DIEU ET L’ANTHROPOLOGUE, SELON ALBERT PIETTE 21/07/2014 FATIHA KAOUES LAISSER U

DIEU ET L’ANTHROPOLOGUE, SELON ALBERT PIETTE 21/07/2014 FATIHA KAOUES LAISSER UN COMMENTAIRE Albert Piette est l’auteur de deux ouvrages importants sur le fait religieux : La religion de près, l’Activité religieuse en train de se faire(Paris, Metaillé, 1999) et Le fait religieux, une théorie de la religion ordinaire (Paris, Economica, 2003). Il a présenté une série de conférences les vendredi 13 et samedi 14 juin 2014, à l’invitation duCentre d’Etude et d’Interprétation des Faits Religieux (CEDIFR) à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban), dans le cadre du programme de recherche « Rituels religieux au Liban, entre partage et cloisonnement communautaire ». Cet texte, rédigé dans le cadre d’un postdoctorat du Labexmed (n° 10-LABX- 0090). en propose le compte-rendu. Albert Piette s’intéresse au religieux, en tant qu’il s’agit d’un laboratoire idéal pour l’observation anthropologique. Dans son analyse des modalités de présence de la divinité, Albert Piette décrit une forme de controverse jamais close et un déplacement permanent de l’enjeu. L’anthropologue promeut une analyse hyper détailliste de son objet, appuyée si possible d’un travail filmique. Polymorphe et labile, le divin donne à voir une présence ambiguë car toujours mâtinée d’absence. Le rituel, autre objet d’observation de l’anthropologue désigne un espace-temps également caractéristique de cette présence paradoxale, qui s’exprime sur le mode de la négation partielle. C’est dans cette faille négative, cet espace médiant qu’Albert Piette situe le surgissement de la croyance, elle aussi oscillante et d’intensité variable. Le croire nécessite l’oblitération du caractère fictionnel du rituel. Les travaux et techniques d’observation d’Albert Piette révèlent le regard que porte le chercheur sur la discipline anthropologique. Il s’agit de privilégier l’individu au détriment de l’action et de l’expérience. Albert Piette se fait le promoteur d’une anthropologie « amoureuse », maintenant une forme d’allégresse et d’étonnement constant face à ce qui est. Loin de tout collectivisme, il s’agit de maintenir la singularité irréductible de l’individu. Albert Piette décrit étonnamment le culte comme une « scène d’amour » qui met en situation des individus qui s’aiment (tout en se disputant) à travers la divinité qui les réunit. L’observation de ces « scènes d’amour » est utile pour cerner les modalités de présence de la divinité. Elle est le théâtre d’une sorte de controverse qui ne parvient jamais à son terme. A. Piette décrit ainsi un déplacement permanent de l’enjeu. L’anthropologue insiste sur cette idée de déplacement, essentielle. T out se passe comme s’il fallait toujours reporter, suspendre la définition. C’est là à son avis une caractéristique humaine centrale. L’anthropologue recommande un exercice singulier. Il s’agit pour le chercheur de suivre heure par heure et jour après jour un individu qu’il veut étudier. Lui-même a passé une semaine entière à suivre un prêtre. Cette pratique, peu courante car très lourde constitue selon les mots du chercheur, une anthropographie. Il s’agit de réaliser des graphies d’individus. Si le chercheur parvient à en réaliser plusieurs puis à les comparer, cela est d’une grande richesse. Lors de son expérience, l’anthropologue a tenté de mettre à l’épreuve la catégorie de l’idéaltype empruntée à Weber pour examiner si cela peut fonctionner dans un tel cadre. Il en conclut que cela n’est d’aucune utilité. A son avis, cela s’explique aisément du fait même que l’idéaltype est un tableau de pensée, qui n’existe donc pas en tant que tel, alors que l’anthropologue ambitionne précisément, à partir de ses observations, d’en déployer les contingences. Le « prêtre » qu’A. Piette étudiait se voulait « prophète » désireux dans le même temps de s’engager dans son temps. Ce que l’anthropologue trouve fort intéressant, c’est la capacité du prêtre à exercer différents rôles et à ne pas les exprimer sur le mode de l’exclusion : il est prêtre lorsqu’il s’occupe de l’hostie, se meut en prophète lorsqu’il déroule son discours sur les pauvres, etc, tout en… Mais ce qui retient l’intérêt du chercheur est que l’acteur exprime ces états successifs sur le mode de la négation, « je ne suis pas prêtre, je ne suis pas magicien, je suis ceci mais pas cela ». Il y a là un déplacement, on est toujours renvoyé à autre chose. Pour l’anthropologue, c’est peut-être là que se situe l’essence du discours religieux L’ambition poursuivie par A. Piette est de réaliser une anthropologie de l’individu plus que de l’action. L’idée est simple, au plan méthodologique; l’anthropologue la compare à une conversation téléphonique à laquelle on assisterait et dont on entendrait le propos d’un seul acteur. Sans entendre les propos de l’interlocuteur à l’autre bout du fil, on peut déduire ce qu’il dit de ce que l’on