CHAPITRE II: CONFLIT DES GENERATIONS : ASPECTS DEFINITIONNELS ET MANIFESTATIONS

CHAPITRE II: CONFLIT DES GENERATIONS : ASPECTS DEFINITIONNELS ET MANIFESTATIONS SOCIALES, PROFESSIONNELLES ET POLITIQUES DU CONFLIT DES GENERATIONS EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE 2. 1. Le conflit des générations: aspects définitionnels D’emblée, soulignons que ce chapitre, consacré au contexte environnemental du conflit des générations en Afrique sub-saharienne, va s’attacher à ses manifestations sociales, professionnelles et politiques. Reconnaissons que le conflit des générations est une expression polysémique. Celle-ci revêt plusieurs significations, qui varient, dans l’espace et dans le temps, selon les penseurs européens et africains. Pour éviter tout malentendu, il convient, dans l’optique de notre analyse, d’élucider cette expression. On voudrait, avant d’aborder ceux des critiques africains, d’abord s’attacher à l’examen des points de vue des théoriciens européens: Lewis S. Feuer, Josette Rey-Bove, Alain Rey, Robert Marty. Les penseurs africains retenus sont les suivants: Ahmadou Kourouma, Ngal Mbwil a Mpang, Amin Azimi et Alexie Tcheuyap et, enfin, les avis de Seydou Badian et Marcel Khombe Mangwanda. Dans son ouvrage intitulé Eistein et le conflit des générations, Lewis S. Feuer (1974: 18) énonce que le conflit des générations est « toute pulsion qui qualifie au sens large tout mouvement conflictuel caractérisant une classe d’âge par opposition à une autre. ». Cette opinion est également partagée par Josette Rey-Bove et Alain Rey. Ceux-ci définissent, dans Le Nouveau Petit Robert (2004: 510), le conflit des générations comme étant la « …rencontre d’éléments, de sentiments contraires qui opposent la nouvelle génération appelée génération montante ou sacrifiée à celle dite des aînés ou des prédécesseurs ». 22 Partant de l’observation de ces critiques, il découle l’idée selon laquelle le conflit des générations est un mouvement d’un groupe vers l’autre, ou encore la rencontre de deux groupes, de deux sentiments contraires entre la nouvelle génération et l’ancienne génération. Dans son livre, Conflit des générations, Robert Marty (2010: 50) définit ce groupe nominal comme un « choc, heurt se produisant entre différentes générations lorsque des éléments, des forces antagonistes entrent en contact et cherchent à s’évincer réciproquement. ». De ces définitions, il ressort que le conflit des générations est un antagonisme, une compétition, un désaccord, une opposition entre deux ou plusieurs générations vivant au sein d’une même société. Il correspond à des expériences distinctes et provient des visions du monde différentes lorsqu’on ne s’efforce pas, à temps, de dégager les principes de justice qui devraient régir les intérêts divergents qui animent ces générations. Au regard de toutes ces définitions proposées par des théoriciens européens, on peut déduire que le conflit des générations est un antagonisme, une lutte, une opposition entre deux générations, la nouvelle génération qui aspire au changement et l’ancienne qui refuse et rejette le changement. Dans l’optique des penseurs africains, on va porter l’attention, respectivement sur les définitions d’Ahmadou Kourouma, Ngal Mbwil a Mpang, Amin Azimi et Alexie Tcheuyap, et on s’attachera à celles de Seydou Badian et de Marcel Khombe Mangwanda. Cela parce que leur opinion respective s’inscrit dans le cadre de notre analyse. Pour Ahmadou Kourouma (1970: 13), le conflit des générations est « un antagonisme de toute forme d’oppression du peuple par l’autorité politique coloniale, d’abord, puis par la dictature de nouveaux dirigeants ». Selon ce romancier ivoirien, l’antagonisme (l’opposition 23 ou le conflit) entre les leaders politiques et le peuple est toujours manifeste et permanent en Afrique parce que les nouveaux colons africains, en dépit de leur mauvaise gouvernance, utilisent des pratiques inhumaines pour asseoir leur pouvoir pendant que le peuple qui les a hissés au sommet de l’État croupit dans la misère. Cet antagonisme n’enchante pas les démunis ou les laissés-pour-compte. C’est pourquoi le peuple exprime son mécontentement à travers la révolte. Quant à Ngal Mbwil a Mpang (1984: 122), cette expression renvoie au « déracinement culturel de l’intellectuel qui méprise sa culture en cherchant à tout abolir de sa tradition. Cela tiendrait au caractère dualiste de l’intellectuel d’alors dont l’action frise le mépris de l’Afrique et la fascination de l’Europe ». Partant de ce constat, l’auteur se pose une question: « Doit-on s’adapter à un monde de progrès sans perdre ses racines? ». Pour ce critique littéraire, si un homme décide d’abandonner ses racines et manifeste le désir de s’agripper à une nouveauté, il va essuyer un échec. En d’autres termes, il voudrait dire que le rejet de sa tradition et l’adoption de la modernité sont des exercices périlleux. Réfléchissant sur le conflit des générations, Amin Azimi (1998: 10), s’exprime en ces termes: Le conflit des générations n’est pas un phénomène nouveau, au contraire, il a existé à travers le temps. Suite à leur formation et leur expérience, les parents ainsi que leurs enfants ont des valeurs et perspectives différentes dans leurs systèmes. Les enfants se plaignent que leurs parents sont têtus, qu’ils ne sont pas à la mode, au moment où les parents ne sont pas à l’aise en voyant leurs enfants qui adoptent des comportements qui ne sont pas traditionnels. Ceci cause le stress, la tension entre les deux générations et le conflit naît ainsi. 