Résister est-ce affirmer sa différence ? It is not our differences that divide

Résister est-ce affirmer sa différence ? It is not our differences that divide us. It is our inability to recognize, accept, and celebrate those differences. Audre Lorde, Our Dead Behind Us, 1986 Verra-t-on jamais une pierre se révolter ou faire la révolution ? Certainement pas. En revanche, une pierre est capable de résister. Elle peut résister aux coups d'un marteau en ne cédant pas aux chocs répétés qu'il lui imprime, ou résister à la pluie en ne s'altérant pas au passage de l'eau sur ses parois. Immobile, elle résistera à une force extérieure en se repliant sur elle-même, et demeurera intacte en opposant l'homogénéité de sa structure aux tentatives de destruction. Mobile, elle opposera en plus aux forces extérieures la force tirée de son mouvement. De son côté, l'homme, lui aussi, résiste. Tibétain, il résiste contre l'oppression de l'Etat chinois ; ouvrier, il résiste contre son exploitation par les détenteurs des moyens de production ; Noir américain, il résiste contre la ségrégation menée par les Blancs ; Femme, il résiste contre la domination des hommes. Contrairement à la pierre, dont l'identité semble préexister à la force qu'on lui impose, le sujet qui résiste semble voir, au moins partiellement, son identité définie négativement par différence avec le pouvoir qu'il combat. Alors que la pierre paraît être en position d'extériorité absolue par rapport au marteau, celui qui résiste semble réunit en intériorité avec le pouvoir dans une relation duelle d'interdépendance et d’interactions. Néanmoins, comme la pierre face au marteau, celui qui résiste semble être dans une situation d'opposition frontale face à un pouvoir contre lequel il ne peut que réagir passivement en se repliant sur son identité de lutte. Pourtant, l'homme résiste également en affirmant qu'il est un homme au même titre que celui qui l'oppresse et il scande qu'un autre monde est possible. Il affirme que son identité est riche et ne se réduit pas à être l'Autre du pouvoir. Il veut créer de nouveaux horizons dans lesquels les rapports de pouvoir de son présent ne seraient plus qu'un lointain passé. Résister chez l'homme devient alors non seulement réagir à une force, mais aussi agir pour tenter d'ébranler l'échiquier actuel des rapports de pouvoir qu'il subit. Dans cette perspective, l'acte de résistance doit être pensé comme un acte stratégique dont la forme et l'efficacité seront variables en fonction du mode de confrontation au pouvoir. Il doit également être pensé comme un acte politique dont l'efficacité dépendra de la capacité des résistants à se rassembler et à rassembler autour de leur lutte. La manière proprement humaine de résister apparaît alors comme un mélange complexe et indivisible de perpétuation et de changement, de conservation et de transformation, de négation et d'affirmation, de différence et de semblable, d'individuel et de collectif. L'acte de résistance articule le passage de l'acceptation à la révolte et le saut de l'inertie à la mobilisation. Mais quel est son détonateur ? A première vue, la constitution d'un sujet capable de résister semble nécessairement se faire au prix d'un repli inaugural sur une identité définie négativement vis-à-vis du pouvoir. L'identité du sujet est alors simultanément le ferment de la résistance et le fondement du rapport de pouvoir combattu. On s'interroge alors : le geste fondateur du résistant d'affirmer sa différence est-il un mal nécessaire et permet-il de résister efficacement ? Si la résistance n'est, dans un premier temps, que la persistance d'une identité construite par le pouvoir, y a-t-il un sens à dire que celui qui résiste affirme positivement sa différence ou ne fait-il que nier sa similitude avec le pouvoir ? Ces questions devraient nous plonger au cœur des liens entre résistance et subjectivation. Par ailleurs, l'efficacité de la résistance semble dépendre, nous l'avons vu, d'une capacité à agir collectivement. Dans cette perspective, résister efficacement reviendrait à identifier des points communs et des similitudes pour constituer un sujet collectif de résistance. Avec qui doit- on alors affirmer sa ressemblance et quelle peut-être cette ressemblance ? Est-ce résister efficacement que tenter de rassembler en affirmant une égale dignité au sein de la communauté des hommes ? Dans une première partie, nous analyserons le primat de l'affirmation par le sujet de résistance de sa différence avec le pouvoir en interrogeant son caractère nécessaire à la prise de conscience de soi ainsi que son efficacité. Dans une deuxième partie, nous analyserons la résistance comme affirmation de la communauté en questionnant notamment le recours à des valeurs telles que la liberté ou la dignité de l'homme pour fonder une résistance. Dans