entend. De la même façon, l’anthropologue déduit, à partir de qu’il entend et voit tous les détails de la présence de la divinité. Il qualifie cet exercice de théographie, une graphie de l’être divin. Un tel exercice est malaisé s’agissant d’une entité invisible. Il est question d’une présence ambiguë, diffuse, plus ou moins forte selon les moments. Il s’agit d’une présence étonnante. Ainsi, lors du culte, le prêtre parle de la divinité à la 3e personne alors qu’elle est supposée présente. Le chercheur observe qu’une grille d’analyse interactionniste de type goffmanienne ne fonctionne pas davantage pour rendre l’observation intelligible. L’anthropologue parvient à établir une liste de caractéristiques des modes de présence de la divinité. En premier lieu, elle apparaît comme un existant d’un monde invisible présent dans le monde humain. Elle est perçue, directement ou indirectement, par une série de médiations. Par ailleurs, la présence divine dispose d’un aspect polymorphique. Elle manifeste une capacité de présence et d’absence extraordinaire. Elle apparaît fluide, labile, hybride, et n’implique pas de face à face. Paradoxalement, cette présence est liée à une absence, mais sur un mode ambigu. Cette présence dispose d’une capacité d’action (bénir, pardonner) et est l’objet d’une perception par les humains. L’anthropologue observe que les individus se montrent peu exigeants vis- à-vis des non-humains. Le chercheur recourt à l’image du feu rouge pour illustrer son propos. On passe au feu vert, on s’arrête au feu rouge, sans y penser, ni s’interroger par exemple sur la nécessité de la couleur rouge. De la même façon, Albert Piette considère qu’une décrispation est nécessaire face à la divinité. Il est important de suspendre, d’opérer un laisser-faire, pour que cela fonctionne. La divinité manifeste une présence en pointillés, virtuelle, en toile de fond, qui peut s’intensifier par instants. La virtualité de cette présence a pour effet de décrisper les humains, car il s’agit d’une présence qui n’est pas très densifiée. On retrouve là encore une forme de négation. Nous ne sommes pas dans la fiction et pas davantage dans la réalité. Il convient, aux yeux d’A. Piette, de prendre la mesure de cette double caractéristique, cette présence concomitante de l’homme et de la divinité où la négation tient une place très importante. Il y a là une hésitation essentielle, une ambiguïté que l’anthropologue considère « d’une beauté exceptionnelle », et d’un haut niveau cognitif en termes de capacité. On est là sans être là, Dieu est là sans être là. Ce qui distingue l’anthropologie et la sociologie tient dans le fait que l’anthropologie dit quelque chose sur les hommes et non pas sur une société. L’anthropologue se fait hyper détailliste et tend (« le plus tard possible », affirme A. Piette) vers des théorisations risquées. L’anthropologue évoque les pensées vagabondes, l’état d’hypo-lucidité qui constitue un état habituel chez l’humain. Il associe cet état à une forme de réserve négative dans notre manière d’être présent, une sorte de réversibilité. Définir le croire Quelle place tient le croire dans une telle configuration ? Le chercheur suppose que les sapiens se singularisent du point de vue du croire. Si nous regardons un film d’horreur ou lisons une bande dessinée de Tintin, nous savons qu’il s’agit là de personnages de fiction. Mais tous les croyants diront : « Dieu existe », même s’ils n’ont pas participé à un rituel. En quoi consiste ce croire ? C’est le caractère ponctuel et éphémère du croire qui intéresse le chercheur. Le fait d’affirmer qu’un mort vit est un énoncé contradictoire, qui défie la logique. Les énoncés religieux sont contre-intuitifs et génèrent des interprétations mystérieuses, non closes. Cela a été déjà amplement démontré par les anthropologues cognitivistes. Il ne s’agit pas là d’idées fortes mais floues, hésitantes, oscillantes. Comment aller plus loin dans la description ? Même si le chercheur est impliqué dans une observation participante, il ne lui est pas possible de penser à la place d’un autre, aussi lui faut-il recourir à d’autres outils de recherche. Albert Piette a connu une période où il a cru en Dieu, après la mort de son père. Il a soigneusement consigné ses impressions d’alors, se décrivant « en train de croire ». L’anthropologue a recouru au stock d’énoncés qu’il tenait de son enfance. Il décrit ses pensées d’alors comme quelque chose de diffus, de moments brefs suscitant un assentiment lui aussi flou, furtif. Il était alors loin d’acquiescer totalement, comme si son désir de croire se heurtait à la probabilité difficile de la résurrection. Chaque soir, il écrivait des moments passés uploads/Religion/ fatiha-kaoues-dieu-et-l-x27-anthropologue-selon-albert-piette.pdf

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  • Publié le Jan 12, 2022
  • Catégorie Religion
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