VERS UNE DÉMOCRATIE LOCALE DE L’EAU À PARIS ? Entretien avec Anne Le Strat, Pro
VERS UNE DÉMOCRATIE LOCALE DE L’EAU À PARIS ? Entretien avec Anne Le Strat, Propos recueillis par Emmanuel Dessendier, Anita Rozenholc Association EcoRev' | « EcoRev' » 2012/1 N° 39 | pages 35 à 37 ISSN 1628-6391 DOI 10.3917/ecorev.039.0035 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-ecorev-2012-1-page-35.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association EcoRev'. © Association EcoRev'. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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L’ensemble de la recherche technique et technologique dans le domaine de l’eau se fait via le secteur privé. Retrouver une ingénierie publique indépendante de tout intérêt marchand est donc un sujet fondamental. A l'international on retrouve le même problème avec plus ou moins d'acuité en fonction des pays. La Hollande par exemple a su conserver une recherche publique importante qui s’explique entre autres par une tradition longue de gestion publique de l’eau. Par ailleurs il n'existe pas de réseau de mutualisation des recherches portant sur des techniques alternatives à l’offre technologique dominante, pour améliorer l’accès à l'eau, le traitement, etc. Elles sont portées par un secteur de PME, innovant et expérimentateur, mais qui ne trouvent pas facilement de débouché commercial, le marché de l’eau étant très phagocyté par les grosses multinationales et leurs filiales. Certains pays comme Israël notamment qui subissent un fort stress hydrique ont mené des recherches sur des techniques alterna- tives d'usage et de production d'eau (irrigation au goutte-à-goutte, dessalement d'eau de mer, réutilisation des eaux usées, nuages artificiels, etc.). Mais certaines de ces techniques coûtent cher et peuvent avoir par ailleurs des coûts environne- mentaux non négligeables, comme le dessalement de l’eau de mer. Plus globalement la réponse technologique aux besoins en eau ne peut être la seule réponse, car cela reste centré sur une logique de la demande. On cherche à exploiter des ressources additionnelles sans poser la question de la pertinence des usages. On peut donc être face à un stress hydrique provoqué par un mauvais usage de l'eau. Anne Le Strat, présidente d’Eau de Paris, souligne les limites d’une politique de gestion par la demande menée par les entreprises du secteur privé. Depuis plusieurs années, la ville de Paris expérimente une politique de l’offre capable d’intégrer les préoccupations des usagers et plus largement en associant l’ensemble des parties prenantes (associations, sceteur privé, ...) à l’élaboration des décisions. Un laboratoire de gestion des communs ? Vers une démocratie locale de l’eau à Paris ? e Entretien avec Anne Le Strat © Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24) © Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24) LA GESTION DU COMMUN, À LA FRONTIÈRE POLITIQUE DU PUBLIC ET DU PRIVÉ - p.36 - Interrogeons-nous sur l’offre en eau des territoires avec leurs milieux et leurs écosystèmes et adaptons notre mode de développement en conséquence. Avons- nous besoin de golfs dans des pays chauds et secs ? de piscines privées dans des pays arides ? de jardins à l'anglaise et de pistes de ski dans les pays du Golfe ? Tous ces exemples pour moi ne sont pas seulement des aberrations économiques et écologiques, ce sont aussi des aberrations culturelles. Comme il existe un modèle économique dominant, il existe un modèle prédominant qui dicte des standards de vie totalement déconnectés de la réalité environnementale. Dans le même temps les populations qui ont de véritables problèmes d’accès à l’eau, qui ne bénéficient pas même du minimum vital, ne profitent pas des fonds investis dans ces recherches. Elles n’ont pas le pouvoir d’achat pour satisfaire ce marché d’innovations technologiques très lucratif… Comment palier ces dérives ? Dans une logique de bien commun, il me paraît donc important de sortir de cette logique de demande pour partir plutôt de l'offre existante, de réfléchir aux usages adaptés aux territoires, aux ressources et aux milieux : quel type de ressources avons-nous et comment peut-on y adapter nos villes, notre agriculture, l’ensemble de nos usages en eau ? Quels services rendre à la population et où se situe l’intérêt