une dernière partie, nous analyserons la résistance comme affirmation de la Vie et comme processus de subjectivation par la pure différence. Dans cette première partie de l'étude nous analyserons l'affirmation de sa différence par le sujet résistant comme le temps premier et fondamental de prise de conscience de lui-même. Ce temps premier d'une stratégie dialectique se situant dans le langage peut-il réellement être temporaire et permettre un dépassement ? Dans son article intitulé « Nègreries : conscience raciale et révolution sociale », Aimé Césaire affirme que toute résistance commence, pour celui qui doit résister, par une prise de « conscience de soi ». Par la suite, cette conscience de soi individuelle doit devenir, pour les Noirs qui résistent contre l'oppression des Blancs, une conscience collective à la première personne du pluriel. Cette « conscience du nous » comme primat de l'acte de résister doit unir tous ses compagnons de lutte Noirs qui doivent ensemble « exploiter » leur « propres valeurs » et creuser leur « propre domaine racial ». Résister est d'abord, pour l'auteur, « saisir » collectivement sa « particulière différence » en travaillant avant tout à « être nègre » pour pouvoir finalement « rencontrer, en profondeur, les sources jaillissantes de l'humain universel ». Se poser en s'opposant apparaît alors comme le premier temps absolument nécessaire et incontournable d'un mouvement dialectique qui débouchera, seulement ensuite, sur un dépassement. La négation du pouvoir par affirmation de sa différence fondamentale avec lui, est donc posée comme la première condition de possibilité de la constitution des contours du sujet résistant individuel ou collectif. Ainsi, la « négritude » est posée comme transcendantale à la lutte contre les Blancs en réinvestissant, à l'extrême, les termes du rapport de pouvoir pour donner une consistance première au sujet résistant. C'est à ce « temps faible » de la « progression dialectique » que fait référence Jean-Paul Sartre dans Orphée Noir. Ce « moment de la négativité », comme il le nomme, est pour Sartre un moment temporaire dans la stratégie de la résistance des noirs, une identité passagère et destinée à se dissoudre une fois que se sera construite une « société sans races ». La modalité de la stratégie de résistance est, ici, celle d'une dialectique hégélienne qui utilise la « négritude » comme simple moyen en vue d'un dépassement ultime de la ségrégation et donc des différences entre les races. Ainsi, la différence devrait être d'abord affirmée pour pouvoir être dépassée et détruite. Le néologisme de « négritude » semble, à cet égard, posséder une certaine efficacité car il paraît permettre de s'écarter du piège tendu par l'utilisation du langage de la domination blanche tout en y faisant clairement référence. Il semble également permettre de fonder une identité momentanée qui pourra se dissoudre lors de l'explosion du rapport de pouvoir combattu. Cependant, comme l'affirme Judith Butler dans Trouble dans le Genre, un des échecs du féminisme est, précisément, de construire sa lutte sur le postulat de base d'un « sujet « femme » ». Selon l'auteure, penser pouvoir recourir à la « catégorie « femme » à des fins purement « stratégiques » est illusoire et contre-productif car « les stratégies charrient toujours des significations qui excèdent les objectifs prévus ». Ainsi l'utilisation d'une des catégories grammaticales de la division des sexes ne peut pas se limiter à une stratégie temporaire. Inéluctablement, elle naturalise et substantialise la « femme », tout en imposant « un rapport binaire du sexe ». C'est d'ailleurs contre cette « féminité métaphysico-discursive », prise au piège de l'utilisation de la langue du pouvoir masculin, que lutte l'auteure de Théorie queer et cultures populaires, Teresa de Lauteris. Cette « métaphysique de la substance » comme la nomme Butler, enferme, selon De Lauteris, « la critique féministe dans le cadre conceptuel d'une opposition universelle entre les sexes ». L'affirmation, par les femmes résistantes, d'une différence entre elles et les hommes ne serait pas le « temps faible » d'un dépassement à venir mais bien le nœud de la perpétuation du rapport de pouvoir combattu. C'est, semble-t-il, cette « névrose de la dialectique » condamnée au « bégaiement du négatif » que met en lumière Michel Foucault dans son texte Theatrum philosophicum. Pour Foucault, il faut se libérer d'une dialectique qui « ne libère pas le différent » mais qui, à l'inverse, « garantit qu'il sera toujours rattrapé ». Toute affirmation utilisant les catégories de la dialectique, piège le sujet qui résiste en limitant les manières dont il « peut se uploads/Politique/ re-sister-est-ce-affirmer-sa-diffe-rence-vf.pdf

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