Dossier spécial 10 L ’ O b s e r v a t e u r d e B r u x e l l e s • N ° 1 1 2

Dossier spécial 10 L ’ O b s e r v a t e u r d e B r u x e l l e s • N ° 1 1 2 - Av r i l 2 0 1 8 L’espace judiciaire européen : évolutions récentes et perspectives Quelques remarques sur la place et les limites de la confiance mutuelle dans le cadre du mandat d’arrêt européen Lars Bay Larsen* Juge à la Cour de justice de l’Union européenne (* Les observations contenues dans cet article appartiennent à leur auteur et n’engagent pas d’autres organismes ou personnes) Si la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) existe, sous diverses appellations, depuis plus de soixante ans, la coopération judiciaire en matière pénale constitue un domaine de compétence de la Cour relativement récent. Marquée par ses débuts en marge des Communautés, en partant de la coopération intergouvernementale et plutôt informelle dans le cadre du groupe TREVI dans les années 1970 et les initiatives lancées dans le cadre de la coopération politique européenne dans les années 1980, en passant par l’accord de Schengen de 1985 et le « groupe de coordinateurs de Rhodes » qui, en 1989, proposa le « document de Palma ». La coopération judi- ciaire en matière pénale a fait son entrée dans le droit primaire dans le Traité de Maastricht, en tant que « troi- sième pilier ». Le Traité d’Amsterdam, qui fit glisser vers le premier pilier les politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration ainsi que la coopération judi- ciaire en matière civile et qui consacra dans les Traités l’objectif de maintenir et de développer l’Union en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ), insti- tua la possibilité pour les juridictions des Etats membres qui avaient fait une déclaration en ce sens, d’interroger la Cour, à titre préjudiciel, sur l’interprétation et la validité de certaines catégories d’actes adoptés dans le cadre du troisième pilier. Afin d’établir un tel ELSJ, le Conseil européen décida de se fonder sur le principe de reconnaissance mutuelle, un principe qui a joué un rôle déterminant dans l’achève- ment du marché intérieur1. Lors de sa réunion spéciale 1. Conseil européen, Conclusions de la présidence du Conseil européen de Tampere, 15 et 16 octobre 1999, point 33. 2. K. Lenaerts, « The Principle of Mutual Recognition in the Area of Freedom, Security and Justice », The Fourth Annual Sir Jeremy Lever Lecture, All Souls College, University of Oxford, 30 janvier 2015, pp. 1‑2. 3. Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24). de Tampere, les 15 et 16 octobre 1999, le Conseil euro- péen qualifia la reconnaissance mutuelle de « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale. L’idée sous-­ jacente était notamment de permettre une amélioration rapide de la coopéra- tion judiciaire en matière pénale sans devoir procéder à une harmonisation des législations pénales des Etats membres2. La décision-cadre 2002/584 relative au mandat d’arrêt européen (DC MAE)3, fut la première mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale. Les négociations de cet instrument au sein du Conseil, malgré leurs débuts difficiles, furent accélérées à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et aboutirent rapi- dement à l’adoption de cet instrument, au prix peut-être parfois de la clarté du texte. Depuis la fin de la période transitoire prévue par l’ar- ticle 10 du Protocole no 36 annexé aux TUE et TFUE par le Traité de Lisbonne, le 1er décembre 2014, la compétence de la Cour dans la dimension pénale de l’ELSJ est désor- mais soumise, à quelques exceptions près, au régime commun. Dans ce contexte, la Cour est de plus en plus souvent interrogée par les juridictions des Etats membres sur l’in- terprétation d’actes adoptés pour faciliter la coopération judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne, en particulier la DC MAE. La Cour a déjà rendu une trentaine d’arrêts en matière de mandat d’arrêt européen, dont environ un tiers en formation de grande chambre. Université de Namur - Bibliothèque Off Campus (extranet) / UNamur Extranet Off Campus (138.48.5.53) Quelques remarques sur la place et les limites de la confiance mutuelle dans le cadre du mandat d’arrêt européen www.stradalex.eu - 16/11/2021 Dossier