PASCAL SALIN LIBERALISME LES EBOOKS AGALL © Odile Jacob, 2000. ISBN: 2738108091

PASCAL SALIN LIBERALISME LES EBOOKS AGALL © Odile Jacob, 2000. ISBN: 2738108091 1 Introduction La reconnaissance de la liberté individuelle a lentement émergé de l'Histoire dans les pays occidentaux et elle a été à l'origine de leur extraordinaire prospérité : pour la première fois, à partir de la fin du XVIIIe siècle, des masses immenses ont pu sortir de la pauvreté parce qu'on a laissé les hommes libres de créer. Cette leçon a été pourtant oubliée et le « libéralisme » est presque devenu un terme honni dans la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. L'effondrement récent non seulement des anciens pays communistes, mais aussi de tous les pays qui avaient adopté les recettes de l'interventionnisme étatique, aurait dû coïncider avec le triomphe des idées libérales. Or cela ne semble pas être le cas. Cette étrange situation a probablement des racines de nature intellectuelle : même si, spontanément, les hommes ont besoin de liberté individuelle, les instruments intellectuels leur manquent à notre époque, particulièrement en France, pour comprendre le fonctionnement complexe d'une société fondée sur le principe de liberté. La pensée libérale connaît pourtant un extraordinaire développement à travers le monde : économistes, philosophes, juristes, historiens en redécouvrent les fondements, en étudient les innombrables facettes, en recherchent les implications pour tous les aspects de l'activité humaine. Mais cette explosion intellectuelle, aussi fascinante soit-elle, reste largement méconnue. À cause de cette méconnaissance fondamentale, le débat sur le libéralisme repose en fait sur un immense malentendu que nous nous proposons précisément de dissiper. Il est en effet étonnant et même tragique de constater qu'on attaque le libéralisme en lui attribuant des caractéristiques qui lui sont totalement étrangères. Ainsi, la politisation moderne de la vie conduisant à faire prévaloir les clivages politiques sur les 2 clivages intellectuels, on considère a priori que les libéraux sont à droite et que tous les hommes politiques de droite sont libéraux de telle sorte que tout échec d'une politique de droite est assimilé à une faillite du libéralisme. Une simple exigence de morale intellectuelle ne devrait-elle pourtant pas conduire à se demander si les politiques en question constituent effectivement des politiques libérales, ce qui impliquerait évidemment de posséder des critères d'évaluation ? On reproche au libéralisme d'être matérialiste, de prôner la poursuite exclusive de la richesse aux dépens de toute autre valeur, alors qu'il n'a d'autre aspiration que de permettre l'épanouissement des êtres humains et la réalisation de leurs objectifs, spirituels, affectifs ou esthétiques autant que matériels. On lui reproche d'être sauvage alors que, fondé sur le respect intégral des autres, il exprime l'essence même de la civilisation. Ce qui caractérise le libéralisme ce n'est pas non plus l'économie de marché, contrairement à une présentation habituelle, mais restrictive. En réalité, l'économie de marché peut exister même dans des sociétés collectivistes. Ce qui caractérise le libéralisme c'est la reconnaissance des droits de propriété et de la liberté contractuelle. Cela ne signifie d'ailleurs pas que les droits de propriété doivent faire l'objet d'une définition légale ; ils peuvent naître spontanément et être reconnus par des procédures privées ou des procédures de type judiciaire. Le marché constitue pour sa part un ordre spontané dont les mérites ont été reconnus depuis longtemps par la pratique, mais aussi par les économistes. Mais l'apparition spontanée du droit en est le « pendant » indispensable que les juristes devraient mieux reconnaître. Peut-être faut-il aussi interpréter certaines présentations biaisées du libéralisme non pas comme le seul résultat de l'ignorance, mais comme le résultat d'une manipulation volontaire destinée à caricaturer d'éventuels adversaires politiques. Il en va certainement ainsi lorsqu'on parle d'ultralibéralisme pour suggérer l'idée que les libéraux sont des 3 extrémistes politiques, proches d'une extrême droite autoritaire, dont ils sont en réalité aux antipodes. Il est vrai aussi que les libéraux eux-mêmes ne contribuent pas toujours à la clarification du débat, en particulier parce qu'il existe, ainsi que nous le verrons, au-delà des écoles de pensée spécifiques, deux approches différentes du libéralisme : une approche fondée sur les principes et la définition des droits, et une approche de type utilitariste. L'approche utilitariste nous paraît dangereuse car elle constitue en fait un refus de penser : elle consiste à décider au cas par cas, à partir de ses propres préjugés ou de fragments de connaissance, s'il convient ou non d'adopter une solution de type libéral. Pourtant, si l'on veut avoir une pensée et une action cohérentes, il faut les fonder sur des principes universels. Et la première exigence est alors