général ? Sans nier l’intérêt d’une ingénierie technique il faut également développer l’ingénierie sociale afin d’interroger nos pratiques socio-économiques. Cela touche aussi un concept émergent qu’est la notion de l'eau virtuelle. Toutes nos activités consomment de l’eau. Les modes de production, de fabrication industrielle, les habitats, les productions et pratiques agricoles, etc. ont un impact substantiel sur les ressources en eau. Prenons un seul exemple parlant, l’alimen- tation : avoir un régime carné ou végétarien a des incidences fortes sur la consom- mation d’eau. Les politiques agricoles, qui prélèvent en moyenne dans le monde 70% des ressources en eau sont évidemment directement concernées. Tous les pays n’adoptent pas la même stratégie face à ces enjeux. Par exemple la Jordanie et l’Égypte ont développé des politiques complè- tement différentes quant à l’agriculture et à leur souveraineté alimentaire. La Jordanie en stress hydrique important, importe des biens agricoles de pays qui n'ont pas de problème de ressources en eau, plutôt que d'essayer d'avoir des ressources addition- nelles, ce qui couterait plus cher ou exigerait une fuite en avant technologique. L’Égypte a contrario vise l'autosuffisance alimentaire et ne veut pas importer de produits agricoles. Elle surexploite en conséquence les eaux du Nil au détriment de pays comme l’Éthiopie ou le Soudan, via de gros ouvrages et infrastructures comme les barrages qui ont de forts impacts environnementaux en sus des tensions "hydrogéopolitiques" que cela génère. Mais comment peut-on être dans une logique de communs, si l'on ne considère que l'eau sans la connecter aux autres communs ? Je suis bien entendu d'accord pour dire que l'on ne peut pas déconnecter notre réflexion sur l'usage de l'eau de la réflexion sur tout ce qui constitue les communs : le sol, la façon dont on pense la ville et la ruralité, la façon dont on produit, la façon même dont on pense la démocratie, etc. Au conseil de Paris du 19 mars, nous avons débattu de notre politique municipale de l’eau autour d’une communication intitulée "le service public de l’eau à Paris : une gestion écologique, économe, globale et solidaire". Soulignant le caractère trans- versal, multisectoriel, métropolitain de l'eau nous avons dressé des perspectives quant à de nouveaux usages, à sa prise en © Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24) © Association EcoRev' | Téléchargé le 05/01/2022 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24) VERS UNE DÉMOCRATIE LOCALE DE L’EAU À PARIS ? compte dans la résilience d’une ville- capitale très urbanisée, à son intégration comme élément de bien-être dans la ville. Cela touche l’ensemble des politiques publiques conduites par Paris : l’urbanisme, les espaces verts, la protection de la ressource, le zonage pluvial, la bioclima- tique, les canaux, le droit social et l’accès à l’eau (pour les SDF et les squatteurs, partenariats avec les bailleurs sociaux…), etc. Ce sont des enjeux de décisions politiques mais aussi des enjeux de démocratie locale. Nous avons donc réfléchi sous l'angle du bien commun, aux usages d'une ressource intégrée dans un territoire, sous l’angle des missions de service public à rendre à la collectivité et à ses habitants. Notre action municipale dans ce domaine s’inscrit donc parfaitement dans la gestion d’un bien commun. Mais dans le contexte marchand dominant, comment les citoyens peuvent-ils adhérer et participer à ce projet ? En reprenant en main la gestion collective de l'eau, nous avons accompagné notre réforme de la mise en en place d’outils d'appropriation citoyenne et démocratique. Nous avons créé un observatoire parisien de l'eau ouvert à tous, instance de propo- sition et de concertation, qui débat des sujets liés à la politique municipale de l’eau et devant lequel nous rendons compte de notre action en la matière. De plus nous avons un conseil d’administration de la régie pluraliste dans lequel se côtoient élus de Paris, représentants du personnel, et membres d’association des usagers et uploads/Politique/ ecorev-039-vers-une-democratie-locale-de-l-x27-eau-a-paris.pdf
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- Publié le Oct 02, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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