1 Lundi 17 décembre 2014. ÉTHIQUE & SOCIÉTÉ : L’OPINION PUBLIQUE L’opinion publ
1 Lundi 17 décembre 2014. ÉTHIQUE & SOCIÉTÉ : L’OPINION PUBLIQUE L’opinion publique . Un concept difficile à cerner On ne peut pas donner une définition unique de l’opinion publique. Bien que la notion soit de plus en plus utilisée, elle est extrêmement complexe. La difficulté de tracer des limites entre l'individualité des jugements et leurs composantes collectives, de même que l'interactivité incessante entre les opinions qui relèvent de réflexions personnelles et celles qui empruntent à l'héritage culturel en font un objet trop mouvant et hétéroclite pour tenir dans une formule. La définition devient plus complexe encore si l'on songe aux différents rôles qu'on lui fait tenir dans les démocraties modernes, aux nombreux miroirs médiatiques et institutionnels qui se disputent son incarnation, sa reconnaissance, voire son rejet. Miroirs qui, de fait, contribuent progressivement à la constituer comme sujet prenant conscience de lui-même à travers ses reflets et capable d'imposer de plus en plus activement ses jugements (dont la force tient de leur « représentativité »). Le paradoxe vertueux de cette évolution est atteint quand l'opinion publique développe des mouvements d'autocritique, notamment après des rumeurs dévastatrices suscitant de vastes reflux. Elle se constitue de la sorte en un véritable sujet réfléchissant sur ses assouplissements nécessaires, sur ses potentialités d'ouverture et de vérification, tout en aspirant à des responsabilités inédites d'ordre politique et même intellectuel (inflexions vers une « démocratisation de l'expertise » et une représentativité citoyenne élargie, développement des mouvements consuméristes et associatifs). Le terme « public » est également vaste, mouvant et complexe. Il s'emploie comme adjectif par opposition au terme « privé ». Il s'utilise également comme substantif : le public. Dans ce cas, il tend à se confondre avec la foule. Il peut aussi désigner un ensemble d’individus qui partagent une série de points et d’intérêts communs. On ne peut aujourd’hui que constater l’omniprésence du terme d’opinion publique, aussi bien dans les médias que dans les discours de nos dirigeants politiques. En effet, on semble être inondé de chiffres et de commentaires à propos de ce « que pensent les Français » sur tel ou tel sujet public ; de l’éternelle cote de popularité de nos représentants au bien fondé de la guerre en Irak ou au Mali, « les Français » sont sans cesse questionnés. Or, on se rend compte qu’aucun effort de définition n’est fait sur cette notion d’opinion publique, pour le moins assez flou. 2 Un peu de sémantique, donc … Etymologie : du latin opinio, opinion, avis, idée préconçue, préjugé, conjecture, croyance, illusion. Une opinion est un avis, un jugement personnel que l'on s'est forgé sur une question ou un sujet en discussion qui ne relève pas de la connaissance rationnelle. L'opinion, même si elle est affirmée avec conviction, est un jugement qui n'est pas nécessairement juste. Surtout au pluriel, l'opinion est aussi une manière de penser, un ensemble d'idées, une doctrine. Exemple : les opinions politiques. L'opinion personnelle est émise par un individu et lui est propre. L'opinion publique ou, de manière elliptique, "l'opinion" est une représentation de la manière de penser d'une société dans son ensemble, collectivement. Exemple : braver l'opinion. Par extension, l'opinion désigne parfois le public lui-même. Exemple : une affaire de mœurs qui a frappé l'opinion. D'un point de vue philosophique, l'opinion est critiquée parce elle n'est pas fondée sur le raisonnement et qu'elle se donne. L’opinion publique serait-elle, alors, l’avis d’individus donné publiquement ? Ou leurs avis sur des thèmes d’ordre public ? Un premier problème apparaît, celui de la définition délicate de l’expression. Si elle semble en permanence employée, elle ne représente pourtant pas quelque chose de précis. Un peu d’histoire …. Pour comprendre ce qui se cache derrière cette notion abstraite, il faut nécessairement connaître les sens qu’elle a pu revêtir au cours de l’histoire. Passons sur l’Antiquité et les philosophes grecs, Rabelais et Panurge, au XVIIème siècle, la notion existait déjà et désignait l’ensemble des idées partagées par un groupe social, une appréciation raisonnable sur les actions du gouvernement. Il s’agissait en somme d’un « tribunal critique » des rois et des législateurs, un contrepoids à l’absolutisme royal. . Mais l’opinion publique se distinguait de l’opinion commune, c’est-à-dire qu’elle émanait d’individus éclairés, informés, et cultivés. Comme le soulignait Condorcet, l’opinion publique n’englobait pas le peuple, « cette multitude aveugle et bruyante ». Il ne reste aujourd’hui de cette définition, selon Jacques Lagroye,[ Universitaire français (1936-2009) spécialiste de sociologie politique. Il fut conseiller secret d’Alain Savary, on lui doit un ouvrage sur J Ch Delmas] que « la croyance en un corps de croyances, d’aspirations et d’appréciation sur la politique appartenant à la population qui peut exprimer ses attentes communes sur le gouvernement ». Il est intéressant de constater le changement sémantique. Au XVIIIème siècle, l’opinion publique ne pouvait être formulée que par une élite savante, alors qu’aujourd’hui elle est émise par le peuple. 