Publications de l'École française de Rome Conclusions Jacques Le Goff Citer ce
Publications de l'École française de Rome Conclusions Jacques Le Goff Citer ce document / Cite this document : Le Goff Jacques. Conclusions. In: Le forme della propaganda politica nel Due e nel Trecento. Relazioni tenute al convegno internazionale di Trieste (2-5 marzo 1993) Rome : École Française de Rome, 1994. pp. 519-528. (Publications de l'École française de Rome, 201); https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1994_act_201_1_4442 Fichier pdf généré le 30/03/2018 JACQUES LE GOFF CONCLUSIONS On me permettra de ne pas nommer dans ces réflexions finales les auteurs de communication auxquels pourtant cet effort de synthèse doit tout. Ce colloque a bien été comme je l'espérais un colloque d'histoire politique mais d'histoire politique renouvelée. L'histoire politique en effet, naguère très ennuyeuse pour moi, est devenue aujourd'hui très passionnante. Il ne s'est pas agi seulement d'un domaine particulier de l'histoire politique, l'étude d'un des comportements politiques les plus importants : convaincre et séduire, mais on a aussi exploré une voie d'accès à la compréhension de la nature et du fonctionnement du pouvoir dans les sociétés médiévales. Ce colloque est une contribution importante en même temps à l'histoire sociale, à l'histoire culturelle, à l'histoire de l'imaginaire, à l'histoire du symbolique, sans lesquelles il n'y a pas aujourd'hui d'histoire politique véritable. Vous avez élucidé des problèmes de terminologie qui sont toujours très importants pour l'historien. La thématique et la problématique du colloque ont été définies par un mot récemment entré dans les études historiques, qui vient du domaine religieux (propaganda fide) et qui a acquis depuis quelques temps, notamment pour les Français, une connotation péjorative, celui de propagande, proche d'une action d'intoxication. Ce concept et les pratiques qu'il recouvre évoluent dans un champ sémantique vaste et flou. Il va de la simple affirmation du pouvoir, individuel ou collectif, au programme, à la polémique, à la manipulation. La propagande peut être consciente ou inconsciente, volontaire ou spontanée. Cependant, plus elle sera consciente plus elle procédera de la volonté, plus elle dépendra d'une organisation, d'un plan, plus on s'approchera de la propagande à proprement parler. Il y a déjà eu au Moyen Âge de véritables institutions de propagande. Nous avons pu ranger dans cette catégorie par exemple les chancelleries, la prédication (pas forcément religieuse), les orateurs, parmi lesquels Gert Melville a récemment étudié ces personnages très caractéristiques de la vie sociale et politique du bas Moyen Âge : les hérauts. Mais il faut reconnaître que le Moyen Âge se situe dans une 520 JACQUES LE GOFF période qu'on peut appeler pré-propagandiste ou plutôt de propagande diffuse et qu'il faut pour étudier la propagande politique médiévale admettre une typologie de formes sans limites franches, se transformant les unes dans les autres. À vrai dire cet élargissement de la notion de propagande peut trouver des justifications. Les sources, les documents des historiens ne sont pas seulement des supports d'information, ce sont aussi des instruments de persuasion, des armes idéologiques. Tout document tend au monument1, il recèle un pouvoir plus ou moins conscient de s'imposer et d'imposer. Un document est un plaidoyer ou même un acte de force. Plus précisément, en introduisant la considération de l'évolution historique, le recours au concept de propagande pour désigner un aspect de l'activité politique aux XIIIe-XIVe siècles se justifie par une mutation profonde des comportements liée aux transformations politiques. L'Église a fortement dénoncé au XIIIe siècle un péché devenu général et majeur dans la chrétienté : fraus, la fraude, la tromperie, l'illusion. Ce péché est surtout apparent et dénoncé dans le domaine de la nouvelle économie monétaire, la nouvelle économie de marché. Mais elle se développe aussi dans l'univers politique. La grande polémique politique antérieure à cette époque avait été celle de la querelle du Sacerdoce et de l'Empire, de la réforme grégorienne. Mais chaque camp développait son argumentation en étant persuadé d'être dans son bon droit, par référence à la vérité. Désormais on va s'efforcer de convaincre par tous les moyens en cherchant non un pouvoir fondé sur la vérité - la veritas est devenue un slogan -, mais le pouvoir pour le pouvoir. Tout est prêt pour la naissance de la propagande car dorénavant la valeur politique suprême c'est l'État, qui secrète la raison d'État. La différence n'est pas très grande entre l'État monarchique, l'État communal, l'État signorile. L'histoire de la propagande est un chapitre de l'histoire du mensonge2, une histoire de la manipulation. L'histoire du mot propagande nous éclaire donc sur ce lien profond de la propagande avec le mensonge d'une part et, ce qui n'est pas contradictoire, avec ses origines religieuses de l'autre. Les formes les plus impressionnantes de la propagande s'enracinent dans le sacré. L'État, loin de procéder d'un mouvement de laïcisation, de désacralisation du pouvoir, comme on l'a dit souvent, recueille le transfert du sacré du pouvoir spirituel au pouvoir tem- 1 Je me permets de renvoyer à mon article Documento/ Monumento dans l'Enciclopedia Einaudi et aux travaux de Michel Foucault. 2 L'histoire du mensonge, cette obsession du Moyen Âge, ce dont témoignent les nombreux manuscrits du De mendacio de saint Augustin, éclairerait cette histoire de la propagande. CONCLUSIONS 521 poral. C'est ce que Kantorowicz a joliment appelé mysteries of state. Il est vrai que le terme sacré qui appartient aussi bien au vocabulaire juridique qu'à l'univers religieux doit être analysé avec précision. Une notion comme celle de paradis témoigne de ce transfert du sacré à la vie publique. Le Liber Paradisus de Bologne place un acte politique sous le patronnage du paradis, un lieu de célébration politique comme la place de la cathédrale reçoit le nom de Paradisus ecclesiae : c'est un espace, un jardin sacré. Albert le Grand, dans une série de sermons prononcés à Augsbourg dans les années 1260, qui constituent un véritable traité de théologie urbaine, compare les rues de la ville à l'enfer et ses places au paradis. Les liens entre propagande et sacré sont particulièrement forts et clairs dans le cas des prophéties politiques et des expressions eschatologiques des programmes politiques. Cette histoire du mensonge est aussi une histoire de l'assuje- tissement. Les objectifs de persuasion de la propagande politique définissent un parcours, un processus de l'action politique : dans cette civilisation du paraître qu'a été la civilisation médiévale, la propagande s'exprime souvent par des spectacles. Par exemple c'est l'exhibition, la monstration du côté judiciaire du pouvoir politique, l'exhibition des supplices au pilori ou sur des estrades. Les célébrations sont des spectacles de propagande. Ainsi se réalise un mouvement qui amène les spectateurs de la connaissance à la reconnaissance, de la reconnaissance à l'obéissance. Cette propagande, notamment exhibitionniste, est un instrument pour transformer les homines du système féodal ou les cives du système communal en subditi, sujets. C'est une transformation des habitants du royaume en sujets du roi qu'éclaire bien par exemple le De instructione regum et principum de Gilbert de Tournai dédié à saint Louis en 1259 pour le royaume de France. De même Bernard Guenée vient de montrer comment, dans ce royaume de France du bas Moyen Âge, même les princes du sang sont devenus des sujets du roi. L'histoire de la propagande politique est aussi une histoire de l'assujetissement. Notre riche colloque a également ouvert des recherches et des réflexions à poursuivre. D'abord en ce qui concerne l'outillage verbal et mental. Nous avons reconnu que propagande est un bon mot. Quels termes y correspondent plus ou moins dans les vocabulaires latins et verna- culaires de l'époque? Quelles différences dans la signification des termes de l'époque par rapport aux sens de propagande sont les révélateurs de l'originalité du phénomène médiéval lui-même par rapport au phénomène que nous désignons aujourd'hui par propagande'? Il faudrait regarder du côté de la rhétorique. Pendant la période que nous avons examinée, la rhétorique politique change et 522 JACQUES LE GOFF ici encore ces changements sont liés aux mutations des institutions et de la pensée politique et notamment à l'émergence plus ou moins grande selon les pays d'un État et d'une conscience d'État, qu'il s'agisse d'État monarchique, d'État urbain ou d'État signorile. Plus encore sans doute que les concepts abstraits, par exemple les termes d'audacia ou superbia désignant le péché, féodal par excellence, de révolte ou de domination, des termes très concrets, lieux communs d'un vocabulaire quotidien parfois emprunté au monde animal comme «la lutte des agneaux contre les loups», définissent bien le vocabulaire médiéval de la propagande politique. Ainsi s'offre à nous toute une recherche à approfondir sur les moyens de communication et les modes de réception de cette propagande. Et il faudrait bien sûr essayer de saisir son efficacité, entreprise délicate mais nécessaire. Cette analyse des structures de la propagande passe aussi par l'identification pas toujours évidente de ses destinataires. Ici apparaît la notion de public, d'opinion publique, termes peut-être trop modernes mais par lesquels, faute de mieux, nous pouvons désigner des réactions à la propagande politique dont l'émergence se fait de plus en plus forte au cours des XIIIe-XIVe siècles. Pour prendre un exemple d'efficacité ou d'échec d'une propagande idéologique mais politique aussi, pourquoi saint Bernard, quand il appelle à la croisade à Vézelay, suscite-t-il la vocation uploads/Politique/ le-goff-conclusions-le-forme-della-propaganda-politica-nel-due-e-nel-trecento.pdf
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- Publié le Nov 15, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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