L’homme est né libre... 285 CHAPITRE 15 L’HOMME EST NÉ LIBRE ET PARTOUT IL EST
L’homme est né libre... 285 CHAPITRE 15 L’HOMME EST NÉ LIBRE ET PARTOUT IL EST DANS LES FERS LA NATURE, LA LIBERTÉ ET LES LOIS À l’un bout du spectre politique des Lumières se dresse Montesquieu (1689-1755), à l’autre Rousseau (1712-1778). Et à cette époque où le modèle régnant est celui de la science expérimentale, inspiré du newtonisme, aussi bien Montesquieu que Rousseau reçoivent un même hommage de leurs contemporains. On les compare tous deux à Newton : Newton a découvert les lois du monde naturel, Montesquieu, les lois du monde intellectuel, Rousseau, les lois du monde social... Cela se dit même en vers : « La nature et les lois se cachaient dans la nuit. Dieu dit : que Newton soit et tout devint lumière ». La notion de nature joue à ce moment-là le rôle d’un index en regard des idées-forces qui travaillent le discours des Lumières : c’est tout à la fois l’index de l’être, de la vérité, du bien. La nature renvoie à la fois au réel, à ce qui est, et au normatif, à ce qui doit être ; dans les deux cas, cependant, le sens de cette notion est actif : la nature est la cause de tous les effets de l’univers. C’est pourquoi, par ailleurs, la connaissance de la nature humaine dépendra de la connaissance de la nature universelle. Le refus de toute forme de transcendance est lié à la critique de toutes les formes de l’autorité. Les Philosophes s’appuient sur la Nature, assimilée à la Raison, comme fondement immanent et garant suprême de l’union entre la théorie et la pratique, entre le connaître et l’agir. La mise en sourdine de Dieu et de la Révélation est à cet égard l’exemple le plus symptomatique ; il s’accompagne de la recherche d’une religion naturelle excluant le surnaturel. De même, la religion écartée, la morale et la politique seront fondées sur la raison et le sentiment, autrement dit sur la nature de l’homme qui est sensibilité et raison. Les grandes figures du monde moderne 286 D’une part, on trouve donc la Raison – la lumière naturelle de la raison liée aux conquêtes de la vérité critique – d’autre part, la (les) Loi(s) ou le Droit indépendants du droit divin ou d’une quelconque autorité, et dont la pratique se nomme vertu : les lois naturelles objectives structurent la morale naturelle, libérée de la théologie, tout comme la politique naturelle transforme les sujets en citoyens. Charles de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu Le thème du bonheur qui revient sans cesse au long du XVIIIe siècle s’enracine également dans la philosophie de la nature qui établit le bonheur de l’homme au sein du monde. Sur le plan individuel, la recherche du bonheur, guidée par la raison et assurée par la pratique de la vertu, aboutit à l’harmonie. Sur le plan collectif, le bonheur qu’il faut entendre dans un sens actif, comme la raison ou comme le progrès, un « faire », une pragma, suppose une rencontre : celles des devoirs de l’individu et des préoccupations du législateur. Rencontre qui ne sera heureuse que par une pratique privilégiée : la vertu qui n’est pas autre chose en politique que l’observation des lois, naturelles et sociales, c’est-à-dire de la raison. L’homme est né libre... 287 Après sa célèbre définition des lois sur laquelle s’ouvre le premier chapitre de l’Esprit des Lois : « Les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses », Montesquieu précise bien que : La loi, en général, est la raison humaine, en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre. L ’équilibre universel est en définitive le fruit du bon fonc- tionnement de ces lois auxquelles tous « mortels et immortels » sont soumis. Les lois sont ainsi les véritables remparts de la liberté et de l’égalité des hommes ; ce sont elles seules qui pourront assurer, selon la formule célèbre, « le plus grand bonheur pour le plus grand nombre possible ». Catherine II la Grande Le règne de Catherine II, impératrice de Russie, se distingue, malgré ses violences, par ses réformes, ses conquêtes sur les Turcs et par la protection qu’elle accorda aux savants et aux philosophes, particulièrement à Diderot dont elle acheta la bibliothèque tout en lui laissant l’usage jusqu’à sa mort. V oltaire pour lui rendre hommage l’appelait la Sémiramis du Nord. Diderot expose à Catherine II (1729-1796) qu’en politique, le bonheur doit être le lieu de jonction des devoirs d’un individu, libre par nature, et des règles du législateur qui lui assurent ses droits correspondants : Puisque ma pente naturelle, invincible, inaliénable, est d’être heureux, c’est la source et la source unique de mes vrais devoirs, et la seule base de toute bonne législation. La loi qui prescrit à l’homme une chose contraire à son bonheur est une fausse loi, et il est impossible qu’elle dure [...]