P I A I ! CRIS PROPHETIQUES DES CORBEAUX D'APOLLON LECTURES MURCIENNES # 017 /
P I A I ! CRIS PROPHETIQUES DES CORBEAUX D'APOLLON LECTURES MURCIENNES # 017 / 23 - 03 – 2018 LIMONOV EMMANUEL CARRERE P.O.L / 2011 Beaucoup à dire sur ce livre qui en suggère plus qu'il ne faudrait. D'abord pour l'auteur lui-même un peu dépassé par son projet. Un peu comme ces gens qui réalisent que les tarentules mordent une fois qu'ils en ont commencé l'élevage. Au départ s'agit d'une biographie d'un écrivain sulfureux. Qui n'a pas eu la bonne idée de mourir. De surcroît très controversé en notre pays. Ce qui entraînera la pose d'un premier filet de camouflage. Ce sera un roman. Ce qui dédouane l'auteur de toute exactitude. Un peu gênant quand notre sujet d'étude est aussi un homme politique. Toutefois qui dispense d'un long travail préliminaire d'enquête et d' interviewes de gens qui l'ont côtoyé à divers moments de son existence. Pour la petite histoire rappelons que Emmanuel Carrère est le fils d'Hélène Carrère d'Encausse. Si nous nous permettons de mentionner cette prestigieuse filiation, ce n'est point pour stigmatiser son intrication dans un sérail intellectuel français strictement délimité, c'est que lui-même s'en prévaut à plusieurs reprises dans son livre. Point pour s'en vanter, pour simplement expliquer l'admiration qu'il porte à son héros. Tout en posant un deuxième filet de protection : Limonov est son antithèse, n'est pas un fils de, vient du peuple, n'est pas issu d'une famille bourgeoise, n'est pas né dans le cocon protecteur de l'élite intellectuelle de la Russie. S'est fait tout seul. L'a un avantage sur nombre de ses détracteurs, tout ce qu'il est, il l'est devenu par lui- même. Vous pouvez lui reprocher ses engagements politiques mais attention à ce zeste de mauvaise conscience qui vous taraude, c'est facile de donner des leçons quand on est né du bon côté de la barricade, vous sentez bien que votre légitimité n'est pas au niveau des prétentions de votre héros. Soyons plus précis en France l'élite intellectuelle – entendez par cette expression proche du pouvoir politique en le sens où l'on ne remet jamais en question ses arriérés et présupposés philosophiques - n'a pas de drapeau mais un cache-sexe des plus utiles. L'on est contre les dictatures, l'on est pour la démocratie. Qui pourrait être contre l'oppression et le fait de donner le pouvoir au peuple ? Sur le papier c'est beau et attendrissant, comme ces images pieuses que l'on distribuait aux impétrants des premières communion. Dans la réalité ces idéaux à la petite semaine servent de caution morale à l'établissement d'un système économique libéral des plus injustes. Démocratie que de crimes commis en ton nom ! Et voici que Limonov le répète à l'envi, se fout de la sainte démocratie comme de sa première chaussette. L'on a reproché à Emmanuel Carrère d'avoir beaucoup pillé les écrits autobiographiques de Limonov pour tracer la courbe de son existence. L'est sûr que lorsque l'on ne mène pas sa contre-enquête, c'est plus facile d'agir ainsi. On a poussé de hauts cris. Horreur, l'a confondu l'auteur avec le Narrateur. Inexpiable crime narratologique qui va à l'encontre de l'enseignement littéraire ! Nous-même ne professons aucun respect envers cette vulgate à prétention scientifique qui découle de pré-supposés marxistes oubliés et non-compris, adoptés par une toute une foule d'universitaires profondément anti-communistes. Excusez-nous de ce dernier gros mot. Nous sommes de ceux qui pensons que derrière le fantôme évanescent du sacro-saint Narrateur c'est l'auteur qui joue le rôle du marionnettiste. Donc nous ne nous joindrons pas à cette meute de roquets pathétiques pour aboyer à l'encontre de notre écrivain. Nous comprenons l'hypocrisie de la démarche d'Emmanuel Carrère. Donne la parole à Limonov, le laisse s'exprimer abondamment, non lui Emmanuel ne déforme pas, c'est bien Limonov qui vomit sur la démocratie, c'est écrit et répété moulte fois dans ses bouquins. Peut maintenant l'affubler notre anti-démocrate revendiqué du qualificatif infamant de fasciste. Ce n'est plus un filet de protection à proprement parler mais une véritable carapace : je n'écris pas un livre à la gloire de Limonov, je vous mets en garde contre la séduisance des itinéraires fascistes. Je lève les voiles, j'arrache le rimmel qui couvre le visage hideux de la bête immonde au ventre si fécond. Bien sûr il y a un hic. Ne voilà-t-il pas que ces dernières années Limonov s'oppose à Poutine, au nom de la démocratie et du droit d'expression ! De plus, sont plutôt rares ces concitoyens qui jouent de nos jours à ce petit jeu dangereux. Se méfie Emmanuel Carrère, les faits sont indéniables mais il n'y croit pas trop. Nous lui donnons raison, mais il se garde bien d'expliquer sa méfiance. Pour Limonov, la démocratie est un concept