C O L L E C T I O N DROIT CIVIL dirigée par Christian Larroumet SÉRIE : Etudes
C O L L E C T I O N DROIT CIVIL dirigée par Christian Larroumet SÉRIE : Etudes et Recherches Emmanuel GAILLARD Professeur à l'Université de Lille II LE POU DROIT P Préf se© de Gérard CORNU Professeur à l'Université de Droit, d'Economie et de Sciences sociales de Paris Ouvrage couronné par l'Université de Paris II (prix Georges Ripert) et honoré d'une subvention de l'Université de Lille II ECONOMICA 49, rue Héricart, 75015 Paris 1985 © Ed. ÉCONOMICA, 1985 Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution réservés pour tous les pays. PREFACE Ce livre se passe de préface. Car le temps de la prédiction n'est plus. En nous donnant à fêter son succès, M. Gaillard nous épargne la vanité de l'annoncer. Quant à chercher une introduction à l'ouvrage, sautez d'emblée à la conclusion de l'auteur. Les dix-huit positions de thèse émaillent le chemin. C'est par là qu'il faut y entrer, pour s'y raccorder, thèse lue. L'ayant à nouveau parcouru, nous avons à écrire: il n'y a plus à douter qu'en droit privé français, la notion de pouvoir existe telle que M. Gaillard l'a élaborée. La quête d'un tel pouvoir était vertigineuse. Car pour sceller cette notion dans l'ordre juridique, il fallait côtoyer d'abord l'abîme où mille bouches prononcent le mot sur des choses diverses. En premier, il paraît pourtant anodin que le pouvoir, au sens pur que forge l'auteur, se distingue du droit subjectif. Si l'on définit un tel droit comme un certain pouvoir, ce mot vient alors, par commodité, de la langue naturelle, sans charge juridi- que. Mais peu à peu, l'analyse s'élève. La notion se construit. Répondant à un critère de finesse qui rend applicable un régime de droit, elle prend la solidité d'une catégorie juridique. Finalisé, le pouvoir — au sens fin du terme — est, entre les mains de celui qui en est investi, une prérogative qu'il a mission d'exercer dans un intérêt au moins partiellement distinct du sien. Ainsi ordonné, l'exercice du pouvoir a en propre d'être soumis à un contrôle juridictionnel spécifique, non celui de l'abus du droit, mais typiquement, celui du détournement de pouvoir, c'est-à-dire celui de la fidélité de l'exer- cice à la finalité de l'investiture. Sous cet intérêt bien éclairé, le critère retenu unit maints pouvoirs de source légale ou conventionnelle: pouvoir de l'époux sur la masse de biens communs dont il est gérant en titre, pouvoirs des titulaires de l'autorité parentale, pouvoirs du chef d'entreprise, pouvoir disciplinaire dans les syndicats et associations, etc. Le gain de la partie est immense. Ce n'est pas seulement au sein de l'ordre juridique que le pouvoir, détaché du droit subjectif, gagne sa juste place. C'est au fait — brut et brutal — qu'il vient d'être arraché. Car le pouvoir — diabolique — est aussi puissance (doublet de potentem, possien- tem donne puissant) et potentia conduit à potence. Et le voilà, d'un tour de thèse, docile et policé, nécessairement contrôlé, pouvoir bien tempéré, vidé d'omnipotence. En droit processuel, l'office du juge aurait donné à l'auteur un renfort. Pour le juge, il n'est point de pouvoir sans devoir. Au-delà de la distinction de ce qu'il a obligation de faire ou faculté d'apprécier, il y a toujours, au creux de ce qu'il peut, le sceau de ce qu'il doit, un devoir gardien — comme une âme — de l'exercice du pouvoir. Tous les pouvoirs sont, à double face, des pouvoirs-devoirs. Il n'en est pas de pleins, mais seulement d'habités. Dans les mains parentales, les attributs de l'autorité enchâssent au centre de leurs prérogatives cette mesure incorporée. C'est cette image d'une structure animée que le droit privé renvoie au droit public, modèle des fonctions et des missions, dans un état de droit. Omnis potestas... Tout pouvoir est donné par... et pour... Quelles conséquences tirer? La linguistique juridique intervient ici. Car le vocabulaire juridique n'acceptera pas volontiers de perdre un des plus beaux fleurons de la polysémie. Dans le chaos du fait, le pouvoir restera sans doute aussi — arc-bouté de vouloir plus que de devoir — une force, suffi- sante de l'être (et pleine d'elle-même), plus avide d'avoir que de savoir. Et le langage du droit aurait des raisons de s'y référer pour définir telle maîtrise de fait (la garde d'une chose inanimée). Même dans l'ordre juridique.il n'est pas exclu que le terme pouvoir conserve un emploi neutre pour désigner les prérogatives qu'un droit confère à son titulaire (les pouvoirs d'usage, de jouissance, de disposition ou d'administration pour un propriétaire). Même alors, il faudrait apprendre à dire que le pouvoir affiné, le pouvoir propre- ment dit, est le «pouvoir à ne pas détourner». Et «ce