. Aucune idée ne nous affecte plus fortement que celle de notre bonheur. Je désirerais donc que la notion de bonheur fût la base fondamentale du catéchisme civil. Que fait le prêtre dans sa leçon ? Il rapporte tout au bonheur à venir. Que doit faire le souverain dans la sienne ? T out rapporter au bonheur présent (Mémoires pour Catherine II). Les grandes figures du monde moderne 288 Gages de la paix sociale, de la sûreté, de la propriété, de l’intégrité et de l’autonomie individuelle et collective, les lois positives se confondent en fin de compte avec la jus naturale puisqu’elles se rapportent non pas à l’injonction d’un législateur mais à la nature des êtres physiques, moraux et sociaux. Les lois qui sont ainsi comprises comme l’expression naturelle des relations de l’individu avec lui-même, avec les autres êtres ou avec les institutions, sont investies d’un pouvoir moral et ordonnateur. Elles assurent, ou doivent assurer à tous, un système social et politique à l’intérieur duquel la liberté et le bonheur ne doivent plus rien au bon plaisir d’un quelconque monarque, fût-ce bienveillant. Allégorie de la Loi L’homme est né libre... 289 La signification profonde des finalités qui orientent « le paradigme de la nature », la signification de la lutte pour assurer le progrès et le bonheur de l’humanité, s’enracinent dans l’anthropologie particulière à cette époque où l’on retrouve derechef le parallélisme entre faits-lois de la vie physique et faits-lois de la vie sociale. Les principes maîtres de cette anthropologie affirment que la liberté et l’égalité existent par nature, qu’elles sont le fait de l’homme en tant qu’homme, et qu’en vertu de ce droit naturel, les hommes sont unis par « les doux nœuds de la fraternité universelle », comme le fait remarquer Rousseau dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité : Je ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, Les grandes figures du monde moderne 290 jusqu’à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire ou à la déranger. J’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette différence que la Nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes en qualité d’agent libre. L ’un choisit ou rejette par instinct et l’autre par un acte de liberté [...]. Ce n’est donc pas l’entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l’homme que sa qualité d’agent libre. Cependant l’homme n’est pas « un loup qui vit au fond des forêts ». Il a commerce avec les autres hommes, un commerce qui doit être utile et agréable sous la protection des lois. Ce sera dans la vie sociale, dans la vie de tous les jours, en fait dans la vie politique, que ces qualités intrinsèques de l’homme, que l’égalité, que la liberté supposée par celle- ci, que la sociabilité devront être définies. L ’homme ne peut être vraiment libre, heureux, en sûreté, qu’au sein d’une communauté autonome organisée rationnellement ; autrement dit, par l’institution d’un nouveau contrat social. C’est le contrat qui assurera concrètement la liberté et l’égalité de tous, et en codifiant légalement les droits, éloignera autant que possible les hommes des menaces de l’arbitraire, du despotisme ou de la tyrannie. Comme le dit Rousseau, en termes impérissables, pour décrire le passage de l’état de nature à l’état civil, à la liberté par les lois : Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la voix du devoir succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusques là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants. Quoiqu’il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu’il tient de la nature, il en regagne de si grands [...] qu’il devrait bénir sans cesse l’instant uploads/Politique/ homme-et-naissance.pdf
Documents similaires
-
19
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 12, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
- Taille du fichier 0.6552MB