24 S’agissant d’Alexie Tcheuyap (2010: 87), le conflit est « une opposition, une confrontation entre deux individus ou deux groupes ». Il renchérit sur sa pensée en évoquant que Toute opposition d’intérêts se ramène nécessairement à une confrontation entre ceux qui ont intérêt à ce que se maintienne et se perpétue une situation dont ils bénéficient et ceux qui ont intérêt à ce que cette situation change. Quel que soit l’objet immédiat d’un conflit social, c’est toujours par rapport au statut quo que se définissent les positions des opposants. Et par rapport à ce statut quo, le seul choix possible, en dernier ressort, ne peut se faire qu’entre son maintien ou son changement, Ibidem, p.89. Pour Seydou Badian (1957 : 71), le conflit des générations est « une mésentente, un désaccord entre les vieux et les jeunes ». Quant à Marcel Khombe Mangwanda (2008 : 58), le conflit des générations est « non seulement une mésentente entre les vieux et les jeunes, mais aussi une opposition idéologique entre les patrons et les travailleurs, le pouvoir et le peuple ». De manière synthétique, chez tous ces penseurs, le conflit des générations est d’abord une mésentente entre le pouvoir et le peuple, laquelle est basée sur la vision des gouvernants et celle des gouvernés. Il signifie ensuite l’antagonisme entre la tradition représentée par les conservateurs et le modernisme incarné par les jeunes ou les intellectuels. Il signifie, enfin, une lutte entre parents et enfants, fondée sur les intérêts de chaque groupe. Dans le contexte de cette étude, le conflit des générations sous-entend une opposition entre les jeunes et les vieux, et entre le pouvoir et le peuple. 25 2.2. Manifestations sociales, professionnelles et politiques du conflit des générations en Afrique sub-saharienne Dans cette partie du continent africain, le conflit des générations se manifeste dans plusieurs secteurs, notamment: social, professionnel et politique. Dans le domaine social, on va attacher le conflit des générations à la conception africaine de la famille et du mariage. Dans le domaine professionnel, on va examiner la problématique de l’emploi; alors que sur le plan politique, on va s’attarder sur le mode de gestion du pouvoir. La conception de la famille varie d’une société à l’autre. En Europe, par exemple, quand on parle de cette notion, on sous-entend la famille nucléaire, c’est-à-dire, le père, la mère et les enfants. En Afrique, par contre, on la définit autrement parce qu’elle est entendue au sens large, celle de la famille étendue (le père, la mère, les enfants issus de cette union, les oncles, les tantes, les cousins et cousines, etc.). Si cette conception africaine occupe une place importante au sein de la société, c’est parce que les liens entre les membres de ladite famille ne sont pas idéologiquement basés sur l’aspect biologique. Ernest François Delafosse (1984: 47) a présenté une distinction entre la famille réduite et la famille globale. Pour lui, la famille réduite, appelée aussi restreinte, se compose essentiellement des géniteurs et des enfants qui habitent la « case », mais la véritable cellule sociale est la famille globale ou étendue. Dans la société africaine existe une hiérarchie. Celle-ci a la forme pyramidale. Au sommet se trouve le chef du village. Investi du pouvoir par les ancêtres, il est le trait d’union entre les vivants et les morts. Il est entouré de sages qui font office de conseillers. En deuxième position se retrouve l’oncle. Ce dernier, surtout pour les familles à caractère matrilinéaire, qui a le pouvoir de bénir ou de maudire ses neveux ou nièces, en cas de transgression de la loi de la coutume. En troisième position intervient le père. Ce dernier, 26 pour les familles à tendance patrilinéaire, a le pouvoir de bénir ou de maudire sa progéniture. Au bas de la pyramide se trouve l’enfant. Celui-ci n’a pas le droit à la parole dans la société africaine traditionnelle. Il accepte sans rechigner les décisions de ses parents. Il en est de même de la femme. Au Mali, chez les Bambara, par exemple, l’ensemble de la famille obéit à un même chef: uploads/Politique/ expose-fatou.pdf

  • 17
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager