PENSER avec DONNA HARAWAY Sous la direction d'Eisa DORLIN et Eva RODRIGUEZ Actu
PENSER avec DONNA HARAWAY Sous la direction d'Eisa DORLIN et Eva RODRIGUEZ Actuel Marx Confrontation sous la direction de: Jacques BIDET Gérard DUMÉNIL Emmanuel RENAULT rA Tll Marx 1 Confrontation PENSER avec DONNA HARAWAY Sous la direction d'Eisa DORLIN et Eva RODRIGUEZ Ce livre a reçu le soutien de l'ANR-07-JCJC-0073-01 « BIOSEX» PRESSES U N I V E R S I T A I R E S D E F R A N C E Conception et réalisation graphique : belle mécanique ISBN 978-2-13-058980-8 Dépôt légal - 1"édition: 2012, mai ISSN 1158-5900 © Presses Universitaires de France, 2012 6, avenue Reille, 75014 Paris TABLE DES MATIÈRES ELSA DORLIN ET EVA RODRIGUEZ Introduction. En compagnie de Donna Haraway 007 VINCIANE DESPRET En finir avec l'innocence. Dialogue avec Isabelle Stengers et Donna Haraway 023 BENEDIKTE ZITOUNI With whose blood were my eyes crajted? (D. Haraway). Les savoirs situés comme la proposition d'une autre objectivité. 046 MARÎA PUIG DE LA BELLACASA Traduit de l'anglais par Diane Koch Technologies touchantes, visions touchantes. La récupération de l'expérience sensorielle et la politique de la pensée spéculative 064 EMILIE HACHE « Ifl have a dog, my dog has a human » 089 MADELEINE AKTYPI Donna Haraway et les technologies de l'ordinaire 103 DAVID SAKOUN Cyborg et Cyberpunk 123 EVA RODRIGUEZ ET MALEK BOUYAHIA Penser la figuration chez Donna Haraway avec Walter Benjamin : un « espace métaphorique de résistance » 136 DONNA HARAWAY Traduit de l'anglais (USA) par Sara Angeli Aguiton Les Promesses des monstres : Politiques régénératives pour d'autres impropres/inapproprié-e-s 159 SARA ANGELI AGUITON Le voyage vers ailleurs : Mindscapes politiques et scientifiques 230 INTRODUCTION EN COMPAGNIE DE DONNA HARAWAY Eba DORLIiy et Eva RODRIGUEZ Traverser les frontières Figure majeure du féminisme anglophone contemporain, com- pagne des cyborgs et des chiens, « sœur » des primates et des souris de laboratoire, Donna Haraway est biologiste de formation, histo- rienne et philosophe des sciences. Jeune retraitée de l'Université de Californie à Santa Cruz, où elle a été professeure au mythique dépar- tement de « History of Consciousness », Donna Haraway a étudié et enseigné pendant des années à la croisée des disciplines, interrogeant les pratiques et les « mythes » technoscientifiques à l'aide des outils critiques développés tant par la philosophie marxiste, les études culturelles, l'écologie anti-impérialiste ou je Black Feminism. Introduire - et traduire - Donna Haraway en France aura pris du temps, en tout cas plus qu'il n'en aura fallu à nos voisins européens : c'est que son œuvre fait figure d'OVNI dans le paysage universitaire hexagonal où l'histoire et la philosophie des sciences demeurent une discipline plus ou moins conservatrice, dont les traditions théoriques ne se laissent guère bousculer par les travaux et recherches contempo- rains croisant études des sciences, études de genre et théorie critique. II faut aussi avouer que le style de Donna Haraway est singulier et que le travail de traduction - y compris culturelle - s'avère héroïque. Dans sa thèse de biologie soutenue en 1972 à l'Université de Yale, Haraway s'est intéressée aux changements de paradigmes dans la biologie du développement entre 1850 et 1930; elle y analysait le rôle primordial des métaphores dans la .constitution des savoirs biologiques. Revenant à ses premières amours - elle a d'abord été PENSER AVEC DONNA HARAWAY diplômée en zoologie, en philosophie et en littérature — elle se pas- sionne alors pour l'histoire de la primatologie. Haraway a insisté sur la façon dont les sciences qui étudient les « primates non humains », fidèles à la tradition du réalisme, prétendent nous révéler la nature et ses origines, cette prétendue Nature d'avant la Culture dont elles tracent les frontières, définissent, ordonnent et classent les êtres qui la peuplent, leurs relations comme leur histoire. Derrière cet acte de « dévoilement » et d'ordonnancement de la nature, ce que les sciences prétendent voir et nous donner à voir c'est aussi et toujours un discours sur nos propres sociétés humaines. En témoignent, par exemple, les lieux communs développés par des disciplines comme l'éthologie ou la préhistoire, relayés par les techniques muséogra- phiques ou les productions audiovisuelles qui les popularisent, sur le « mâle dominant » ou les « chasseurs/cueilleurs », sources inépui- sables du patriarcat moderne. Ainsi, ce n'est pas l'observation des primates qui nous informe sur le résidu naturel de notre économie sexuelle mais bien cette économie sexuelle que nous projetons sur les primates, les constituant comme les personnages inactuels de nos fables sociales. Biologiste, philosophe des sciences, Haraway est aussi une épis- témologue redoutable qui propose une généalogie de la relation entre sujet et objet de connaissance. Pour Haraway, le récit scien- tifique dominant est celui d'un « témoin modeste », témoin sans corps et sans histoire, qui prétend fonder son objectivité sur l'idée d'une vision désincarnée (à la fois non médiatisée et non située). Or, cette prétention est aussi celle d'une classe dominante — blanche, masculine, bourgeoise et hétérosexuelle - qui s'est ménagé le privi- lège de constituer comme objet de science et objet de discours les sujets dominés et exploités. Plutôt que d'abandonner « l'objectivité » au profit d'une version douce de subjectivisme - comme d'autres féministes ont pu être tentées de le faire - Haraway prône donc une objectivité encorporée. Dans la continuité des « épistémologies du point'de vue » marxistes et féministes, elle milite ainsi pour la pro- duction de « savoirs situés » qui travaillent des pratiques théoriques assumant et réfléchissant leurs conditions matérielles - y compris sensuelles — d'élaboration. Enfin, dans ses derniers travaux, Haraway s'intéresse aux modes de relation que nous pourrions et devrions construire avec ce qu'elle appelle les « espèces compagnes » : comment apprendre « à devenir ensemble » avec ceux et celles avec qui nous co-évoluons, notam- ment les chiens, mais également « tout autre être organique auquel 8 Introduction l'existence humaine doit d'être ce qu'elle est, et réciproquement »' : les bactéries, les tulipes, les abeilles, ou encore la flore intestinale. Haraway s'interroge sur les histoires communes qui nous lient, dont nous héritons et qui nous co-constituent dans la « natureculture », ce théâtre commun en perpétuelle (re) construction auquel elle ne cesse de prêter attention. Haraway ne propose pas uniquement Aine pensée qui travaille théoriquement la transgression des frontières disciplinaires. Elle met aussi en œuvre pratiquement cette indiscipline au travers de son écri- ture au style proqhe du genre littéraire de la science-fiction ou par l'utilisation de figures hollywoodiennes, la plus exemplaire étant celle de la/le « cyborg » dont la notoriété va bien au-delà des milieux uni- versitaires. Publié en 1985 dans un numéro de la Socialist Review consacré au féminisme et aux technologies, le « Manifeste cyborg: science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle » a fait d'Haraway et de son goût certain pour le brouillage des fron- tières du « Grand Partage » de la modernité (corps/esprit, nature/ culture, biologie/social, homme/femme, humain/animal, orga- nisme/machine, réalité/fiction, naturel/artificiel), une sorte d'icône postmoderne, étiquette avec laquelle elle a depuis pris ses distances. L'usage qu'elle fait de la science-fiction, et de ce qu'elle appelle la « politique-fiction (politico-scientifique) »2, lui permet au contraire de déjouer les pièges intellectuels des récits contemporains, d'user d'ironie sans jamais basculer dans le cynisme propre à certains dis- cours se réclamant précisément du « postmoderne ». Quoi qu'il en soit, il faut saluer aujourd'hui l'effort de, ceux et celles qui se sont lancé-e-s dans la tâche difficile de traduire Haraway; car une chose au moins est certaine, traduire Haraway est un exercice particulière- ment malaisé tant le langage qu'elle pratique est technique et foison- nant. Les néologismes, tropes, métaphores et figures qu'elle mobilise habitent littéralement ses textes et donnent aux mots une consis- tance matérielle, presque charnelle. Traduire Haraway suppose donc d'accepter de faire voyager des concepts, de décontextualiser et de recontextualiser les termes mêmes dans lesquels ils ont été pensés, de prendre au mot Haraway lorsqu'elle dit que « toute histoire est un 1. D. Haraway, Manifeste des espèces de compagnie. Chiens, humains et autres partenaires (2003), traduit de l'anglais (USA) par Jérôme Hansen, Éditions de l'Éclat, coll. Terra incognita, 2010, p. 22. 2. D. Haraway, « Manifeste cyborg : science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XX' siècle », in Manifeste cyborg et autres essais: Sciences - Fictions - Féminismes, Anthologie établie par L. Allard, D- Gardey et N. Magnan, Paris, Exils, 2007, p. 33. 9 PENSER AVEC DONNA HARAWAY trafic de tropes »3. « To trop » donc, mais aussi « to trip », « troper » ou « faire un trip »4, prendre le risque de trébucher dans ce voyage sémantique d'autant plus complexe que l'écriture d'Haraway, multi- référencée, est toujours « située », ancrée dans un contexte particulier qui demande à être restitué avec précaution. En explorant certains des thèmes et des objets de recherche chers à Haraway, l'ensemble des contributions de cet ouvrage5 entend se ressaisir de sa pensée pour lui rendre hommage tout en espérant en prolonger la portée théorique, politique et épistémologique. Ainsi, nous avons uploads/Politique/ penser-haraway-donna.pdf
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- Publié le Mar 06, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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