LA MEDECINE ET LA PHARMACOPEE TRADITIONNELLES SENEGALAISES J.KERHARO· LA MEDECI
LA MEDECINE ET LA PHARMACOPEE TRADITIONNELLES SENEGALAISES J.KERHARO· LA MEDECINE TRADITIONNELLE « Essayer de comprendre l'Afrique etl'Africain sans l'apport des religions traditionnelles, se- rait ouvrir une gigantesque armoire vidée de son contenu le plus précieux ». Amadou HAMPATE BA « Dans les croyances et systèmes de pensée d'Afrique Noire, aucune place n'est faite à ce que nous nommons le profane". G. DIETERLEN Vouloir pénétrer dans les arcanes de la médecine traditionnelle en ignorant le milieu social, c'est-à-dire le genre de vie des individus, leurs coutumes, leurs rites, leurs croyances, serait aller d'emblée à un échec certain. Dans cette médecine très particulière, les techniques de guérison, bien qu'elles soient intimement mêlées, peuvent être envisagées, pour une meilleure compréhension, sous deux aspects: celui des techniques à prédominance religieuse et magique, celui des techniques à prédomi- nance positive. S'il est un domaine dans lequel les hommes de tous les temps et de LES TECHNIQUES A toutes les races ont, dans tous les pays à l'origine de leur histoire, fait PREDOMINANCE intervenir le sacré, le mystique et le religieux, c'est bien celui de l'art RELIGIEUSE ET médical né de l'inquiétude humaine en présence de la maladie et de la MAGIQUE mort. Ainsi, dans le cas qui nous occupe, les connaissances et les croyances relatives à la vie, à la mort, aux maladies, aux empoisonne- ments, aux envoQtements, aux exorcismes, sont-elles inséparables de l'art médical proprement et de son exercice par les différentes catégo- ries d'individus qui en font profession, soit régulièrement, soit occa- sionnellement: guérisseurs, féticheurs, devins, marabouts et même charlatans. Il est certain qu'en pays noir, la religion embrasse tous les problèmes humains et son emprise s'étend à la vie politique, professionnelle, sociale, familiale. Il faut donc savoir que sur une population estimée à 4 millions d'habitants, le Sénégal compte 75 à 80 % de musulmans, 14 à 15 % d'animistes et 5 à 6 % de chrétiens. L'islamisme est par excellence la religion des Wolof, Lébou, Peul, Toucouleur, Manding, Sarakolé, mais s'étend de plusen plus fortement aux ethnies animistes. C'est ainsi que les fétichistes Bambara et Balant sont en voie d'ab- sorption, que les Séreret les Diola, également fétichistes, sont marqués par la double emprise de l'islamisme et du catholicisme. Des flots de • Pro"aMUr de Phermacognoale. Faculté de Médecine et de Phermacle. DAKAR. 7 HO :JA1 sg, (.JI; :il r.nt. 2 a résistance subsistent pourtant dans le Sine chez les Sérer, en Casa- mance chez les Diola et plus encore chez les Sainouk, les Mandjak, les Mankagn, dans le Sénégal Oriental chez les Tandanké et les Sassari. La médecine traditionnelle se situe par conséquent dans un contexte sociologique où elle est étroitement liée aux concepts religieux des deux parties en présence: guérisseurs et malades. Si, pour l'Africain, son exercice ne peut se concevoir qu'avec un sup- port magico-religieux, pour l'enquêteur, son étude ne peut se conce- voir également qu'en tenant compte de ce facteur primordial. Aussi bien nous trouvons-nous en présence de pratiques inspirées tantôt de l'islamisme, tantôt du fétichisme avec tous les degrés possibles de contaminations islamisme-fétichisme et même de déviations vers la magie, la sorcellerie et le charlatanisme. En raison de ces intrications, force nous est donc de considérer les pratiques sous l'angle de la prédominance de telle ou telle croyance. Chez les Wolof fortement islamisés, on confond par exemple sous le Islamisme terme imprécis de sérigne, qui veut dire martre et que nous traduisons par marabout, non seulement les maitres qui enseignent le Coran, mais aussi toute une catégorie marginale d'individus aux activités diverses de voyants, guérisseurs, magiciens, charlatans se réclamant de la tradi- tion islamique à laquelle ils empruntent peu ou prou leurs techniques. Les authentiques marabouts qu'on rencontre dans toutes les ethnies sénégalaises (sérlqne des Wolof, tiemo des Peul-Toucouleur) sont en fait des chefs religieux qui font rarement œuvre de médecin. Ils se contentent de délivrer des amulettes sur lesquelles sont transcrits quelques versets du Coran destinés à protéger ceux qui les portent de différents maléfices; ou bien encore, ils ont recours au safara (nom wolof) c'est-à-dire à l'emploi d'uneeau sacrée dans laquelle ont macéré des tablettes coraniques et qui est prescrite en ablutions ou per os comme une préparation médicinale. Les marabouts peuvent aussi se livrer occasionnellement à des exerci- ces d'ascèse, connus sous le nom arabe de khalva, dont les déforma- tions sont souvent à la base des activités marginales signalées plus haut. Il est donc important de savoir que le khalva musulman est une retraite mystique d'une quinzaine dejours accomplie par les marabouts pour demander à Dieu de les éclairer sur la conduite à tenir dans différentes