L'Espagne wisigothique Michel Zimmermann Professeur émérite d'histoire médiéval

L'Espagne wisigothique Michel Zimmermann Professeur émérite d'histoire médiévale à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Ancien membre du Conseil Scientifique de la Casa de Velazquez (Madrid). Les Wisigoths, rameau occidental du peuple des Goths apparaissent dans l'histoire de l'Europe au cours du IIIe siècle après J.-C., au moment des invasions barbares, vaste migration des populations germaniques d'Europe centrale en direction des frontières de l'Empire romain. Le royaume wisigoth de Tolède (507-711) constitue un moment essentiel de l'histoire de la péninsule Ibérique au Moyen Æge. La synthèse entre la vigueur de l'héritage romain et le dynamisme du peuple wisigoth fit du VIIe siècle un moment de grande prospérité culturelle, cependant que s'y affirmait une première forme de conscience nationale. Michel Zimmermann nous entraîne à la découverte de ce peuple et de ce royaume wisigoths qui jouèrent un rôle décisif dans la formation de l'Espagne médiévale. Les migrations des Wisigoths Appelé à marquer durablement l'histoire de l'Espagne, le peuple des Wisigoths ne gagne la péninsule qu'au terme d'un long périple. Originaires de la basse Vistule, ils s'installent au début du IIIe siècle dans les steppes de la mer Noire, où ils se divisent en deux rameaux, les Ostrogoths et les Wisigoths, ces derniers occupant l'ancienne Dacie au nord du Danube, abandonnée par les Romains. Au contact de l'Empire, le peuple goth se convertit au christianisme, mais il se rallie à l'hérésie arienne, qui réfute la croyance à l'Incarnation et à la Trinité. À la suite de l'évangélisation de l'évêque Ulfila, une église gothique se constitue vers 340 ; l'arianisme restera longtemps un élément essentiel de l'identité gothique. L'arrivée des Huns venus d'Asie centrale contraint en 376 les Wisigoths à demander asile dans l'Empire ; installés en Thrace et Mésie – actuelle Bulgarie – ils se soulèvent en 378, écrasent une armée impériale, gagnent l'Illyrie en 382 et ravagent les Balkans. Se tournant ensuite vers l'Italie, leur roi Alaric s'empare de Rome en 410 qu'il met à sac. Après avoir renoncé à gagner l'Afrique du Nord, les Wisigoths pénètrent en Gaule, s'emparent de Narbonne et atteignent l'Espagne ; leur souverain se met au service de l'Empire et reçoit mission de débarrasser la péninsule Ibérique des Vandales qui la dévastent depuis 409. En 418, l'empereur Honorius le rappelle et installe le peuple wisigoth entre Loire et Garonne, avec le titre de fédérés, en vertu du régime de l'hospitalité qui concède aux peuples barbares des terres en échange du service militaire. Établi à l'intérieur de l'Empire romain, le royaume wisigoth de Toulouse devient ainsi le premier royaume barbare. Accueilli collectivement, le peuple wisigoth conserve sa liberté et ses institutions, mais place ses forces au service de la défense de l'Empire. De 418 à 451, Théodoric Ier aide les Romains à restaurer la paix en Espagne. Son successeur anéantit en 454 les troupes de Bagaudes, paysans insurgés qui ravagent la vallée de l'Ebre. La mort d'Aetius (454) ayant mis fin à toute présence romaine au sud de la Loire, le royaume wisigoth s'étend dans toutes les directions. Théodoric II (453-461) repousse les Burgondes à l'est du Rhône et contraint les Suèves à se cantonner en Galice. Euric (466-484) s'empare de la Tarraconaise et se rend maître de toute la péninsule, puis étend sa domination jusqu'au Rhône et à la Loire ; il se comporte en souverain indépendant, frappe monnaie, rédige vers 475-477 avec l'aide de juristes romains un Code de lois gothiques ; il prétend régénérer l'Empire à l'aide de la force gothique, mais, arien convaincu, manifeste une certaine hostilité au clergé catholique, dont plusieurs évêques sont exilés. Après la disparition de l'Empire romain en Occident, Alaric II (484-507) doit affronter l'expansion des Francs, stimulée par la conversion de Clovis, qui lui assure la sympathie active du clergé catholique dans le royaume arien. En 507 l'armée des Wisigoths est écrasée par les Francs à Vouillé, près de Poitiers ; Alaric est tué au cours de la bataille. Si l'intervention du roi ostrogoth d'Italie Théodoric le Grand, grand-père du prince héritier Amalaric, sauve les Wisigoths de l'anéantissement, leur royaume est transféré en Espagne. Il ne conserve au nord des Pyrénées que la Septimanie – actuel Languedoc, entre Pyrénées et Rhône– et la Provence. La majeure partie du peuple wisigoth – deux cent mille personnes environ – s'installe en Vieille Castille, dans une région qui sera longtemps appelée les Champs Gothiques, cependant que des garnisons sont disséminées dans les principales cités de la péninsule. De 507 à 549, le nouveau royaume reste soumis à la tutelle des Ostrogoths qui rétablissent la paix et mettent en