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1 Gertrude Bell et la création de l’Irak moderne : 1915-1921. Dr Yves Brillet Pour qui s’intéresse au rapport que la Grande-Bretagne entretient avec le Proche-Orient au dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle, la figure de Gertrude Lowthian Bell est incontournable. Elle fait en effet partie du cercle restreint de voyageurs qui vont parcourir la région comprise entre la Méditerranée et le golfe Persique et en rapporter les informations d’ordre géographique, historique et politique dans lesquelles la Grande-Bretagne va puiser pour mener sa politique vis à vis de la région. Avant le déclenchement de la première guerre mondiale, G.Bell est une figure connue et respectée de cet univers de géographes, d’historiens, d’archéologues et de diplomates pour qui la connaissance de l’Orient contribue à l ‘élaboration de la politique britannique et à sa mise en forme dans des régions qui jouent un rôle de première importance dans le système impérial. Gertrude. Bell a beaucoup écrit. Ses témoignages nous sont parvenus sous la forme d’articles, de livres tels que The Desert and the Sown 1, From Amurath to Amurath, 2 des contributions au Journal de la Royal Geographical Society ; récemment Rosemary O’Brien a publié ses carnets rédigés lors du grand voyage en Arabie en 1913 et 1914 3. Le propos des pages qui suivent n’est pas bien évidemment de retracer l’ensemble de la carrière de Gertrude.Bell. Parmi ses biographes, Elisabeth Burgoyne, H. V. F. Winstone 4 ou plus récemment Janet Wallach 5 nous font pénétrer dans son univers et nous livrent certaines clés 1 Gertrude Lowthian Bell, The Desert and the Sown, Londres, 1907. 2 Gertrude Lowthian Bell, From Amurath to Amurath, Londres, 1911. 3 Rosemary O’Brien, Gertrude Bell, the Arabian Diaries, 1913-1914. Syracuse University Press, 2000. 4 Elisabeth Burgoyne, Gertrude Bell, from Her personal papers, 1914-1926, Londres 1961. H. V. F. Winstone, Gertrude Bell, New York, Quartet Books, 1978. 5 Janet Wallach, Desert Queen, the Extraodinary Life of Gertrude Bell, Doubleday, New York, 1995. 2 permettant demieux comprendre un personnage éminemment complexe, mélange d’arrogance sociale et de détresse psychologique. Lors de ses périples, elle est restée constamment en contact avec sa proche famille et ses amis à qui elle rapportait par le menu le détail de ses activités dans les régions lointaines de la Perse, de la Syrie et de l’Arabie. Après sa mort, sa belle-mère, Lady Florence Bell, édita une sélection de la correspondance de Gertrude. Bell publiée sous le titre de The Letters of Gertrude Bell. 6. L’Université de Newcastle fut le dépositaire d’un grand nombre des écrits non publiés de G. Bell et a mis à la disposition de chercheurs une version électronique de sa correspondance ; le présent article se propose de considérer cette correspondance dans la perspective de la création après la première guerre mondiale d’un Etat à la place de l’ancienne Mésopotamie ottomane et d’évaluer cette entreprise dans le cadre des différents problèmes politiques et diplomatiques auxquels la Grande-Bretagne doit faire face. Il ne s’agit bien sûr pas ici d’une approche exhaustive de l’instauration de cet Etat. Si d’aucuns ont pu parfois qualifier Gertrude. Bell de ‘Uncrowned Queen of Iraq’, il ne faut pas voir en elle le ‘deus ex machina’ qui a permis la naissance de l’Irak moderne. Il n’en demeure pas moins que sa fonction de ‘Secrétaire orientale’ auprès du Haut Commissaire en Mésopotamie et que ses exceptionnelles facultés d’analyse et d’observation en font un témoin remarquable des évènements qui de 1915 à 1921 vont déterminer pour de longues années le développement politique de la région. Gertrude Bell en Egypte. 6 Florence Bell, The Letters of Gertrude Bell, 2 vols, Londres 1927. 3 Après avoir passé le début de la guerre à Boulogne comme auxiliaire de la Croix Rouge, Gertrude Bell est invitée par Hogarth7 à rejoindre au Caire l’équipe du ‘Arab Bureau’ nouvellement formée et dirigée par Clayton8. Elle y retrouve, entre autres T.E Lawrence, occupé à des travaux de cartographie, Philip Graves, ancien correspondant du Times à Constantinople, Mark Sykes et Ronald Storrs 9. Arrivée au Caire le 25 novembre 1915, elle est chargée par Hogarth, qui estime que sa connaissance des tribus du nord de l’Arabie peut être utile, de mettre à jour les informations concernant les chefs des tribus, leurs territoires, leurs forces et leurs degrés d’allégeance vis à vis des Turcs 10. Dès le 30 novembre, elle se rend à Port-Saïd où elle rencontre Woolley responsable du service des renseignements ainsi que T.E Lawrence. Gertrude Bell mentionne dès le 1er janvier 1916 à Valentine Chirol 11 le projet