peut-être de reconnaître qu'il n'existe que deux modes de relations entre les hommes : l'échange libre de volontés ou la contrainte. Cette distinction, importante et concrètement intelligible pour n'importe qui, est généralement passée sous silence dans beaucoup de constructions sociales, par exemple dans la théorie économique. Elle conduit pourtant à deux conceptions radicalement opposées de la vie en société : la conception individualiste et la conception constructiviste, c'est-à-dire celle qui consiste à penser que l'on peut construire une société indépendamment de ses membres. On obtient ainsi une grille de lecture qui rend obsolètes les distinctions traditionnelles, par exemple l'opposition entre la droite et la gauche. On peut ainsi considérer que les « conservateurs » et les « progressistes » appartiennent tous deux au camp des constructivistes, puisqu'ils désirent tous modeler la société selon leurs propres vues – ce qui ne peut se faire que par la contrainte – les conservateurs désirant maintenir la société en l'état et les progressistes désirant la modifier. Par opposition, les libéraux soulignent seulement la nécessité de règles du jeu, sans que l'on puisse connaître à l'avance les résultats du « jeu » né des interactions entre individus. La liberté n'est en tout cas pas une 4 liberté « anarchique » de faire n'importe quoi, mais au contraire une liberté bornée par le respect des droits des autres. Encore faut-il comprendre ce que sont ces droits, comment ils sont définis, quelle est leur légitimité. A partir de ces bases simples, la discussion sur le rôle de l'État, sur le partage entre la sphère privée (celle de l'échange libre) et la sphère publique (fondée sur la contrainte), peut se développer de manière rigoureuse. Elle permet de réinterpréter et d'évaluer toutes les pratiques et politiques actuelles. Contrairement aux idées reçues, une politique « libérale » n'est pas une politique favorable aux entreprises. Le libéralisme ne consiste pas, en effet, à défendre l'entreprise, entité abstraite, mais l'individu dans toutes ses fonctions. Le vrai libéral devrait même éviter d'utiliser le terme d'entreprise afin de porter son attention sur les êtres véritables qui sont concernés : les propriétaires, les salariés, les fournisseurs et clients, tous ceux dont les liens contractuels sont constitutifs de l'entreprise. Les individus sont en tout cas capables de coopérer pour atteindre leurs objectifs, et l'entreprise est l'une des formes possibles de la libre coopération sociale. D'autres formes peuvent évidemment exister (par exemple les associations), mais les hommes sélectionnent celles qui leur paraissent les plus efficaces pour atteindre leurs objectifs. En saisissant le rôle de l'entreprise à partir de ses acteurs et de leurs droits de propriété -par exemple leurs droits de propriété sur leur force de travail - on est conduit à une réinterprétation de toute une série de thèmes fréquemment discutés : les privatisations, la participation dans les entreprises, la réglementation, la politique industrielle, la politique de concurrence, etc. Tels sont d'ailleurs certains des thèmes discutés dans le présent ouvrage. Nous avons voulu également aborder des thèmes plus spécifiques pour montrer comment une saine conception du libéralisme permet de mieux comprendre le fonctionnement des sociétés et de trouver des solutions à des problèmes sociaux – ou des « problèmes de société » – tels que l'immigration, la circulation 5 routière, la défense de l'environnement ou l'aménagement de l'espace. Enfin, nous nous interrogeons sur la possibilité de définir une politique économique libérale. On estime bien souvent qu'elle consisterait en une « politique de rigueur » et de gestion rigoureuse des finances publiques. Que les libéraux visent à restreindre la propension à dépenser des hommes de l'État, c'est évident. Cela ne signifie pas qu'ils souhaitent imposer l'austérité aux citoyens. La véritable politique économique libérale est au contraire la seule voie vers la prospérité. Mais ce qu'il convient de critiquer, par exemple, c'est la prétention des hommes de l'État à « stabiliser l'économie », alors qu'ils sont la source essentielle de l'instabilité économique à notre époque. Une véritable politique économique libérale consisterait en fait à renoncer à toute politique conjoncturelle et à éviter de porter atteinte au cadre institutionnel de la vie économique ou de la vie tout court, ce qui implique en particulier de respecter les droits de propriété. Ce parcours permettra de comprendre – nous l'espérons – que le libéralisme est aux antipodes de la présentation qui en est donnée généralement. Répétons-le, ce n'est en rien une doctrine consistant à rechercher le bien-être matériel aux dépens des valeurs humaines, ce n'est pas une apologie d'un monde sans foi ni loi où les riches écraseraient les pauvres. C'est tout le contraire. Le véritable uploads/Politique/ liberalisme-pascal-salin.pdf

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