circonstances graves de la vie. Les marabouts peuvent le pratiquer, soit comme acte de piété pour atteindre à une plus grande sainteté, soit comme moyen d'inspiration pour des décisions à prendre concernant leurs propres besoins ou ceux d'autrui. C'est dans ce der- nier cas qu'ils sont consultés. Au cours du khalva qui est codifié par des règles très strictes (purifica- tions, sacrifices, jeûne, prières), le marabout invoque les djiné, esprits islamiques bienfaisants, et entre en commun ication avec eux à la faveur de visions et de rêves. La retraite est terminée quand il a obtenu les révélations cherchées et si elles concernent un client malade, il le convoque pour lui en faire part, lui prescrit la conduite à tenir (dons, prières, sacrifices) et le traitement à suivre. L'ascèse du khalva est semée de différentes embûches, la plus grave étant la rencontre possible d'une catégorie d'esprits malfaisants, les seytané, considérés comme de véritables démons pouvant se faire passer pour des djiné. En dehors de ces rencontres accidentelles, certains marabouts commercent intentionnellement avec les seytané, ce qui est strictement interdit par la religion musulmane. On voit alors que, quoique conservant le titre de marabout, ils ne sont plus dans la voie orthodoxe de l'Islam. Par l'intermédiaire des seytané, ils peuvent provoquer des maladies, jeter des sorts, devenir sorciers mangeurs 8 d'Ames (dëm des Wolof et Lébou, onal< ou run des Sérer, niamédio des Peul,sukuna des Toucouleur, asaydes Diola, etc...). Ils peuvent de plus faire intervenir les esprits ancestraux (rab chez les Wolof. pangol chez les Sérer). Signalons ici une expression couramment employée en français dans un sens déformé: le maraboutage. Lemaraboutage, qui correspond au nom wolof oc Iigay - (travailler), est la pratique mise en œuvre par des oc marabouts -, également en rupture de ban avec l'orthodoxie islami- que, pour, généralement à la demande d'un tiers, nuire à une personne, lui jeter un sort, bref, la oc travailler -. Nous rejoignons là la magie et la sorcellerie. Pour lutter contre les maléfices, on fait appel selon les cas à des devins. des magiciens, des exorciseurs, des guérisseurs dont il est difficile de démêler les véritables appellations, car ils sont généralement polyva- lents. C'est ainsi que les tiendala bambara, comme les madag sërer, comme les biledié Toucouleur et Wolof sont à la fois voyants et magi- ciens, quelquefois exorciseurs. Mis à part le fait qu'ils utilisent de nombreuses incantations en invo- quant le nom d'Allah, leurs techniques se confondent souvent avec celles des animistes chez lesquels les manœuvres se doublent d'un grand savoir positif sur la pharmacopée. Au contraire de l'islamisme dont la définition va de soi en tant que fétichisme doctrine de la religion musulmane, oc l'animisme - et plus encore le oc fétichisme - sont des termes toujours controversés. Notre propos n'est pas ici d'approrondirni de discuter cette question, affaire d'ethnologues et de sociologues, mais simplement de noter chez lespopulations dites animistes ou fétichistes la forte influence des croyances religieuses sur la conception et l'exercice de la médecine. Aussi disons-nous avec THOMAS que le mot fétichisme aacquis droit de cité: oc Il désigne à nos yeux toute religion dans laquelle un Dieu relati- vement inaccessible délègue une partie de ses pouvoirs à des forces secondaires et pourtant essentielles, dont chacune se caractérise ma- tériellement par un sanctuaire et un autel. - Cette notion de force animant êtres et choses doit toujours être pré- sente à l'esprit pour saisir le pourquoi des croyances et des pratiques. Parexemple, pour le Diola fétichiste, l'être en bonne santé est celui qui réalise en lui le meilleuréquilibre des forces vitales. Mais la force vitale d'un être ne demeure pas constante. Elle peut dégénérer par incapacité de renouvellement, c'est-à-dire faute d'aliment physique ou spirituel. Il lui arrive aussi de péricliter parce qu'elle subit l'assaut d'un jeu de forces plus puissantes rompant l'harmonie entre le monde sacré et profane. Ce déforcement ou cette altération de "équilibre des forces vitales constitue la maladie, oc kasumut -. Le malade peut faire d'abord appel directement au guérisseur qui pourra éventuellement se contenter de son savoir positif pour poser son diagnostic et instaurer son traitement. Mais, même dans ce cas, le maladevoit dans lessoins concrets autant de causes qui déclencheront les forces curatives, par excellence d'essence métaphysique. Macéra- tions, décoctions, inhalations n'ont d'efficacité que préparées selon les règles coutumières rigoureusement codifiées. Le dosage dépend des forces religieuses, des combinaisons mAie-femelle, de l'association des nombres, des affinités métaphysiques. uploads/Religion/ la-medecine-traditionnelle.pdf
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- Publié le Jan 12, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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