1 Version provisoire Maurice BLANC La rénovation urbaine en France et en Europe

1 Version provisoire Maurice BLANC La rénovation urbaine en France et en Europe : histoire et enjeux Résumé de l’intervention à l’Institut d’architecture et des sciences de la terre, Université de Sétif 1, le 10.11.2015. Dans le langage courant, rénover (une maison, un meuble, etc.) veut dire le remettre à neuf. En urbanisme, rénover veut dire démolir de vieux immeubles (souvent, mais pas toujours, en centre-ville), pour construire du neuf à la place. Cette rénovation-démolition s’inscrit dans le mythe de la « table rase » : pour faire place à la modernité, il faut se débarrasser des vestiges du passé. Histoire de la politique de rénovation urbaine en France La « préhistoire » Avant d’être une politique menée par l’État, au début de la révolution industrielle (1830-1850), des opérations de rénovation-démolition ont été menées par des propriétaires privés, pour se débarrasser de leurs locataires pauvres et attirer une clientèle plus aisée (voir le roman de Balzac, La cousine Bette, 1846). La rénovation-démolition de Paris du Baron Haussmann Sous le Second Empire (1852-1870), Haussmann a été le Préfet de Police Napoléon III pour la Ville de Paris. Il visait le maintien de l’ordre et il a été en même temps le premier urbaniste avec une politique globale de développement de Paris, concernant le logement, les transports et l’adaptation de l’espace urbain aux nouvelles exigences du capitalisme : - Au nom de l’hygiène et de la santé publique, il faut détruire les taudis insalubres pour lutter contre les épidémies. Mais les immeubles de remplacement sont inaccessibles aux anciens habitants. La « question du logement » n’est pas résolue, elle est déplacée (Engels, 1887). - La démolition permet l’élargissement des rues et avenues, pour faciliter les déplacements et contrôler les espaces publics. Elle permet aussi de passer d’un immobilier résidentiel à un immobilier de bureaux (sièges sociaux des banques et des grandes entreprises, Ministères, etc.) et un immobilier commercial : les « grands magasins » (Galeries Lafayette par exemple) qui exigent des facilités de transport pour être accessibles à une clientèle éloignée. La 2e rénovation de Paris au début de la 5e République (1958) À la fin de la 2e guerre mondiale, à la différence des pays d’Europe du Nord, la France donne la priorité à l’industrie lourde et néglige le logement, entrainant une sérieuse aggravation de la crise du logement. En 1958, le général de Gaulle (avec le préfet Delouvrier) lance dans toute la France une politique de rénovation-démolition fondée sur les mêmes principes. Les quartiers rénovés sont de moins en moins des quartiers d’habitation et seuls des résidents riches peuvent s’y installer. L’élargissement des rues permet « d’adapter la ville à l’automobile ». La fonction commerciale et « tertiaire » des quartiers centraux se renforce. 2 Mais il y a une différence essentielle avec la rénovation du 19e siècle : la destruction des taudis dans le centre des villes s’accompagne d’une offre de relogement, avec la construction de grands ensembles de logements sociaux à la périphérie. Cette politique s’inspire du « Plan de Constantine » du général de Gaulle en1958, dont la mesure phare était la construction de 200 000 logements, permettant d'héberger 1 million de personnes. En France, ce relogement a produit des réactions opposées : - Pour les uns, satisfaction de sortir du taudis et d’avoir le « confort moderne » : chauffage central, salle de bains, etc. - Pour d’autres, le sentiment de mise à l’écart des pauvres dans une banlieue lointaine. - Pour beaucoup, les sentiments sont mélangés : un peu des deux à la fois. Dans le nouvel habitat, les conflits de voisinage entre « bons » et « mauvais » voisins sont fréquents. Ils portent souvent sur le bruit et sur l’éducation des enfants. L’éclipse de la rénovation Dans les années 1970, la crise, pétrolière puis économique, entraine l’abandon des grands projets urbains de rénovation urbaine. Au lieu de démolir les immeubles dégradés, on les réhabilite, dans le parc privé comme dans le logement social. (Mais c’est un autre sujet). Le retour de la rénovation-démolition dans le logement social en 2003 Le plan de rénovation des banlieues (2003) voulait démolir 200 000 logements sociaux dégradés pour en construire autant de nouveaux, mais en les dispersant. Selon l’exposé des motifs de la loi, cette démolition a deux objectifs : - Construire une « ville durable », avec de nouveaux logements économes en énergie - Favoriser la « mixité sociale », entre classes moyennes et classes populaires, en dispersant le logement social. Mais cet