Revue française de science politique Esquisse d'un tableau du roman politique f

Revue française de science politique Esquisse d'un tableau du roman politique français Monsieur Aimé Dupuy Citer ce document / Cite this document : Dupuy Aimé. Esquisse d'un tableau du roman politique français. In: Revue française de science politique, 4ᵉ année, n°3, 1954. pp. 484-513; doi : https://doi.org/10.3406/rfsp.1954.452659 https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1954_num_4_3_452659 Fichier pdf généré le 22/04/2018 Tableau du Roman Politique français AÏME DUPUY ême au temps où le romancier des Rougon-Macquart connaissait une large audience, l'un de ses ouvrages les plus appréciés n'était point ce livre Son Excellence Eugène Rougon dont l'un des historiographes de Zola écrira cependant qu'il représente « le chef-d'œuvre du roman politique français » 1. Le récent cinquantenaire de la mort du maître de Médan nous a suggéré de vérifier l'exactitude de cette opinion et, de ce fait, conduit au présent recensement critique d'une variété, peu explorée jusqu'ici, du genre romanesque en France. Précisons d'abord et limitons notre sujet : observer et juger, décrire ensuite 1' « homo politicus », le monde, la vie et la « chose politique » dans ses thèses, manifestations et conséquences, cela peut se proposer au mémorialiste ou à l'historien, au pamphlétaire ou au moraliste, à l'essayiste, voire au poète ou au dramaturge. On entend s'en tenir ici au seul romancier, à ce « genre sans frontières » qu'est le roman, procédé littéraire commode pour, grâce à une fiction mêlée, avec plus ou moins de vérité et d'art, à la réalité des faits invoqués, exprimer, sut ce thème comme sur d'autres, les intentions et les comportements soit d'hommes, soit de milieux engagés dans la vie politique française. Nous éluderons aussi le roman dit « historique » — le Cinq-Mars de Vigny par exemple — ou le roman de caractère « social », tel Le Compagnon du tour de France, de George Sand, le premier tenant trop 1. Maurice Le Blond, commentaires de Son Excellence Eugène Rougon, dans l'édition Bernouard (Fasquelle) Tableau du Roman- Politique français souvent de l'imagination et de la fantaisie 2 ; le second, moins soucieux de décrire V événement que de rêveries ou d'utopies. Le roman politique, tel que nous le concevons, est celui quir centré sur tel ou tel régime, provoque, chez l'écrivain intéressé par îe sujet, la peinture réaliste de es régime, dans sa naissance, ses aléas, ses crises ou sa chute, avec ses patrons et ses adversaires, ses leaders ou ses partisans, de l'électeur à l'élu, au parlementaire à l'homme au pouvoir, avec les réactions qu'implique l'action gouvernementale sur le « pays légal » ou sur « le pays réel ». « Je cherchais un. romancier, et je trouve un politicien », écrira, dépité, un critique consciencieux, au goût littéraire sûr, d'un des meilleurs conteurs français de tous les temps, engagé un jour dans une grave « Affaire » nationale3. Bien au contraire, un tel exemple nous enchante, puisqu'il est précisément un cas typique de rencontre de l'écrivain et du citoyen, c'est-à-dire de ceux des hommes de lettres qui n'oublient pas qu'ils appartiennent à la cité 4. I. D'UN REGIME A L'AUTRE, A TRAVERS LE ROMAN POLITIQUE A l'orée du xixe siècle, Mme de Staël, Benjamin Constant et d'autres observateurs aussi avisés « se demandaient anxieusement si une France orientée vers la démocratie se débarrassait suffisamment de la désinvolture mondaine dont l'esprit « roué » avait marqué la fin de l'Ancien Régime ». Et M. Fernand Baïdensperger^ qui fait cette observation, évoque judicieusement, en faveur de cette « littérature républicaine » (autrement dit, sans doute, littérature soucieuse, désormais, de la chose publique), comme preuve de l'éveil certain d'une « conscience des temps nouveaux », l'apparition, à la suite de l'Adolphe de B. Constant (1816), d'ouvrages « accommodés aux nouveautés politiques . d'un siècle rénové » 5, Ouvrages au fond « sérieux » sans perdre pour cela leur qualité 2. Nous choisissons cet ouvrage à dessein, puisque Vigny « sait bien qu'un romaa historique n'est pas une relation sincère des faits », comme écrit M. Pierre Flottes> dans sca Alfred de Vigny, 1925. — Dans les Réflexions sur la vérité dans fart, sorte de préface aux nouvelles éditions de Cinq-Mars, après 1827, ces Réflexions « se résument en trois mots : permission de mentir... » 3. Voir Victor Giraud, Les Maîtres de l'heure, t. IL Anatole France. 4. Dans la préface de leur roman du cycle, Une Epoque, « rcman au service da l'Histoire », Paul et Victor Margaeritte le disent fort nettement r ils ont fait là ua effort de citoyens autant que d'écrivains ». 