proprement dit» valait bien une thèse. N'y aurait-il donc rien à contredire? La haute querelle doctrinale que l'auteur ravive sur son dernier penchant, à rencontre des «thèses personnifi- catrices» qui voient des personnes morales partout, enchantera les individua- listes sans rallier tout à fait ceux qui en aperçoivent de réelles çà et là. Même en ce tournoi spéculatif émergent cependant de fermes plages d'accord, si chacun admet que le pouvoir n'exclut ni ne postule nécessairement la repré- sentation. Celui qui l'exerce a souvent qualité de représentant (d'une per- sonne physique ou morale). Parfois il n'est qu'«agent juridique» doté du pouvoir propre d'émettre «des actes unilatéraux contraignants pour autrui». L'opposition se reporte alors, dans les applications, sur le discernement des cas où l'imputation des actes du champion des intérêts à faire valoir s'opère avec ou sans représentation : question explicative ouverte après un superbe parcours. Ce qui est sûr, c'est qu'à son tour celui-ci contient en promesse — voilà une prédiction dont, pour lors, nul ne pourra nous frustrer — un avenir magnifique. Gérard CORNU Professeur à l'Université de Droit, d'Economie et de Sciences sociales de Paris. L'auteur exprime sa reconnaissance à l'Université de Lille II dont l'aide financière a permis la publication de cet ouvrage. INTRODUCTION I. Les sens du terme pouvoir 1 - En droit privé, le terme de pouvoir recouvre des sens si variés qu'il paraît vain de prétendre en faire une quelconque théorie générale. Du moins est-ce l'impression qui se dégage d'un premier aperçu de la matière. Qu'y aurait-il de commun entre les pouvoirs du mandataire, le pouvoir discipli- naire des dirigeants d'un syndicat ou d'une association, les pouvoirs du gar- dien d'une chose inanimée ou les pouvoirs d'usage et de jouissance reconnus à l'usufruitier? En réalité, si l'on fait abstraction de l'usage du terme dans le sens du langage courant où il désigne toute puissance, toute maîtrise de fait 1, une distinction s'impose d'emblée entre l'usage doctrinal et l'usage positif du terme. 2 - En doctrine, le terme de pouvoir évoque irrésistiblement la querelle de la définition du droit subjectif. Celles de Windscheid et de Savigny 2, qui réduisaient le droit à un «pouvoir de volonté», sont restées célèbres. La formule de Ripert, qui faisait du droit subjectif un «pouvoir égoïste », ne l'est pas moins 3. Il n'est pas nécessaire d'entrer dans le détail de la polémique qui s'est ouverte à ce sujet depuis le début du siècle pour s'assurer que l'idée de pouvoir est toujours restée un élément essentiel du débat. Tout l'effort de- Saleilles a consisté à amender la formule de Windscheid pour «mettre au premier plan» la notion de pouvoir dans laquelle il voyait «la caractéristique même du droit subjectif» 4. Bonnard faisait également de «l'idée de pouvoir» «la réalité irréductible qui constitue l'essence même du droit» 5. Les doc- 1. C'est le cas, par exemple, des «pouvoirs de surveillance et de contrôle qui caractéri- sent la garde» (ex. classique: Civ. 2ème, 5 janvier 1957, D. 1957.261, note R. Rodière) ou du «pouvoir imaginaire» qu'un escroc peut faire naître dans l'esprit de sa victime (v. l'article 405 du Code Pénal). 2. Traité de droit romain, 1840, t. 1, pp. 326-327. 3. V. par exemple: Le régime démocratique et le droit civil moderne, LGDJ 1936, n° 122. 4. Saleilles, De la personnalité juridique. Histoire et théories, Paris 1910, 2éme éd. 1922, pp. 546-547. 5. «La conception juridique de l'Etat» R.D.P., 1922.39. 8 Le pouvoir en droit privé trines «mixtes» n'ont fait qu'ajouter une référence à 1'«intérêt protégé», sur lequel avait insisté Ihering, au terme de «pouvoir» 6, de puissance ou de «pouvoir de maîtrise» 8. Les définitions les plus récentes mettent, au contraire, volontiers l'accent sur le pouvoir que confère le droit à son titu- laire 9. La plus dépouillée d'entre elles décrit simplement le droit subjectif comme «le pouvoir appartenant au sujet de droit» 1 0. Cette conception a pénétré le vocabulaire juridique courant, où le terme de pouvoir apparaît dans la définition de chacun des droits subjectifs. Le droit de créance est fréquemment défini comme «le pouvoir d'exiger d'une personne déterminée l'exécution d'une certaine prestation» 1 1, le droit réel, comme «le pouvoir d'une personne sur une chose» 1 2. On observe de même que la propriété, plena in re potestas, confère à son titulaire les pouvoirs d'usage, de jouissance et de disposition de la chose, alors que l'usufruitier est privé uploads/Politique/ gaillard-emmanuel-le-pouvoir-en-droit-prive.pdf
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- Publié le Jul 06, 2022
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