8| FRANCE JEUDI 23 AOÛT 2018 0123 LA FRANCE INSOUMISE Jean-Luc Mélenchon, l’hér

8| FRANCE JEUDI 23 AOÛT 2018 0123 LA FRANCE INSOUMISE Jean-Luc Mélenchon, l’héritage impossible Le chef de file de La France insoumise, qui aura 71 ans en 2022, a toujours veillé à former une « armée » de cadres politiques sans jamais désigner de successeur RÉCIT L’ image est là, à la fois discrète et omniprésente. Lorsque le visi- teur pénètre dans le modeste siège de La France insoumise (LFI), à deux pas de la gare du Nord, à Paris, un portrait s’im- pose à lui : celui de François Delapierre, mort en 2015, à 44 ans, d’une tumeur au cerveau. Celui qui fut un militant infatigable, dont les anciens se souviennent quand, tout jeune, il entonnait des chants révolutionnaires jus- qu’au bout de la nuit, veille ainsi sur le destin de la formation dont il a jeté les fondations avec Jean-Luc Mélenchon. Ces deux-là étaient plus que des camarades. Plus, même, qu’un fils spirituel et un père po- litique. « Ils sont passés d’une relation de maî- tre à disciple à une relation d’intellectuel collec- tif. Il y avait une influence réciproque, se sou- vient l’écologiste Stéphane Pocrain, qui les a connus dans sa jeunesse. Quand Delapierre est mort, Mélenchon a perdu un frère de com- bat, un disciple, un ami. » Charlotte Girard, responsable du programme de La France in- soumise et veuve de François Delapierre, abonde : « C’était une relation d’égaux, pas une relation père-fils comme on l’a dit. Ils étaient en télépathie. » Une relation si fusionnelle qu’elle a laissé un vide impossible à combler : celui du suc- cesseur. Car François Delapierre a été, jusqu’à sa disparition, l’élu, celui qui avait été choisi pour prendre la suite, parmi des générations de cadres politiques, repérés, formés et fa- çonnés par Jean-Luc Mélenchon. C’est une fa- cette méconnue du tribun. De ses années de professeur de français jusqu’à sa candidature à la présidentielle en 2017, il a fait de la trans- mission l’axe majeur de sa vie politique. La France entière le découvre lors de la ren- trée parlementaire à l’ Assemblée nationale. Avant de pénétrer dans l’enceinte du Palais- Bourbon, faisant groupe avec les dix-sept élus insoumis, Mélenchon s’approche du dé- puté du Nord Adrien Quatennens « les yeux brillants ». « Il me serre dans ses bras et me dit : “Ma plus belle fierté, ce n’est pas d’y être moi, c’est de vous y voir vous”. » DÉSIGNÉS, TESTÉS ET APPROUVÉS La photo de famille est loin d’être guindée : les jeunes, Danièle Obono (Paris), Mathilde Panot (Val-de-Marne) ou encore Ugo Berna- licis (Nord), sourient de toutes leurs dents, les plus anciens lèvent le poing. Quand les journalistes s’étonnent de ce curieux mé- lange de générations, rare dans la politique française, les mélenchonistes de la première heure l’assurent d’une seule voix : « Jean-Luc a toujours aimé transmettre et mettre les jeunes en avant. » Il est vrai qu’au cours de sa longue carrière, commencée dans les rangs du syndicat étu- diant UNEF en 1969, Jean-Luc Mélenchon a formé un nombre impressionnant de cadres. Des « générations Mélenchon » qui sont autant de soldats politiques ayant un même objectif : prendre le pouvoir. Certains ont rompu avec lui, comme le socialiste Jérôme Guedj, ex-député frondeur, d’autres ont ar- rêté la politique, comme le scénariste Eric Benzekri. D’autres sont devenus députés, à l’image d’ Adrien Quatennens, Alexis Cor- bière ou Clémentine Autain (tous deux élus en Seine-Saint-Denis). Attablée à la Brasserie Barbès, dans le nord de Paris, Clémentine Autain sourit en se re- mémorant sa première rencontre avec Jean- Luc Mélenchon. « C’était en 1997-1998, je suis assistante parlementaire d’un sénateur socia- liste, mais je n’étais pas au PS. Après une réu- nion, Jean-Luc [alors sénateur de l’Essonne] est venu me voir et m’a invitée à dîner. Une de ses premières questions est : “Est-ce que tu es trots- kiste ?” Je lui réponds : “non”. Et on a discuté. » Ce mode opératoire se répète avec tous ceux que M. Mélenchon choisit : il les dési- gne, les teste et les approuve, le cas échéant. Souvent, aussi, il subjugue les jeunes par son talent oratoire. Eric Benzekri, coscéna- riste de la série Baron noir, qui a créé un personnage inspiré de Jean-Luc Mélenchon – incarné par François Morel –, se rappelle une soirée de 1992. Etudiant à Sciences Po Strasbourg, il reçoit alors le sénateur de l’Essonne pour un débat. « Il