EXTRAITS DU LIVRE XXV CHAPITRE IX De la tolérance en fait de religion. Nous so

EXTRAITS DU LIVRE XXV CHAPITRE IX De la tolérance en fait de religion. Nous sommes ici politiques, et non pas théologiens; et, pour les théologiens mêm es, il y a bien de la différence entre tolérer une religion et l'approuver. Lorsque les lois d'un État ont cru devoir souffrir plusieurs religions, il faut qu'elles les obligent aussi à se tolérer entre elles. C'est un principe, que tou te religion qui est réprimée devient elle-même réprimante; car sitôt que, par qu elque hasard, elle peut sortir de l'oppression, elle attaque la religion qui l'a réprimée, non pas comme une religion, mais comme une tyrannie. Il est donc utile que les lois exigent de ces diverses religions, non seulement qu'elles ne troublent pas l'État, mais aussi qu'elles ne se troublent pas entre elles. Un citoyen ne satisfait point aux lois en se contentant de ne pas agiter le corps de l'État: il faut encore qu'il ne trouble pas quelque citoyen que ce s oit. CHAPITRE X Continuation du même sujet. Comme il n'y a guère que les religions intolérantes qui aient un296 grand zèle p our s'établir ailleurs, parce qu'une religion qui peut tolérer les autres ne son ge guère à sa propagation, ce sera une très bonne loi civile, lorsque l'État est satisfait de la religion déjà établie, de ne point souffrir l'établissement d'u ne autre[381]. Voici donc le principe fondamental des lois politiques en fait de religion. Quan d on est maître de recevoir dans un État une nouvelle religion, ou de ne la pas recevoir, il ne faut pas l'y établir; quand elle y est établie, il faut la tolér er. CHAPITRE XI Du changement de religion. Un prince qui entreprend dans son État de détruire ou de changer la religion dom inante s'expose beaucoup. Si son gouvernement est despotique, il court plus de r isque de voir une révolution que par quelque tyrannie que ce soit, qui n'est jam ais, dans ces sortes d'États, une chose nouvelle. La révolution vient de ce qu'u n État ne change pas de religion, de mœurs et de manières dans un instant, et au ssi vite que le prince publie l'ordonnance qui établit une religion nouvelle. De plus, la religion ancienne est liée avec la constitution de l'État, et la nou velle n'y tient point: celle-là s'accorde avec le climat, et souvent la nouvelle s'y refuse. Il y a plus: les citoyens se dégoûtent de leurs lois; ils prennent du mépris pour le gouvernement déjà établi; on substitue des soupçons contre les deux religions à une ferme croyance pour une; en un mot, on donne à l'État, au moins pour quelque temps, et de mauvais citoyens et de mauvais fidèles. CHAPITRE XII Des lois pénales. Il faut éviter les lois pénales en fait de religion. Elles impriment de la crain te, il est vrai; mais, comme la religion a ses lois pénales aussi qui inspirent de la crainte, l'une est effacée par l'autre. Entre ces deux craintes différente s, les âmes deviennent atroces. La religion a de si grandes menaces, elle a de si grandes promesses,297 que, lor squ'elles sont présentes à notre esprit, quelque chose que le magistrat puisse f aire pour nous contraindre à la quitter, il semble qu'on ne nous laisse rien qua nd on nous l'ôte, et qu'on ne nous ôte rien lorsqu'on nous la laisse. Ce n'est donc pas en remplissant l'âme de ce grand objet, en l'approchant du mom ent où il lui doit être d'une plus grande importance, que l'on parvient à l'en d étacher: il est plus sûr d'attaquer une religion par la faveur, par les commodit és de la vie, par l'espérance de la fortune; non pas par ce qui avertit, mais pa r ce que l'on oublie; non pas par ce qui indigne, mais par ce qui jette dans la tiédeur, lorsque d'autres passions agissent sur nos âmes, et que celles que la r eligion inspire sont dans le silence. Règle générale: en fait de changement de r eligion, les invitations sont plus fortes que les peines. Le caractère de l'esprit humain a paru dans l'ordre même des peines qu'on a empl oyées. Que l'on se rappelle les persécutions du Japon[382]; on se révolta plus c ontre les supplices cruels que contre les peines longues, qui lassent plus qu'el les n'effarouchent, qui sont plus difficiles à surmonter, parce qu'elles paraiss ent moins difficiles. En un mot, l'histoire nous apprend assez que les lois pénales n'ont jamais eu d' effet que comme