5. Adolphe, édité par F. Baldenspergek, Î946. Aimé Dupuy volontairement romanesque ; songeons, par exemple, au Sênancout d'Obermann (1804), le héros notant, dans l'une de ses lettres : « Ma cité est heureuse si les choses sont réglées, si les pensées sont connues. Il ne lui faut plus qu'une bonne législation ». Ce scuci, tout nouveau, de la valeur de la législation, c'est-à-dire des bases et des formes du régime que se donne un pays orienté vers la démocratie, voilà précisément l'objet du présent article. ïl %7a en effet essayer de montrer que maints romanciers du xixe, et non des moindres, ont donné à cette préoccupation une place, souvent privilégiée, dans des ouvrages romancés devenus ainsi, en dehors de leurs mérites esthétiques, de véritables contributions à l'histoire politique de la France au delà de 1789. ' Et l'on peut noter, tout de suite, qu'il ne sera, désormais, plus de régimes qui ■ — dans leur succession comme par leurs caractéristiques ou à travers leurs crises — n'aient été dépeints, avec plus ou moins d'insistance, par de nombreux romanciers français. STENDHAL ET LA RESTAURATION Voici d'abord la Restauration, vis-à-vis de laquelle, et encore qu'il ne fût point « romancier », nous n'hésitons pas à inscrire en premier lieu le nom de Paul-Louis Courier. Aussi bien, cette chronique rurale, si passionnante, tenue par le « vigneron de La Cha- vonnière » de 1817 à 1821, se lit-elle comme un roman. Car, ainsi que le notera Albert Thibaudet, c'est la France réelle du règne des lys, « vue de Véretz, avec le maire et le curé, les villageois qui dansent ou ne dansent pas. Mais, en même temps, ce îocaîisme tourangeau fait vivre pour nous une cellule politique française » 6. Cependant, en dehors de ce témoin précieux et savoureux, mais tout de même un peu en marge des romanciers, le plus patent d'entre eux sous la Restauration, n'est-ce pas Stendhal, l'écrivain aux « petits faits vrais », consignant, entre 1815 et Î835 — même s'il n'est compris que bien plus tard — son expérience du régime ? Deux de ses livres en font foi : Armance (1827), « roman des funérailles de la monarchie de droit divin, tintant le glas des Bourbons et de leurs courtisans »7; puis Le Rouge et le Noir (1831), 6. Albert Thibaudet, Hist. liît. fse de 1789 à nos jours. Il ajoute : « Le couriérisme, c'est déjà la troisième République, au moins celle d'hier, anticléricale, radicale... ». Paul-Louis, « bon en toute saison, se lira de préférence en période électorale, où il trouve mille échos... ». 7. Pierre Jourda, Stendhal : l'homme et l'œuvre, Ï930. — Voir également notre étude : « Maires ruraux sous îa Restauration », Inf. hist., septembre 1952. Tableau du Rowja-n PoïUique français dont M. Pierre Jourda écrit que» « plus qu'un roman psychologique, c'est, si l'on peut dire, une étude de médecine politique » concernant cette France de Charles X, si bien définie dans la « Note secrète » rédigée par Julien Sorel, observateur de Verrières ou du salon de la Mole. Le Rouge, c'est l'histoire de la compétition municipale entre le maire, M. de Rénal, « nommé par la Congrégation de 1815 », manufacturier, qui, parce que le parti libéral de Verrières « devient millionnaire » à son tour, rougit aujourd'hui d'être « industriel » — et son subordonné Vaîenod, homme de peu, mais intrigant fieffé, en coquetterie avec l'Eglise, et heureux « candidat du Ministère ». Autrement dit, la rivalité, très exacte sous Charles X, entre « ministériels » et « jésuites en. robe courte ». C'est aussi, au Grand Séminaire de Besançon, la lutte, dissimulée, entre le rigorisme janséniste et la souplesse de la Congrégation. C'est enfin un document incomparable sur les milieux provinciaux et les salons ultras, dont la Révolution de Juillet, que Stendhal ne pouvait prévoir alors qu'il écrivait son livre, « mais qu'il sentait proche, allait démontrer la cruelle exactitude » 8. BALZAC ET LA MONARCHIE DE JUILLET Nous allons d'ailleurs retrouver Stendhal, avec son Lucien Leuwen, observateur aussi méticuleux de la Monarchie de Juillet que de la Restauration, décrivant l'antagonisme de légitimistes vaincus et de la bourgeoisie triomphante et montrant la société française en quête d'une équilibre impossible. Ce roman, malheureusement inachevé, se présente dans sa seconde partie comme un « véritable manuel de l'art politique, révélant chez Stendhal une connaissance complète du pouvoir » 8. On y voit le jeune envoyé du ministre faisant, au cours de ses deux missions électorales en province, son éducation politique uploads/Politique/ roman-politique-en-france 1 .pdf

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