LE MANDAT DE PROTECTION EN CAS D’INAPTITUDE DU MANDANT : UNE INSTITUTION À PARF
LE MANDAT DE PROTECTION EN CAS D’INAPTITUDE DU MANDANT : UNE INSTITUTION À PARFAIRE Claude Fabien* Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 407 Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 409 1. Simple contrat ou régime de protection ? . . . . . . . . . . . . . . . 411 2. Acte unilatéral et secret ou véritable contrat ?. . . . . . . . . . . . . 417 3. Pouvoirs démesurés ou pouvoirs sur mesure ? . . . . . . . . . . . . 420 4. Chèque en blanc ou inventaire et reddition de compte périodique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423 5. Mandat immuable ou mandat adaptable aux intérêts du mandant ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 426 6. Abus du mandat ordinaire ou transition prudente et diligente ? . . . . 432 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 437 CONFÉRENCES 405 * Claude Fabien est professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et cher- cheur associé à la Chaire du notariat de l’Université de Montréal. Ce sujet a été pré- senté pour la première fois le 27 septembre 2006, dans le cadre des conférences de la Chaire du notariat. SYNTHÈSE Le conférencier jette un regard critique sur le mandat donné en prévision de l’inaptitude du mandant et formule l’hypothèse que cette institution ne protège pas adéquatement les personnes devenues inaptes, qui y ont pourtant massi- vement adhéré. Il propose des changements à la pratique contractuelle et à la loi autour de six questions. • Quelle est la nature de cette institution et quelles en sont les conséquences : simple contrat ou régime de protection ? • Faut-il exécuter ce mandat comme un acte unilatéral et secret ou plutôt comme un véritable contrat bilatéral, avec le concours du mandataire et des obligations à sa charge ? • Faut-il stipuler automatiquement les pouvoirs de la pleine administration ou plutôt limiter les pouvoirs du mandataire à ceux qui sont nécessaires pour répondre aux besoins du mandant, tout en le mettant à l’abri des abus ? • Faut-il donner carte blanche au mandataire ou plutôt l’obliger à faire inventaire et à rendre compte périodiquement ? • Le mandat doit-il être immuable ou plutôt susceptible d’être adapté aux besoins du mandant, selon leur évolution ? • Lorsque survient l’inaptitude, faut-il laisser le mandataire ordinaire agir indéfi- niment avec une procuration générale en pleine administration ou plutôt l’obliger à faire homologuer avec diligence le mandat de protection, tout en limitant ses pouvoirs dans l’intervalle à ceux de la simple administration ? CONFÉRENCES 407 INTRODUCTION En 1989, le législateur québécois a inventé une institution originale, comme substitut facultatif de la tutelle ou de la curatelle, qu’il a nommée « man- dat donné dans l’éventualité de l’inaptitude du mandant »1. Il l’a greffée en annexe des dispositions du contrat de mandat, dans le Code civil du Bas Canada. En 1991, lorsqu’il a adopté le nouveau Code civil du Québec, il a recon- duit la nouvelle institution presque sans changement. Cette institution a connu un succès phénoménal. Au 31 décembre 2006, le Registre des mandats en prévision de l’inaptitude de la Chambre des notaires avait enregistré, depuis sa création en 1991, un total de 1 436 194 mandats. Au cours de l’année 2006, il a enregistré 124 526 mandats, ce qui reflète un taux de croissance d’environ 10 %. À la même date, il avait reçu un nombre cumulatif de 19 750 demandes de recherche de mandat. Sur les 2 803 demandes reçues en 2006, 70 % ont conduit à la découverte d’un mandat plus récent que tout autre enregistré au Registre de la Chambre des notaires. Le Barreau du Québec pos- sède son propre Registre des mandats, plus récent et moins fréquenté. Depuis 2003, une entente entre les deux ordres professionnels fait en sorte que toutes les demandes de recherche sont effectuées simultanément sur les deux regis- tres. Enfin, pour avoir une idée exacte du phénomène, il faudrait aussi tenir compte des innombrables formules de mandat distribuées gracieusement ou sur une base commerciale, qui sont exécutées sous seing privé, sans l’assistance d’un professionnel, et qui ne sont pas enregistrées. On pourrait dire, sans trop d’imprudence, que le nombre de mandats en cas d’inaptitude qui ont été signés de diverses