1 Marrakech, 29-30 mars 2012 Citoyenneté et démocratie participative au Maroc,

1 Marrakech, 29-30 mars 2012 Citoyenneté et démocratie participative au Maroc, les conditions de la construction d’un modèle Présentation par M. Tarik ZAIR, professeur à la Faculté de Droit de Kénitra 2 Le processus de constitutionnalisation tente naturellement d’imaginer des réponses aux diverses demandes sociales clairement exprimées afin d’imaginer un encadrement accepté aux relations des gouvernants avec les gouvernés. Au Maroc, le référendum constitutionnel du 1er juillet 2011 est l’aboutissement de cette interaction entre pouvoirs politiques et citoyens. Une telle entreprise intervient dans un contexte particulier dominé par diverses revendications populaires. Pour répondre aux pressions de la base, le texte constitutionnel tente de refonder les bases d’une nouvelle adéquation entre le droit des gouvernants et les réalités sociales. Les manifestations de cette concordance entre réalité socio-politique et constitutionnalisation concernent à la fois le procédé et la substance. Pour ce qui est du procédé, la constitution de juillet 2011 était la réponse à une demande populaire clairement exprimées pour une nouvelle répartition des pouvoirs dominée par un régime de responsabilité devant le citoyen ou ses institutions représentatives. Cette situation est la traduction d’une nouvelle forme de contractualisation des rapports politiques revendiquée par les mouvements de contestation. En ce qui concerne la substance, le texte constitutionnel, dans la matérialisation de cet objectif de partage du pouvoir et de participation à son exercice, se caractérise par une référence aux mécanismes de la démocratie participative. La constitutionnalisation de la participation politique au Maroc traduit une mutation dans la perception de la citoyenneté. Cette dernière est perçue aujourd’hui dans le sens de formes d’implication afin de faire émerger la conscience plus grande d’une responsabilité partagée1. L’objectif est d’ouvrir autant que possible les espaces publics aux interventions citoyennes directes. La démocratie participative s’avère dès lors une modalité directe d’implication des citoyens dans la conduite des affaires publiques. Appelée également démocratie délibérative, elle est institutionnalisée dans le cadre du système de la représentation qui demeure le régime adapté aux sociétés modernes. En effet, le régime de démocratie représentative se caractérise par un exercice du pouvoir par délégation de la part des représentants de la nation. Ce qui présente l’inconvénient de la confiscation du pouvoir par l’élite dirigeante. Les outils de la démocratie participative permettent une expression directe de la citoyenneté puisqu’elle offre l’avantage d’une intervention active des citoyens dans la conduite des affaires de l’Etat. Les mécanismes de la démocratie participative sont relativement récents par rapport à la démocratie, notamment dans sa variante représentative. Ils ont connu leur apparition dans les années 1960 et 1970 aux États-Unis, puis dans les années 1980 en France. Ils étaient imaginés dans l’objectif d’impliquer d’avantage les citoyens dans la prise des décisions, notamment au niveau de la politique de décentralisation. Le contexte de l’orientation vers les procédés participatifs est autre au Maroc. Il s’agit en réalité d’une certaine dénaturation, dans le sens positif, de la perception de la citoyenneté qui est reçue comme telle par le droit positif, notamment à travers une constitutionnalisation expresse des modalités participatives. 1 P. SAVIDAN, Démocratie participative et conflit, Revue de métaphysique et de morale, 2008/2- n°58, p. 180. 3 I. LES CIRCONSTANCES DE L’ORIENTATION VERS LA PARTICIPATION : LES PERCEPTIONS “DENATUREES” DE LA CITOYENNETE Les particularités liées à un contexte marocain dominé par des changements juridiques et institutionnels rendent les interrogations à propos de la participation politique d’une utilité extrême. Toutefois, la compréhension d’un tel processus ne peut se faire qu’en partant de la notion de citoyenneté étant donné que le recours à la démocratie participative est au fond la réponse au développement des idées de citoyenneté. A. LA PARTICIPATION CITOYENNE EST UNE TENTATIVE DE REPENSER LA CITOYENETE Prise dans un sens fonctionnel, la citoyenneté est perçue en termes de contribution avant d’être une existence. Elle peut être définie comme l’appartenance à une association politique sur fond d’allégeance à une autorité d’où une variété des formes de l’appartenance en fonction du type de l’allégeance2. Selon une approche positiviste, elle implique divers agencements pour l’expression de la démocratie à travers les prérogatives et devoirs reconnus à ceux qu’on nomme citoyens3. La citoyenneté présente alors des liens étroits avec la démocratie comme choix librement assuré d’entrer dans l’agir en commun à partir de l’égalité entre tous afin de sortir de la qualité d’humain pour apparaître comme citoyen4. La légitimité de la citoyenneté se conçoit par référence à la démocratie dont le mot d’ordre est : “participation citoyenne”. Traiter la participation politique en termes de pratiques visant l’expression de la