a retourné l’am- phi ! C’était un orateur impressionnant, as- sure M. Benzekri. Il prenait beaucoup de temps avec les jeunes qui l’intéressaient, il discutait avec ceux qui étaient dans son vi- seur. Il était avec moi très protecteur, séduc- teur. Il me valorisait. » Les souvenirs d’ Alexis Corbière sont simi- laires. Quand il fait la connaissance de M. Mélenchon en 1996 à la sortie d’un mee- ting unitaire de la gauche au Palais des sports, il a comme une apparition : « On était dehors, sur les marches. Je le vois avec son bouc noir, son costume croisé, il était impres- sionnant. J’étais militant à la Ligue commu- niste révolutionnaire [trotskiste, ancêtre du Nouveau Parti anticapitaliste, NPA]. Il me prend la main et me dit : “Mais viens avec nous ! Tu perds ton temps.” Il nous prend par la tête, par les idées. Il a beaucoup de culture, une grande mémoire. C’est de la séduction in- tellectuelle », commente après coup celui qui ne l’a plus quitté. Vingt ans plus tard, c’est le même phéno- mène qui touche Adrien Quatennens. En 2012, pendant la campagne présidentielle, il assiste pour la première fois à un meeting de Jean-Luc Mélenchon à Lille alors qu’il n’est pas encore adhérent au Parti de gauche (PG). « Il a réussi à me coller les larmes aux yeux, c’est la première fois qu’un politique y arri- vait », se remémore-t-il. Très vite, le jeune Lillois gravit les échelons du parti jusqu’au conseil national. Là, il cher- che à tout prix un moyen de l’aborder. Il y parviendra en fin de réunion. « C’est quel- qu’un qui scanne très vite les gens : il vous re- garde dans les yeux et décèle vos qualités, vos défauts et ce qu’il vous voit faire en politique. » « Il a besoin des jeunes : c’est une garantie pour lui de garder le cap. Ils lui donnent la perspective et l’empêchent de se scléroser », décrypte Charlotte Girard. L’ex-ministre de l’écologie Delphine Batho, qui a milité dans les années 1990 à la Gauche socialiste (GS), courant codirigé par Jean-Luc Mélenchon et Julien Dray, tempère : « Il y a une légende du Mélenchon qui forme des milliers de jeunes. Ça ne s’est jamais passé comme ça. Il y avait juste un petit groupe autour de lui. » Jean-Luc Mélenchon transmet aussi « par l’exemple », à la manière d’un François Mitterrand qu’il admire. Déjà, dans les an- nées 1990, quand il signait les éditos d’ A gau- che, le bulletin de la GS, Alexis Corbière, qui ne le connaissait pas encore, les décorti- quait, observait les tournures de phrase et tentait de s’en inspirer. A la même époque, Eric Benzekri participait, lui, à la rédaction des textes : « Il rayait des mots, il enlevait des adjectifs, raccourcissait des phrases… Il expli- quait tout ce qu’il faisait, il voulait créer une seule et même langue : écrire comme il parlait et parler comme il écrivait. » « LECTURES OBLIGATOIRES » Depuis toujours, Jean-Luc Mélenchon aime créer des systèmes autour de lui. Repérer les personnalités, les séduire et leur trouver la bonne place pour que le dispositif fonc- tionne. De son passage chez les trotskistes, celui qui a été élu sénateur en 1986 a retenu l’importance d’avoir des cadres compétents. En général, « des jeunes à la tête bien faite », selon son expression, souvent issus de Sciences Po ou de l’ENA. « Quand je suis entré à l’ENA, il était très fier et me donnait beaucoup de responsabili- tés », se souvient Jérôme Guedj, qui l’a connu à Massy (Essonne) dans sa jeunesse alors que son père était élu à ses côtés au conseil municipal. « Quand je suis revenu à Massy pour faire la campagne des canto- nales après mes études, il m’a dit : “C’est bon, ils ne me l’ont pas changé !” » Encore une fois, comme François Mit- terrand, Jean-Luc Mélenchon s’entoure de « sabras », ces militants qui commencent à faire de la politique pour lui. « C’était un com- pliment, explique Eric Benzekri. Je n’avais ap- partenu à aucune orga avant la GS. Je suis né dans leur truc. Ça l’intéressait. » Jérôme Guedj définit encore aujourd’hui le jeune militant qu’il était comme « un sabra de la Mélencho- nie ». D’autres profils complètent toujours sa garde rapprochée : des jeunes pas sortis du sérail, comme Adrien Quatennens, ancien conseiller clientèle EDF, ou Caroline Fiat, aide-soignante de profession devenue dépu- tée de Meurthe-et-Moselle. « Chez lui, l’idée de la prise de pouvoir uploads/Politique/ jlm-heritage-impossible.pdf

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