manières est de l’ordre de 1,5 à 2 millions d’exemplaires, depuis la création de l’institution. Ce succès ne doit toutefois pas faire taire tout sens critique. Il ne faut pas y voir un plébiscite en faveur du régime juridique et de l’expérience de l’institution. Certes, l’idée de choisir soi-même son futur protecteur, plutôt que de s’en remettre à la famille ou à la justice, a pu séduire. Mais tous ces mandats sont signés par des personnes aptes et le plus souvent bien portantes, à titre de précaution contre une éventualité qu’elles souhaitent la plus lointaine et la plus CONFÉRENCES 409 1. Loi sur le curateur public et modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1989, c. 54, entrée en vigueur le 15 avril 1990. Le Code civil a été modifié par l’introduction des articles 1731.1 à 1731.11 C.c.B.C. improbable. De fait, seul un petit nombre d’entre elles aura à vivre l’expérience d’une tranche de vie sous le régime de ce mandat. Certains vont mourir sans connaître de période d’inaptitude. Pour d’autres, même si l’inaptitude survient, le mandat n’entrera jamais en vigueur, pour diverses raisons : inaction ou refus du mandataire, ouverture d’un autre régime de protection, exploitation indue d’une procuration générale, etc. On connaît peu de choses sur l’expérience effective du mandat en vigueur pendant l’inaptitude du mandant. Il n’y a pas eu d’étude empirique sur la ques- tion. La jurisprudence envoie des signaux contradictoires. Elle fait certes appa- raître certaines difficultés vécues par des personnes inaptes, mais le nombre relativement limité des décisions donne plus une impression de cas isolés que de problèmes systémiques. On peut supposer que le nombre de litiges ne reflète pas nécessairement la réalité. Précisément parce que ses forces et ses facultés intellectuelle sont diminuées, il est peu probable que la personne inapte prenne l’initiative d’une plainte et encore moins d’un litige. Les contestations vigoureu- ses viennent davantage de luttes de pouvoir ou d’intérêts pécuniaires à l’intérieur des familles, que de cas d’exploitation des bénéficiaires de l’institution. Les per- sonnes inaptes qui se retrouvent sous un régime de mandat sont-elles heureu- ses ? L’institution tient-elle ses promesses et remplit-elle sa mission envers elles ? Nous ne disposons pas de réponse scientifique à ces questions. L’absence de données empiriques ne nous empêche toutefois pas de sou- mettre l’institution à l’examen de la critique juridique. Nous formulons l’hypothèse qu’elle n’est pas parfaitement au point sur le plan théorique et que, sous certains aspects, elle ne protège pas adéquatement les personnes devenues inaptes. Nous envisagerons des changements à la loi et à la pratique contractuelle autour de six questions. (1) Quelle est la nature de cette institution et quelles en sont les conséquences : simple contrat ou régime de protection ? (2) Faut-il exécuter ce mandat comme un acte unilatéral et secret ou plutôt comme un véritable contrat bilatéral, avec le concours du mandataire et des obligations à sa charge ? (3) Faut-il stipuler automatiquement les pouvoirs de la pleine administration ou plutôt limiter les pouvoirs du mandataire à ceux qui sont nécessaires pour répondre aux besoins du mandant, tout en le mettant à l’abri des abus ? (4) Faut-il donner carte blanche au mandataire ou plutôt l’obliger à faire inventaire et à rendre compte périodiquement ? (5) Le mandat doit-il être immuable ou plutôt susceptible d’être adapté aux besoins du mandant, selon leur évolution ? (6) Lorsque survient l’inaptitude, faut-il laisser le mandataire ordinaire agir indéfi- niment avec une procuration générale en pleine administration ou plutôt l’obliger à faire homologuer avec diligence le mandat de protection, tout en limitant ses pouvoirs dans l’intervalle à ceux de la simple administration ? Telles sont les questions que nous voulons maintenant examiner. 410 CONFÉRENCES COURS DE PERFECTIONNEMENT – AVRIL 2007 1. SIMPLE CONTRAT OU RÉGIME DE PROTECTION ? Quelle est donc la nature véritable de cette institution ? S’agit-il d’un simple contrat ou d’un régime uploads/Politique/le-mandat-de-protection-en-cas-d-x27-inaptitude-du-mandant.pdf
Documents similaires










-
34
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 26, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2233MB