Introduction 1Certes les normes comptables internationales n’ont pas provoqué l

Introduction 1Certes les normes comptables internationales n’ont pas provoqué la crise mais il est maintenant admis qu’elles l’ont accélérée sinon amplifiée, notamment en raison de leur caractère procyclique. Ce qui explique qu’en octobre 2008 le normalisateur international se soit vu rappeler brutalement à l’ordre par l’Union européenne et le Groupe des huit (G8) qui lui demandèrent d’amender de toute urgence ses normes IAS 39 « Instruments financiers » et IFRS 7 « Présentation des instruments financiers ». Cette intervention d’organisations politiques est d’autant plus remarquable que la normalisation comptable internationale semblait avoir été définitivement abandonnée aux experts de l’IASC/IASB, l’organisme qui s’était autoproclamé normalisateur international. 2La crise a donc fortement ébranlé la légitimité du normalisateur international, interpellé par le pouvoir politique et aussi l’opinion publique. Cela pose la question de savoir si l’on va assister à un retour du politique dans un domaine en réalité hautement politique mais qu’il avait paradoxalement abandonné. Témoignent de ce possible retour non seulement les pressions exercées avec succès sur l’organisme international de normalisation par l’UE et le Groupe des huit (G8) mais aussi les recommandations faites à l’IASC/IASB par le nouveau Groupe des vingt (G20) ainsi qu’en France la publication de rapports de nature politique, et très critiques, consacrés à l’évolution récente de la normalisation comptable. 3Dans cet article, selon une démarche réflexive et critique, nous questionnons la légitimité de l’IASC/IASB afin d’apprécier la portée des recommandations politiques qui lui sont faites. Il est évident que la légitimité d’un organisme de normalisation comptable est fondamentale car elle conditionne celle des normes qu’il émet et de la pratique comptable elle-même et, in fine, la confiance de leurs utilisateurs dans les états financiers des entreprises. Mais cette légitimité ne va pas de soi ; elle n’est pas naturelle ou préexistante ; ainsi que nous allons le voir, elle se construit et se gère. 4Dans une première section, nous examinerons et tenterons de spécifier les fondements de la légitimité de l’IASB. 5Dans une deuxième section, nous montrerons la fragilité de ces fondements, une fragilité qui préexistait à la crise mais que celle-ci a rendue plus évidente. 6Enfin, dans une troisième section, nous essaierons de voir si les interventions récentes d’organisations politiques dans le processus de normalisation comptable internationale mettent en cause la légitimité du normalisateur international et si elles annoncent un retour du politique. 1 – Des fondements de la légitimité de l’IASC/IASB 7Pour étudier les fondements de la légitimité de l’IASC/IASB en tant que normalisateur, nous ferons appel à trois notions de légitimité [1] [1]Pour plus de détails sur le concept de légitimité, cf. Burlaud…, celles de légitimité politique, de légitimité procédurale et de légitimité substantielle. La légitimité politique d’une organisation a pour source, directe ou indirecte, l’élection [2] [2]Le mot « politique » doit être entendu ici dans son sens… . Sa légitimité procédurale a pour source le recours à des procédures censées garantir son indépendance et son impartialité. Sa légitimité substantielle a quant à elle pour source la détention d’un savoir reconnu, d’une expertise à caractère technique ou scientifique. Dans cette section, en revenant sur la genèse de l’IASC/IASB, nous essaierons de montrer que, dépourvu de toute légitimité politique, il s’est construit au fil du temps une double légitimité, procédurale et substantielle. 1.1 – Une organisation sans légitimité politique… 8L’organisation créée en 1973 sous le nom International Accounting Standards Committee (IASC) et dont procède l’IASB a été imaginée par Henry Benson, un associé du bureau londonien de Coopers & Lybrand. Il s’agissait de créer une organisation qui émettrait des normes susceptibles d’être adoptées dans les différents pays du monde de façon à ce que les référentiels nationaux convergent progressivement. 9Henry Benson persuada l’Institute of Chartered Accountants of England and Wales (ICAEW), dont il avait été le président, qu’il lui fallait inviter les organisations professionnelles de différents pays à participer à la création de ce nouvel organisme. Les professions de neuf pays (Allemagne, Australie, Canada, États-Unis, France, Japon, Mexique, Pays-Bas et évidemment Royaume-Uni et Irlande [ces deux pays étant considérés comme n’en formant qu’un seul]) participèrent donc en 1973 à la création de l’International Accounting Standards Committee dont le premier président fut Henry Benson lui-même. Dès 1974, de nouveaux membres rejoignirent les fondateurs : Belgique, Inde, Nouvelle-Zélande, Pakistan et Zimbabwe. 