spécial D O S S IE R S P E CIA L • L ’ E S P A C E J U D I C I A I R E E U R O P E E N : E V O L U T I O N S R E C E N T E S E T P E R S P E C T I V E S  11 Parmi les instruments de reconnaissance mutuelle qui ont été adoptés depuis les années 2000, le mandat d’arrêt européen est probablement celui qui est le plus souvent utilisé. Victime de son succès4, il a fait l’objet de vives cri- tiques notamment en raison de son utilisation en vue de la remise de personnes recherchées pour des infractions mineures5. Plus récemment, l’émission-­ retrait-émission de mandats d’arrêt européens à l’encontre de Carles Puigdemont par les autorités espagnoles a réanimé les débats autour de ce mécanisme clé de la coopération judiciaire en matière pénale entre les Etats membres6. Le principe de reconnaissance mutuelle, sur lequel est fondée la DC MAE, repose ­ lui-même sur le principe de confiance mutuelle. Si la notion de confiance mutuelle ne figure pas dans les Traités, elle est reprise dans nom- breux textes de droit dérivé et apparaît, dans la jurispru- dence de la CJUE, sous diverses appellations, dans des domaines très divers7. En matière pénale, dans le cadre du droit de l’Union, les Etats membres peuvent être tenus d’accepter l’appli- cation du droit pénal en vigueur dans les autres Etats membres, quand bien même la mise en œuvre de leur propre droit national conduirait à une solution diffé- rente8. Le principe de confiance mutuelle et, en particulier, la confiance réciproque entre les Etats membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs soient en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux, occupe une place centrale dans le système du mandat d’arrêt européen (1). Cela étant, il ne saurait être exclu que le système péniten- tiaire d’un Etat membre rencontre, en pratique, des diffi- cultés majeures de fonctionnement, de sorte qu’il existe un risque sérieux que, en cas de remise, la personne concernée soit traitée d’une manière incompatible avec ses droits fondamentaux. Une telle constatation soulève la question des limites de la confiance mutuelle dans le 4. K. Weis, « The European Arrest Warrant–A victim of its own success? », NJECL, vol. 2, no 2, 2011, pp. 124‑132. 5. Voir, notamment, conclusions de l’avocat général Yves Bot présentées le 2 mars 2016 dans l’affaire Bob-Dogi, C‑241/15, EU:C:2016:131, points 77 et suivants. 6. A. Weyembergh, « The Puigdemont case exposes challenges in the European Arrest Warrant », CEPS, 13 décembre 2017, p. 3. 7. Voir, notamment, E. Bribosia et A. Weyembergh, « Confiance mutuelle et droits fondamentaux : ‘Back to the future’ », CDE, no 2, 2016, p. 473 et L. Lebœuf, Droit européen de l’asile au défi de la confiance mutuelle, Limal, Anthemis, 2016, pp. 21‑59. 8. Voir, en ce sens, CJUE, arrêt du 11 février 2003, Gözütok et Brügge, C-187/01 et C-385/01, EU:C:2003:87, point 33. 9. Conseil européen, Conclusions de la présidence du Conseil européen de Tampere, 15 et 16 octobre 1999, point 1 et annexe. 10. CJUE, avis 2/13, du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 168. 11. Ibid., point 191. système du mandat d’arrêt européen, une question à laquelle la Cour a été confrontée dans l’affaire Aranyosi et Căldăraru (C-404/15 et C-659/15 PPU) (2). I. LA PLACE CENTRALE DE LA CONFIANCE MUTUELLE DANS LA DC MAE A. Un principe d’importance fondamentale en droit de l’Union Il est notable que le choix d’une large application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judi- ciaires dans le domaine de l’ancien troisième pilier lors du Conseil européen de Tampere ait été effectué parallè- lement à la fixation de la composition, des méthodes de travail et des modalités pratiques de fonctionnement de l’enceinte chargée d’élaborer le projet de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (Charte)9. La création d’un ELSJ devait, en effet, être ancrée dans un attachement commun à la liberté reposant sur les droits fondamentaux, sur des institutions démocratiques et sur l’Etat de droit. La Cour a jugé, dans l’avis 2/13, que la prémisse fonda- mentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 TUE, implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de uploads/Politique/ doc17.pdf

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