de se rendre en Inde à l’invitation du Vice-roi. Cette invitation témoigne du désir exprimé par les autorités britanniques en Inde de se concerter avec le Caire et d’obtenir des informations quant à la stratégie mise en place ainsi qu’aux initiatives en matière militaires. Gertrude Bell obtient pour cela le soutien de ses supérieurs au Caire. L’objet de la mission de Gertrude Bell en Inde sera de vaincre la réticence marquée des autorités britanniques vis à vis des initiatives du Caire et d’établir des relations directes et amicales. Les frictions portent principalement sur une appréciation divergente de l’importance à accorder à la Révolte arabe et sont considérées 7 David George Hogarth (1862-1929). Il fut l’ami et le mentor de G. Bell et de T.E Lawrence. Son ouvrage de référence, The Penetration of Arabia, témoigne de sa connaissance encyclopédique des récits de voyageurs dans la péninsule arabique. Il occupe une place centrale dans le processus politico-militaire britannique au Caire ; en 1915, il organisa le Bureau Arabe au Caire et fut responsable du recrutement de T.E Lawrence. 8 Gilbert Clayton, Lieutenant-colonel, chef du renseignement militaire au Caire. 9 Gertrude Bell, Letters, vol 1, p 361: ‘Now you know my circle, it’s friendly and pleasant.’ Mark Sykes négocia les accords Sykes-Picot. De R. Storrs, on peut lire Orientations ,Londres, 1937. 1010 Tout ceci s’inscrit dans la préparation, par les autorités militaires britanniques en Egypte, de la Révolte arabe. Après l’expédition malheureuse de Gallipoli, l’attention se porte en effet sur l’Arabie, la Mésopotamie et le Golfe comme étant susceptibles de fournir un théâtre d’opérations de diversion permettant de soulager l’effort militaire dans les Dardanelles. Voir à ce sujet, Elie Kedourie, Cairo and Khartoum on the Arab Question, The Historical Journal , vol v ii, 1, 1964, pp 280-297. Kedourie rapporte les commentaires de Mac Mahon, Haut Commissaire en Egypte au sujet de la révolte arabe :’It is a purely military business. It began at the urgent request of Ian Hamilton at Gallipoli. It was begged by the Foreign Office to take the Arabs out of the war.’ 11 Sir Valentine Chirol, Directeur du service diplomatique du Times jusqu’en 1912 ; il est le fidèle de la correspondance de Gertrude Bell. 4 comme étant dues à l’absence de coopération entre les services de renseignements du Government of India en Mésopotamie et les autorités britanniques en Egypte12, entraînant de ce fait une perception différente de la valeur stratégiques de la péninsule arabique selon que l’on se trouve à l’ouest (en Egypte) ou a l’est (en Mésopotamie). Gertrude Bell à Delhi Après une première rencontre, le Vice-roi, Hardinge, lui fait part de son souhait de la voir rejoindre ses ‘old hunting grounds’ (la Mésopotamie et l’Arabie). Il désire aussi qu’elle s’arrête à Bassorah pour aider à la mise en place d’un service de renseignement ( Intelligence Department). Gertrude Bell agit ainsi comme un intermédiaire entre Delhi et le Caire. Tout en critiquant les procédures bureaucratiques consistant à isoler les services et en insistant sur la nécessité de décloisonner les différentes structures s’occupant de renseignements, elle estime avoir contribué à rapprocher les points de vue13. Gertrude Bell à Bassorah. Gertrude. Bell arrive à Bassorah le 3 mars 1916. Elle identifie sans tarder les problèmes qui se posent aux forces britanniques dans les zones occupées, plus particulièrement en ce qui concerne l’établissement d’une administration civile dans une région où le départ des Turcs implique la disparition de tout pouvoir organisé. A Bassorah, elle est principalement occupée à continuer ses travaux de compilation sur les tribus du nord de l’Arabie et de la 12 Lettre du 24 janvier 1916 : ‘the longer it goes on the worse it gets and meantime we are losing invaluable opportunities for information by the fact that Basrah thinks us fools if not knaves and we reciprocate at any rate in the first item. 13 ‘I have seen all people concerned with Indian Foreign Affairs and talked to them about Arabia till I am weary of the very word – they must be too, I think. But they have been curiously eager to talk, much more than I expected, and I think I have pulled things straight a little between Delhi and Cairo.’ 5 Mésopotamie. Elle note l’arrivée de T.E Lawrence le 9 avril 1916 comme officier de liaison dépêché par le Caire14 . Dans ses différentes correspondances Gertrude. Bell mentionne les problèmes occasionnés par le siège de Kut et réfute la propension du gouvernement à en faire peser la responsabilité uploads/Politique/ yves-brillet-gertrude-bell-et-la-creation-de-l-x27-irak-moderne.pdf

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