citoyenneté dans son aspect actif peut être regardé comme un raisonnement simpliste qui ne fait que reproduire l’argumentaire qui prône la démocratie représentative comme moyen idéal d’expression de la volonté générale. En réalité, La question présente un autre niveau de perception lié à l’évolution de la conception de citoyenneté. Dans cette logique, le recours aux procédés participatifs au Maroc, et c’est le cas aussi pour le monde arabe, n’est au fond que l’aboutissement d’une mutation qui a conduit à une “évolution” de la perception de citoyenneté. Le contexte d’aujourd’hui, dominé par des mouvements revendicatifs, le laisse supposer. Une compréhension complète de la participation politique exige d’abandonner le reflexe habituel qui consiste à situer la citoyenneté uniquement par référence aux aspects matériels. Il s’agit plutôt d’une idée politique qui s’approche de la fiction5. Il en résulte d’énormes contradictions inhérentes au concept même de citoyenneté laissant s’exprimer la dualité “idéal” et “pratique”. Pour certains, c’est une réalité marquée par l’opposition de deux images : l’une idéale du « bon citoyen » et l’autre « théorique » du citoyen vecteur et acteur de la démocratie mais qui est dans la réalité peu 2 N. MURARD et E. TASSIN, La citoyenneté entre les frontières, l’Homme et la société, 2006/2 n° 160-161, p. 21. 3 M. CHEMILLIER-GENDREAU, Quelle citoyenneté universelle adaptée à la pluralité du monde ?, Tumultes, 2005/1 n°24, p. 165. 4 Ibid, p. 165. 5 N. MURARD et E. TASSIN, La citoyenneté entre les frontières, op. cit, , p. 19. 4 intéressé à la chose publique par choix ou par exclusion6. Au Maroc, le décalage engendré par cette situation fait naître une nouvelle adéquation entre l’intérêt pour la sphère politique et la revendication pour le citoyen d’avoir une place active pour construire le changement pris comme revendication populaire principale. La participation assez élevée lors du référendum constitutionnel de 2011 traduit au fond cet engouement. La confrontation de la citoyenneté à la pratique politique laisse apparaître, par ailleurs, un décalage flagrant entre, d’une part une construction de la citoyenneté basée sur une égalité formelle des citoyens et, d’autre part, plusieurs inégalités des conditions sociales. Ce qui fait de la citoyenneté une pratique de légitimation des inégalités7. Dans ce contexte, l’orientation vers la démocratie participative est une tentation de reproduire autrement la citoyenneté au niveau pratique en la détachant des variétés de situation qu’implique par nature la société marquée souvent par des inégalités dans la répartition des richesses. L’opposition se manifeste alors au sein même de la citoyenneté (homme/femme, citadin/rural, riche/pauvre, etc). La solution part d’un raisonnement simpliste consistant à chercher pratiquement l’égalité en impliquant le citoyen comme acteur actif. C’est à cette conception de la citoyenneté que fait allusion Pierre ROSANVALLON lorsqu’il affirme que « la citoyenneté se constitue par la formation de l’égalité dans le sens d’une large participation ou ce que Siyès appelle la participation au “grand tout national” »8. Le recours aux modes de démocratie participative au Maroc traduit une mutation de la citoyenneté. Une telle mutation part de la conviction que les voies traditionnelles qui cherchent à produire une représentation de l’intérêt général ne donnent pas entièrement satisfaction. Pour y remédier, il est fondamental que ces voies soient élargies et plus ouvertes à travers une orientation vers la démocratie participative prise dans un sens large, c’est-à-dire englobant toutes les formes de dispositifs visant à aller au contact direct des citoyens pour tenter de produire directement à leur niveau la représentation de l’intérêt général9. La participation citoyenne impose dès lors des conditions effectives à de nouvelles mises en œuvre adaptées à un contexte marocain marqué par des revendications politiques nourries par une aspiration à un nouveau partage des pouvoirs. Ces conditions reposent sur une information sincère et complète du public ainsi que sur la tenue d'un véritable débat contradictoire débouchant sur des décisions prenant réellement en compte les critiques et les propositions citoyennes10. La démocratie participative est dans cette perspective une réponse à cette situation de renouvellement de la citoyenneté. 6 J-Ph. LECOMPTE, La citoyenneté, Petites Affiches, 18 novembre 1998, n° 138, p. 12. 7 Ibid, , p. 12. 8 P. ROSANVALLON, Le sacre du citoyen : histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, 1992. 9 Patrick SAVIDAN, Démocratie participative et conflit, op. cit, pp. 180-181. 10 M-F. DELHOSTE, Démocratie participative : De l’échec de l’organisation étatique à l’avenir du projet citoyen, RFDA, 2007, p. 1067. 5 B. LA PARTICIPATION CITOYENNE EST LA MATERIALISATION DE LA NOUVELLE CITOYENNETE La constitution marocaine de 2011 est la manifestation normative des changements que connaît la citoyenneté pour la faire correspondre à uploads/Politique/citoyennete-et-democratie-participative-au-maroc-les-conditions-de-la-construction-d-x27-un-modele.pdf

  • 19
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager