans un sens bien précis, propre à notre discipline : en économie, en effet, la rareté d’un bien ne désigne pas un faible degré d’abondance physique dans la nature, mais plutôt la relation entre le degré 1.2 CHAPITRE 1 QU’EST-CE QUE L’ÉCONOMIE POLITIQUE ? 5 d’abondance et l’intensité des besoins éprouvés par les hommes à l’égard du bien. L’air que nous respirons sur terre est, par exemple, un bien libre; mais dans une cabine spatiale ou sur une station lunaire, l’air est un bien économique car il y a rareté des quantités d’oxygène qui peuvent y être emportées, par rapport aux besoins des astronautes1. La notion économique de rareté reflète ainsi, dans le vocabulaire relatif aux biens, la tension entre besoins et moyens mentionnée au paragraphe précédent. Section 1.2 La conception réelle §1 Production, distribution, consommation… Il peut paraître satisfaisant de définir l’économie politique comme la science qui permet de déterminer la meilleure combinaison de moyens rares pour atteindre un objectif. Pourtant, une telle définition risque de dissoudre cette discipline dans une théorie générale de l’action finalisée où rien ne distingue l’activité économique de l’activité orientée vers la recherche du pouvoir, du salut ou du plaisir. «Si tout comportement impliquant une «allocation» de moyens est économique, alors la relation d’une mère à son bébé est également une relation économique, ou plutôt a un aspect économique, tout autant que la relation d’un employeur avec son ouvrier salarié» 2. D’autres exemples pourraient être donnés : le cas d’une partie d’échecs, de la stratégie militaire3, d’une élection présidentielle ou du salut de son âme… C’est pourquoi certains auteurs ne se contentent pas de définir l’économie comme une «forme» de comportement où le politique, le religieux, le militaire se confondent avec l’économique. Ils insistent sur l’objet réel de la science écono- mique. Celle-ci «s’intéresse d’une part aux opérations essentielles que sont la production, la distribution et la consommation des biens, d’autre part aux institu- tions et aux activités ayant pour objet de faciliter ces opérations» 4. 1 Sur terre, pourtant, l’air « non pollué » est-il encore un bien libre ? L’évolution contemporaine tend à rendre rares des biens qui jadis étaient libres. 2 Selon les termes de GODELIER, M., Rationalité et irrationalité en économie, Paris, Maspero, 1966, p. 19. 3 Une conception « économique » de la grenade est présentée dans le texte suivant qui se passe de commen- taire. « Des études de recherche opérationnelle ont montré qu’il était plus rentable de mettre hors de combat les fantassins ennemis plutôt que de les tuer sur place. Un homme mort ne constitue aucun poids pour l’adversaire mais, par contre, un homme grièvement blessé impose à l’ennemi une charge d’aide médicale, de brancardiers, d’évacuation vers l’arrière, immobilisant du personnel et des véhicules, perturbant ainsi le trafic sur les voies d’accès à ses terrains de combat. De plus, il a été démontré qu’un homme grièvement blessé sur le terrain au milieu de ses camarades, a un effet psychologique important sur le moral des soldats. Ceci explique qu’à la notion d’éclats mortels a été substituée la notion d’éclats efficaces… » Poudreries Réunies de Belgique s.a., Grenade à main et à fusil PRB–103, 1969, pp. 3 et 4. 4 Termes utilisés par MALINVAUD, E., dans ses Leçons de théorie microéconomique, Paris, Dunod, 1969, p. 1. 6 INTRODUCTION En d’autres termes, si tous les actes humains, qu’ils soient individuels ou collectifs, constituent l’objet de l’ensemble des sciences sociales, le domaine propre à l’économie politique se réduit aux actions qui impliquent la mise en œuvre de biens matériels dans une organisation donnée. §2 …Mais aussi les services, la cité… Et jusqu’où? Pourtant, il est de plus en plus évident que si l’économie politique d’aujourd’hui se préoccupe de la production, de la distribution et de la consommation des biens, elle étudie tout autant celles des services. Ainsi le musicien, l’avocat, le prêtre, le politicien qui reçoivent leur rémunération pour un concert, une plaidoirie, une messe ou une activité parlementaire font aujourd’hui l’objet de bien des analyses économiques. Mais alors, la prise en considération de ces services omniprésents risque de déboucher sur toute l’activité sociale : elle fait pénétrer l’économie dans le domaine du politique, du religieux, du psychologique… L’objet de l’économie politique se confond finalement avec celui de toute la science sociale, et porte sur l’ensemble du comportement de l’homme vivant en collectivités organisées5. Une telle perspective a l’avantage de mettre en lumière l’interdépendance entre les disciplines sociales et l’impossibilité d’une découpe systématique des domaines respectifs. Lorsqu’elle s’interroge sur son objet, toute science débouche sur les disciplines qui lui sont voisines. Cette nécessaire ouverture était déjà soulignée par J.S. Mill lorsqu’il écrivait : «il y a peu de chance d’être un bon économiste si on n’est rien d’autre. Étant en perpétuelle interaction, les phénomènes sociaux ne seront pas réellement compris isolément». Mais l’inconvénient d’une telle appro- che est, à nouveau, l’absence d’un critère permettant de délimiter nettement le domaine de l’économie politique. Ainsi, quel que soit le point de vue adopté — point de vue formel, selon lequel toute activité qui combine des moyens rares pour atteindre au mieux un objectif est économique, ou point de vue réel, qui voit l’activité économique comme portant sur la production, la distribution et la uploads/Politique/ chapitre-1-qu-x27-est-ce-que-l-x27-economie-politique.pdf

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