argumentaire est très discutable : - Il est surprenant de détruire autant de logements sociaux quand ils sont en nombre insuffisant pour répondre aux besoins et que la plupart d’entre eux pourrait être améliorée. - Le développement durable ne se limite pas aux économies d’énergie, même si elles sont importantes pour les locataires pauvres. Que fait-on des déchets produits par la démolition ? - On ne détruit pas seulement des logements, mais des solidarités de voisinage et des cultures de quartier. La mixité sociale sert de prétexte pour écarter les plus pauvres. Les enjeux de la rénovation-démolition Les mots et les choses Il ne faut pas s’arrêter aux mots employés et voir ce qu’ils recouvrent dans la pratique. En 1958, le gouvernement a donné à la rénovation de Paris le nom très explicite de « reconquête urbaine » ! Les classes dominantes reprennent possession des quartiers qu’elles avaient abandonnés et laissés aux pauvres. Mais cette réappropriation est à plusieurs niveaux : - Économique : en libérant des espaces pour la finance, le commerce de luxe, etc. - Urbain : en termes de transport notamment. - Symbolique : avec des équipements culturels pour classes « créatives » et riches touristes. - Social : la rénovation-démolition ne lutte pas contre la pauvreté, elle lutte contre les pauvres. Pour beaucoup d’architectes-urbanistes français, la démolition est un dogme, une nécessité qui ne se discute pas : on ne fera rien de bon si on ne commence pas par tout raser ! C’est un marché très lucratif pour les bureaux d’études urbaines et les entreprises du bâtiment. Mais c’est un véritable traumatisme pour de nombreux habitants et il faudrait y regarder à deux fois, surtout lorsque l’on voit que d’autres modèles fonctionnent bien dans d’autres pays. 3 Une alternative : le modèle allemand de rénovation douce ? En allemand, la rénovation se dit Sanierung, ce qui veut dire à la fois « soigner » et « assainir ». La démolition n’est pas exclue, mais c’est le dernier recours et non le point de départ obligatoire. C’est comme en médecine : on ampute après avoir essayé toutes les autres solutions. La pratique allemande de la rénovation douce est pragmatique. Elle part des habitants et de leurs besoins. Elle vise à leur permettre de mieux vivre dans leur quartier et leur logement, sans les forcer à en partir. Elle repose depuis longtemps sur trois principes qui commencent très timidement à être expérimentés en France : la personnalisation des travaux dans le logement ; l’encouragement à la participation individuelle et collective des habitants, dans les débats et dans la réalisation de certains travaux ; le renforcement des solidarités de quartier. Dans l’habitat dégradé, si un certain nombre de travaux de mise aux normes sont obligatoires, chaque locataire dispose d’un éventail de choix assez large : - Sur l’ampleur des travaux à réaliser : il (ou elle) peut choisir de s’en tenir au minimum obligatoire, ou d’en profiter pour faire des travaux plus importants. - S’il est bricoleur, il peut faire lui-même certains travaux, seul ou avec un collectif d’entraide d’habitants du quartier. Il obtient ainsi des garanties sur le montant du loyer et sur la durée du bail. S’il fait faire les travaux, il sait ce que cela entrainera comme hausse du loyer. - Ces groupes d’entraide peuvent aussi se charger de l’entretien des espaces verts, etc. Ils ont aussi la fonction de renforcer les solidarités entre voisins et de créer les liens qui rendent la vie dans le quartier agréable. Je vois deux explications à ces différences d’approche entre la France et l’Allemagne : - Les cultures politiques : la France est un pays centralisé qui privilégie l’État central, la loi et les programmes nationaux. L’Allemagne est un pays fédéral dans lequel les autorités locales et les citoyens ont beaucoup plus d’autonomie pour prendre des initiatives. - Les cultures professionnelles : les urbanistes français ont une approche des transformations de la ville par l’espace et ils croient comme Le Corbusier à « un bon urbanisme (qui) permettrait de faire l’économie d’une révolution ». Les urbanistes allemands partent de la société et ils cherchent la forme urbaine qui favorisera le développement social urbain. Il y a bien sûr une relation dialectique entre l’espace et la société, mais la société est le pôle central. Discussion après l’intervention Elle pourra s’orienter vers la situation en Algérie : s’inspire-t-elle de la France ou de l’Allemagne ? 4 Ressources électroniques BLANC M. & BIDOU Catherine (coordi.). 2010. « Les paradoxes de la mixité sociale (éditorial) uploads/Politique/ resume-conference-pr-blanc.pdf

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