opératoire transitif. Au même titre que tous les autres concepts politiques. Pour faire vite basés sur les analyses du politique effectués par Aristote. La démocratie c'est comme le marteau ( celui qui incidemment était sur le drapeau de l'URSS ), vous pouvez vous en servir par exemple pour aider votre voisin à rafistoler le toit de sa maison, ou contre-exemple pour lui taper négligemment sur la tête afin de vous emparer de son logement. Un simple concept opératoire à manier selon les circonstances, selon la manière dont vos ennemis politiques s'en servent. La démocratie n'est plus le bien absolu intangible, la suprême valeur. Rappelons-nous que Marx a osé employé le concept de dictature prolétarienne pour mener à bien la liquidation des institutions libéro-bourgeoises. Limonov est donc un fasciste quod corrumpet conceptum democraticum. Le politique n'est pas un dîner de gala. Limonov en dévoile la froideur opérative. En jette à bas les prétendus présupposés philosophiques platoniciens au profit d'une pragmatique sophisticienne. A la fin de son livre Emmanuel Carrère imagine une éblouissante sortie par le haut pour son anti-héros, et s'il créait une religion ? ! Cette ridicule hypothèse est très logique : l'eidos de l'eidos platonicienne n'est-elle pas l'introduction sous une autre forme de l'autre nom du dieu unique ? Emmanuel Carrère trahit ainsi ses errements de petit-bourgeois en quête d'une transcendance démocratique. Le cas Limonov est problématique. Ce n'est pas de sa faute. L'aurait pu être un bon écrivain, point à la ligne. Les circonstances en ont voulu autrement. L'est né en 1943. Autrement dit, l'était en pleine force de l'âge lorsque le communisme s'est effondré. Exit l'URSS. Retour de la sainte Russie. Un âge d'or pour les intellectuels occidentaux. Alléluia, le communisme était mort et enterré. Victoire idéologique sur toute la ligne. La Russie enfin s'ouvrait à la démocratie et au libéralisme. Les lendemains n'étaient plus au rouge, ne furent pas roses non plus. Se passa un phénomène incompréhensible. Au lieu de baiser les pieds de la statue de Sainte Démocratie, une grande partie du peuple russe éprouva une grande nostalgie pour le communisme. Incroyable mais vrai, par un étrange mouvement réversible de balancier, voici un peuple à qui l'on offrait la liberté qui se mettait à rêver du retour de la dictature communiste ! Jusqu'à Staline ! le petit père des pères qui déboulait en force dans l'imaginaire collectif ! Cela s'explique et Emmanuel Carrère décrit bien les rouages de ce mécanisme. La démocratie c'est bien beau, mais la thérapie de choc libérale qui présida la nouvelle économie politique du pays si elle permit l'enrichissement à outrance d'une minorité d'affairistes précipita dans une misère noire le reste de la population. L'on en vint à regretter le bon vieux temps de l'enseignement accessible à tous et de la médecine gratuite. Ce n'était pas le Pérou, mais au moins on mangeait à sa faim. D'autre part se passa une autre dérive. Puisque le communisme se présentait comme le libérateur de l'Europe et le vainqueur du fascisme, de nombreux opposants en conclurent durant le joug communiste que le fascisme ne devait pas être si mauvais que cela puisqu'il s'opposait au communisme. Après 1989, cette vue des choses proliféra dans de nombreuses couches de la société. L'on se ralliait plus facilement à cette dernière qu'à une admiration sans bornes pour le modèle démocratique occidental. La purge libérale économique agissait comme un répulsif idéologique. A titre individuel, le Russe moyen inclinait pour la venue d'un pouvoir fort capable de remettre de l'ordre dans le système économique, à titre collectif le citoyen russe de base se sentait mortifié, du jour au lendemain le pays avait perdu son prestige et sa réalité de grande puissance. L'orgueil national en fut blessé, le nationalisme devint une idée opératoire fortement agrégative. De retour en Russie, Limonov créa son parti politique : national- bolchévique. L'alliance des contraires. Fascisme et communisme dans sa forme originelle la plus révolutionnaire, dans le même verre. Fascisme parce qu'il fallait un pouvoir fort pour redresser le pays, bolchévique parce qu'il fallait redonner aux masses laborieuses la possibilité d'une vie décente ce qui nécessitait le ré-accaparement des richesses au bénéfice des plus pauvres. Politiquement ce fut un échec. Culturellement ce fut une réussite éclatante. Le parti eut jusqu'à dix mille membres. Pas grand-chose. Peu de moscovites. Beaucoup de jeunes provinciaux qui trouvèrent une échappatoire à leur terne quotidien. En exagérant uploads/Politique/ piai-017-limonov-pdf.pdf
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- Publié le Dec 05, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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