3 Néanmoins, l’opinion n’en apparaît pas pour autant comme réelle, et reste abstraite, impalpable. Dire qu’il existe une opinion publique représentant fidèlement l’avis d’une population, c’est présumer qu’il y aurait eu un consensus entre les individus ; or ces derniers ne se sont pas concertés et élever l’opinion d’une majorité (et non pas de tous) au rang de volonté générale semble dangereux. On s’étonne alors de voir la place grandissante qu’elle prend dans le discours politique ou journalistique à partir des années soixante en France, avec le succès des sondages et enquêtes d’opinion. Elle est à la fois revendiquée par les hommes politiques, identifiée comme vérité absolue par les médias et ne cesse d’être mesuré par les instituts de sondages. Trois points, d’abord, pour traiter l’aspect « définition » puis nous verrons ce qu’en pense Pierre Bourdieu, sociologue, spécialiste de ce concept Comment, d’une abstraction, l’opinion publique a t elle pu accéder au statut de réalité servant de base au discours politique et médiatique ? Si l’opinion publique prend une consistance grâce aux sondages qui la font exister à titre de réalité concrète, il semble préjudiciable de s’en prévaloir car cette « réalité » demeure mouvante, voire déformée car le concept n’a pas le même sens selon qui l’utilise. Et enfin, d’abord, comment les sondages ont permis à l’opinion publique d’exister en tant que réalité, et d’autre part, que son utilisation dans le discours public modifie en permanence sa définition. Ce qu’en pense Pierre Bourdieu : les limites et les critiques. 4 I. L’opinion publique : un concept abstrait devenu réalité grâce aux sondages Le changement sémantique intervenu au XXème siècle fait de l’opinion publique une notion délicate à définir puisque abstraite et émanant d’une « masse » difficilement identifiable. L’arrivée des sondages dés les années trente aux Etats-Unis, et dans les années soixante en France, a permis à l’opinion publique d’accéder au statut de réalité mesurable scientifiquement. Désormais, il est communément admis que le résultat des sondages reflète exactement l’opinion publique et la croyance en représentation sert de base au discours politique. A) L’assimilation entre l’instrument et le concept Le sondage d’opinion est l’instrument qui permet de « mesurer » l’opinion publique. Cette méthode qui s’est perfectionnée au cours du XX ème siècle, remporte un succès considérable et a transformé la manière de concevoir l’opinion publique. 1° Le succès de la méthode sondagière Un sondage d’opinion est une méthode qui consiste à interroger un échantillon statistiquement réduit d’une population donnée. Les résultats du sondage deviennent alors la mesure de ce que pense la population sur la question posée. Cette méthode permet un résultat rapide et immédiat. On a coutume de dire qu’il s’agit d’une photographie de l’état de pensée d’une société à un moment précis. {|l’instant T disait J Chirac] Son caractère scientifique lui permet de jouir d’une présomption d’exactitude et de fiabilité. Face à des représentations préexistantes de l’opinion publique comme les grands éditorialistes qui la font intervenir sans médiation dans leurs écrits ou les élus qui s’autorisent à parler en son nom, le résultat du sondage apparaît comme plus juste et plus proche la réalité. La multiplication des instituts de sondages atteste du succès. En France, il en existe plusieurs comme l’IFOP ou la SOFRES. La naissance d’une industrie du sondage voit donc le jour, créant un marché de l’opinion. Depuis, les journaux comme les organisations politiques commandent des sondages afin de « prendre connaissance de l’opinion ». Au vu de la définition de l’opinion par les sondages (fondée sur la science et sur le nombre), ces derniers peuvent s’analyser comme un dispositif d’objectivation réussi de l’opinion et leurs résultats comme la nouvelle réalité de l’opinion publique. Ils ont aussi transformé la manière de concevoir l’opinion publique. 2° La transformation dans la manière de concevoir l’opinion publique Les sondages d’opinion imposent une nouvelle logique, celle du nombre et de la représentation proportionnelle, ils proposent une image ressemblante du peuple. En un peu plus d’une dizaine d’années, après la naissance des sondages (1935 pour les Etats-Unis), ils auraient réussi à « transformer la notion d’opinion publique de concept ambigu en construit mesurable ». Ils donnent à uploads/Politique/ expose-17-12-2014-l-d-lopinion-publique 1 .pdf
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- Publié le Mar 28, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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