10À ce stade, il convient de remarquer que l’idée de l’IASC revient à un associé de grand cabinet, que l’on doit sa création à une initiative de la profession britannique et que les membres fondateurs en sont les professions de neuf pays riches (si l’ont fait exception du Mexique) ayant des traditions comptables différentes. En simplifiant beaucoup [3] [3]En simplifiant beaucoup… il existe en effet des différences…, disons que les neuf pays fondateurs se répartissent entre le référentiel anglo-saxon (Australie, Canada, États-Unis, Royaume-Uni…) et le référentiel continental européen (Allemagne, France…), avec une prédominance des pays dont la tradition comptable est plutôt anglo-saxonne, d’ailleurs renforcée en 1974 avec l’arrivée en tant que nouveaux membres de quatre anciennes colonies britanniques. 11Il convient également de remarquer que l’initiative d’Henry Benson coïncide avec le lancement par la Communauté économique européenne (CEE) d’un ambitieux programme d’harmonisation par directives du droit commercial de ses États-membres. Ce programme comportait un volet comptable important qui débouchera en particulier sur la publication de la Quatrième directive (1978) relative aux comptes des sociétés de capitaux et de la Septième directive (1983) relative aux comptes consolidés. Il est difficile de ne pas voir dans la création de l’IASC un contre-feu professionnel et britannique face au programme européen et le début d’un jeu stratégique entre organisations professionnelles et organisations politiques, ainsi qu’entre tenants du modèle comptable anglo-saxon et tenants du modèle continental. 12Conçu à l’écart des États et des organisations intergouvernementales, le talon d’Achille de l’IASC était son manque de légitimité politique. Organisme international de droit privé d’origine professionnelle et autoproclamé normalisateur mondial, il était sans pouvoir coercitif (Walton 2008) et n’avait pas la possibilité d’imposer ses normes au sein des États. Les professions qui en étaient membres s’engageaient seulement à user de leur influence pour promouvoir ses normes dans leurs pays respectifs. Dans les pays où le pouvoir de normaliser échappait à la profession, l’application des normes de l’IASC n’était possible que dans la mesure où elles ne s’opposaient pas aux normes nationales. C’était le cas pour la France, représentée au sein de l’IASC par l’Ordre des Experts-Comptables (et des Comptables Agréés) et la Compagnie des Commissaires aux comptes, organisations qui n’avaient pas le pouvoir de normaliser, ce pouvoir appartenant à l’époque au Conseil National de la Comptabilité (et, depuis 2009, à l’Autorité des Normes Comptables). 13À défaut de légitimité politique, dans l’attente que des organisations gouvernementales ou intergouvernementales lui donnent un bras armé, l’IASC dut se construire, ainsi que nous allons le voir, une autre légitimité, double, procédurale et substantielle. La légitimité politique qui lui manquait vint en particulier quand, en 2002, l’Union européenne émit un règlement (CE n° 1606/2002) qui imposait aux sociétés cotées de ses États-membres d’élaborer leurs comptes de groupe conformément aux normes de l’IASC/IASB à partir du 1er janvier 2005. 1.2 – En quête de légitimité procédurale… 14Jusqu’à sa réforme en 2001, bien que sa gouvernance ait constamment évolué depuis sa création, l’IASC était restée une organisation placée sous la coupe de la profession comptable. Pour affirmer son indépendance par rapport à celle-ci, mais sans pour autant faire de concessions aux organisations gouvernementales ou intergouvernementales appelées à lui donner une légitimité politique, il se transforme en 2001 en fondation et laisse ses activités opérationnelles à l’IASB ; cette fondation finance et nomme les membres de l’IASB. La nouvelle structure de normalisation calque celle existant aux États-Unis où existe également une fondation, laquelle finance le Financial Accounting Standards Board (FASB) et nomme ses membres. Cette nouvelle structure est censée renforcer l’indépendance et la compétence de l’organe de normalisation, en l’occurrence l’IASB. 15L’indépendance de l’IASB repose essentiellement sur le mode de recrutement et de rémunération de ses membres. 16Ses membres sont choisis de telle sorte qu’il regroupe des personnes représentant une meilleure combinaison possible de compétences techniques et d’expérience des affaires internationales et de la situation des marchés. Cinq au minimum doivent avoir une expérience de l’audit, trois au minimum une expérience de la préparation des états financiers, trois au minimum une expérience de leur utilisation, un au minimum une expérience universitaire. Le principal critère de recrutement est donc la compétence professionnelle et aucune référence à la nationalité n’est faite. Le membre idéal de l’IASB est un expert chevronné libéré de toute attache nationale, c’est-à-dire de tout ancrage politique. 17Douze membres sur les quatorze que compte l’IASB sont à temps plein et doivent se consacrer exclusivement à leur activité de normalisateur. En contrepartie, ils reçoivent une rémunération relativement élevée, d’un montant équivalent à la rémunération qu’ils pourraient recevoir dans le privé dans un emploi correspondant à leurs compétences. Le mandat est de cinq ans, renouvelable. Ce statut a pour objet de garantir leur indépendance en les protégeant de conflits d’intérêt et d’éventuelles tentatives de corruption. 18L’impartialité de l’IASB repose non seulement sur l’indépendance uploads/Politique/ fonements-iasc-iasb.pdf

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