place un système d'administration « dualiste » fondé sur une rigoureuse séparation entre les deux composantes de la société, Wisigoths et Hispano-Romains ; chaque peuple est régi par son propre code de lois, le métier des armes est réservé aux Wisigoths et les mariages « mixtes » sont interdits. L'attachement du peuple wisigoth, qui dispose du monopole du pouvoir, à la religion arienne accentue le clivage le séparant des populations hispano-romaines, encadrées par la hiérarchie catholique. Si la dynastie nationale est restaurée sous le règne d'Amalaric (525-531), le jeune roi est assassiné par Theudis (531-548). Installant sa capitale à Barcelone, ce dernier repousse une invasion des Francs, qui ne se résignent pas à voir le sud de l'ancienne Gaule demeurer au pouvoir de leurs ennemis. Une durable inimitié oppose les Wisigoths à leurs voisins septentrionaux, où les mobiles religieux se conjuguent avec un contentieux territorial. Le protectorat ostrogoth s'achève avec le règne de Theudisèle, assassiné à son tour en 549. Du royaume arien au royaume catholique À l'exception au nord-ouest de la Galice, où survit dans l'isolement le royaume des Suèves, le « royaume d'Espagne et de Gaule », ainsi que s'intitule désormais le royaume wisigoth, embrasse la quasi-totalité de la péninsule Ibérique. S'il retrouve une entière souveraineté, son existence est tumultueuse. La conception patrimoniale du pouvoir étant étrangère à la tradition gothique, aucune dynastie ne parvient à s'implanter durablement. La royauté est ainsi l'enjeu des rivalités des familles de la noblesse, l'insurrection et l'assassinat mettant un terme à la plupart des règnes. Une faiblesse que leurs voisins francs dénoncent d'ailleurs sous le nom de « maladie gothique ». L'histoire de l'Espagne wisigothique s'étend sur deux siècles que sépare presque par moitié la conversion du peuple goth au catholicisme. Les historiens ont l'habitude de distinguer le royaume arien (le VIe siècle) du royaume catholique (le VIIe siècle). En 549, un clan aristocratique porte au pouvoir Agila (549-555), qui s'efforce en vain de soumettre à son autorité les villes de Bétique – dont Cordoue – où restent solidement implantées les grandes familles sénatoriales romaines. En 551 à Séville, Athanagild se soulève et fait appel aux troupes byzantines dont une armée occupe progressivement le sud de la péninsule, de Cadix à Denia, avec les ports de Malaga et Carthagène, sans doute base de départ pour une reconquête totale de la péninsule envisagée par Justinien. Régnant de 555 à 567, Athanagild transfère sa résidence à Tolède ; il se rapproche des vieux ennemis francs en mariant ses deux filles Brunehaut – « la plus belle perle qui nous soit venue d'Espagne », selon le poète Fortunat – et Galswinthe à des souverains mérovingiens. À sa mort, l'aristocratie de Septimanie, régulièrement animée de tentations séparatistes encouragées par les Francs, élit comme roi le duc Liuva. Les Tolédans l'obligent cependant à partager le pouvoir avec son frère Léovigild, qui épouse la veuve d'Athanagild et règne sur l'ensemble de l'Espagne ; à la mort de Liuva (569), il étend son autorité à l'ensemble du royaume. Le règne de Léovigild (569-586), l'un des plus brillants de la période wisigothique, répond à la mise en œuvre d'un programme fondé sur la volonté d'unifier la péninsule et d'exalter l'autorité royale afin de la rendre moins vulnérable. Le souverain s'attache d'abord à réaliser l'unité territoriale ; il reprend Cordoue et Malaga aux Byzantins, pacifie la Bétique (570-573), puis entreprend de soumettre les populations montagnardes de Cantabrie et de Vasconie, restées étrangères à la civilisation romaine. Il conquiert la Cantabrie et le Léon, s'assure le contrôle les Vascons par la fondation de la ville de Vitoria en 581. En 585, il conquiert et annexe le vieux royaume suève. Depuis Tolède dont il fait une véritable capitale avec une administration centrale développée au Palais, il pratique de manière systématique l'imitation des empereurs romains, dont la présence byzantine dans le sud de l'Espagne entretient le souvenir. Reprenant le surnom de Flavius, conservé par tous ses successeurs, il adopte les insignes du pouvoir impérial – couronne, trône, manteau de pourpre – , frappe une monnaie d'or à son effigie, fonde la ville royale de Récopolis, et tente de constituer une dynastie en associant son fils au pouvoir. L'unification sociale est favorisée par l'adoption d'un nouveau code de lois, le code révisé où est supprimée l'interdiction des mariages entre Wisigoths et Hispano-Romains. Comme la différence religieuse entre les habitants demeure le principal obstacle à la fusion, Léovigild réunit en 580 à Tolède un concile du clergé arien qui impose la conversion uploads/Politique/ espagne-wisigothique.pdf

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