destruction. CHAPITRE XIII Très humble remontrance aux inquisiteurs d'Espagne et de Portugal. Une juive de dix-huit ans, brûlée à Lisbonne au dernier auto-da-fé, donna occasi on à ce petit ouvrage; et je crois que c'est le plus inutile qui ait jamais été écrit. Quand il s'agit de prouver des choses si claires, on est sûr de ne pas co nvaincre. L'auteur déclare que quoiqu'il soit juif, il respecte la religion chrétienne, et qu'il l'aime assez pour ôter aux princes qui ne seront pas chrétiens un prétext e plausible pour la persécuter. «Vous vous plaignez, dit-il aux inquisiteurs, de ce que l'empereur du Japon fait brûler à petit feu tous les chrétiens qui sont dans ses États; mais il vous rép ondra: Nous vous traitons, vous qui ne croyez pas comme nous, comme vous traitez vous-mêmes ceux qui ne croient pas comme vous; vous ne pouvez vous plaindre que de298 votre faiblesse, qui vous empêche de nous exterminer, et qui fait que nou s vous exterminons. «Mais il faut avouer que vous êtes bien plus cruels que cet empereur. Vous nous faites mourir, nous qui ne croyons que ce que vous croyez, parce que nous ne cro yons pas tout ce que vous croyez. Nous suivons une religion que vous savez vous- mêmes avoir été autrefois chérie de Dieu; nous pensons que Dieu l'aime encore, e t vous pensez qu'il ne l'aime plus: et, parce que vous jugez ainsi, vous faites passer par le fer et par le feu ceux qui sont dans cette erreur si pardonnable, de croire que Dieu aime encore ce qu'il a aimé[383]. «Si vous êtes cruels à notre égard, vous l'êtes bien plus à l'égard de nos enfan ts; vous les faites brûler, parce qu'ils suivent les inspirations que leur ont d onnées ceux que la loi naturelle et les lois de tous les peuples leur apprennent à respecter comme des dieux. «Vous vous privez de l'avantage que vous a donné sur les mahométans la manière d ont leur religion s'est établie. Quand ils se vantent du nombre de leurs fidèles , vous leur dites que la force les leur a acquis, et qu'ils ont étendu leur reli gion par le fer: pourquoi donc établissez-vous la vôtre par le feu? «Quand vous voulez nous faire venir à vous, nous vous objectons une source dont vous vous faites gloire de descendre. Vous nous répondez que votre religion est nouvelle, mais qu'elle est divine; et vous le prouvez parce qu'elle s'est accrue par la persécution des païens et par le sang de vos martyrs; mais aujourd'hui v ous prenez le rôle des Dioclétiens, et vous nous faites prendre le vôtre. «Nous vous conjurons, non pas par le Dieu puissant que nous servons vous et nous , mais par le Christ que vous nous dites avoir pris la condition humaine pour vo us proposer des exemples que vous puissiez suivre; nous vous conjurons d'agir av ec nous comme il agirait lui-même s'il était encore sur la terre. Vous voulez qu e nous soyons chrétiens, et vous ne voulez pas l'être. «Mais, si vous ne voulez pas être chrétiens, soyez au moins des hommes: traitez- nous comme vous feriez si, n'ayant que ces faibles lueurs de justice que la natu re donne, vous n'aviez point une religion pour vous conduire et une révélation p our vous éclairer. «Si le Ciel vous a assez aimés pour vous faire voir la vérité, il vous a fait un e grande grâce: mais est-ce aux enfants qui ont eu l'héritage de leur père de ha ïr ceux qui ne l'ont pas eu?299 «Que si vous avez cette vérité, ne nous la cachez pas par la manière dont vous n ous la proposez. Le caractère de la vérité, c'est son triomphe sur les cœurs et les esprits, et non pas cette impuissance que vous avouez, lorsque vous voulez l a faire recevoir par des supplices. «Si vous êtes raisonnables, vous ne devez pas nous faire mourir, parce que nous ne voulons pas vous tromper. Si votre Christ est le Fils de Dieu, nous espérons qu'il nous récompensera de n'avoir pas voulu profaner ses mystères; et nous croy ons que le Dieu que nous servons vous et nous ne nous punira pas de ce que nous avons souffert la mort pour une religion qu'il nous a autrefois donnée, parce qu e nous croyons qu'il nous l'a encore donnée. «Vous vivez dans un siècle où la lumière naturelle est plus vive qu'elle n'a jam ais été, où la uploads/Religion/ montesquieu-l-x27-esprits-des-lois.pdf

  • 25
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Jul 28, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
  • Taille du fichier 2.3356MB