Revue de l'histoire des religions Thalamus Virginis. Images de la Devotio moder
Revue de l'histoire des religions Thalamus Virginis. Images de la Devotio moderna dans la peinture italienne du XVe siècle Laurent Bolard Citer ce document / Cite this document : Bolard Laurent. Thalamus Virginis.. In: Revue de l'histoire des religions, tome 216, n°1, 1999. pp. 87-110; doi : https://doi.org/10.3406/rhr.1999.1112 https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1999_num_216_1_1112 Fichier pdf généré le 04/01/2019 Résumé Née aux Pays-Bas, la "Devotio moderna" s'est aussi largement, quoique plus discrètement, diffusée en Italie. Au cours du Quattrocento, la peinture se fait volontiers l'écho de cette nouvelle piété, dont la charge symbolique et sensible s'avère très forte. De cette évolution religieuse, les artistes rendent compte à travers la représentation de thèmes essentiellement mariaux, dans lesquels l'espace intérieur et en particulier la chambre de la Vierge ou "thalamus virginis", apparaît comme le lieu le plus lourd de sens. C'est tout un langage artistique - qui associe également les représentations de saints érudits - qui, avec ses valeurs, ses signes, ses codes, se veut le témoin de mutations religieuses décisives, avant les grands bouleversements de la Réforme au siècle suivant. Abstract "Thalamus Virginis". Images of the Modern Devotion in Fifteenth Century Italian Painting The modern devotion found its origin in the Netherlands where it was most popular before receiving a comparative though more discreet success in Italy. During the fifteenth century, the painting gave a strong echo of this new form of devotion in a rich and meaningful symbolic. Many artists show this religious evolution through their painting scenes of the Holy Virgin's life in which interior space and specially her bedroom or "thalamus virginis" stands out as the most significant "locus". This artistic language which includes representations of learned saints, is willing to bear witness to this fundamental religious change using its signs, codes and values, and announcing bigger overthrows of the Reform in sixteenth century. LAURENT BOLARD Thalamus Virginis. Images de la Devotio moderna dans la peinture italienne du XVe siècle Née aux Pays-Bas, la Devotio modema s'est aussi largement, quoique plus discrètement, diffusée en Italie. Au cours du Quattrocento, la peinture se fait volontiers l'écho de cette nouvelle piété, dont la charge symbolique et sensible s'avère très forte. De cette évolution religieuse, les artistes rendent compte à travers la représentation de thèmes essentiellement mariaux, dans lesquels l'espace intérieur et en particulier la chambre de la Vierge ou thalamus virginis, apparaît comme le lieu le plus lourd de sens. C'est tout un langage artistique - qui associe également les représentations de saints érudits - qui, avec ses valeurs, ses signes, ses codes, se veut le témoin de mutations religieuses décisives, avant les grands bouleversements de la Réforme au siècle suivant. Thalamus Virginis. Images of the Modem Devotion in Fifteenth Century Italian Painting The modern devotion found its origin in the Netherlands where it was most popular before receiving a comparative though more discreet success in Italy. During the fifteenth century, the painting gave a strong echo of this new form of devotion in a rich and meaningful symbolic. Many artists show this religious evolution through their painting scenes of the Holy Virgin's life in which interior space and specially her bedroom or thalamus virginis stands out as the most significant locus. This artistic language which includes representations of learned saints, is willing to bear witness to this fundamental religious change using its signs, codes and values, and announcing bigger overthrows of the Reform in sixteenth century. Revue de l'histoire des religions, 216-1/1999, p. 87 à 110 Si la genèse et le développement de la Devotio moderna, à partir de ces lointains ancêtres que sont saint Bernard et moins ouvertement le pseudo-Bonaventure (notamment ses Medita- tiones Passionis Iesu Christî), appartiennent incontestablement à l'univers des Pays-Bas1, l'Italie, malgré une situation religieuse et sociale différente, n'en a pas pour autant, au XVe siècle, ignoré l'impact ; Pierre Chaunu remarque du reste que sa diffusion correspond aux régions de forte densité de population et à alphabétisme élevé2, au premier rang desquelles, bien sûr, l'Italie. De façon indirecte et souvent même implicite, la peinture du temps en apporte un témoignage cohérent. Autant que de Devotio moderna au sens strict, comme chez les religieuses de Sainte-Christine de Padoue, on peut plus largement parler pour l'Italie de nouvelle dévotion, de nouvelle piété. Cette spiritualité qui se développe en parallèle avec un courant ascétique et érémitique3 est très étroitement liée, dans la péninsule, à l'expansion de l'Observance chez les prêcheurs et les mineurs, et se fonde pour l'essentiel sur la méditation, l'oraison et la contemplation4 ; nombre de ses représentants 1. Sur la Devotio moderna, parmi une bibliographie importante, on pourra consulter A. Hyma, The Christian Renaissance. A History of the « Devotio moderna », New York, 1924 ; Colloque de Strasbourg, Courants religieux et humanisme à la fin du XVe et au début du XV f siècle, 1957, pub., Paris, 1959 ; R. R. Post, The Modem Devotion, Leyde, 1968. 2. « II y a corrélation entre la Devotio moderna, d'une part, et, d'autre part, une densité de 50 habitants et plus au kilomètre carré et une couche de 10 %, au moins, de sachant-lire », Le Temps des Réformes, 2e éd., 2 vol., Bruxelles, 1984, I, p. 259. 3. Autour de Girolamo da Raggiolo et de son De vita solitaria (1480). Cf. Maria Petrocchi, Storia délia spiritualita italiana, Rome, 1978, p. 110-111. Le goût italien de la solitude était une constante depuis Pétrarque et son De vita solitaria de 1356, dans une optique il est vrai plus profane et érudite. Sur les religieuses de Sainte-Christine de Padoue, cf. Charles de La Roncière, L'Église en Italie, in Jean-Marie Mayeur, Charles Pietri, André Vauchez, Marc Venard (dir.), Histoire du christianisme, 14 vol., Paris, 1994, VI, p. 750. 4. Cette dernière plus particulièrement avec Esaia da Este dans son Expositione sopra la cantica de Salomone, Venise, 1504, notamment au fol. A III (voir M. Petrocchi, op. cit., p. 112, n. 10) et Dominico de Domini- cis, dans son Liber de contemplatione (voir L. Mack, The « Liber de contem- platione » of Dominicus de Dominicis, Rome, 1936). THALAMUS VIRGINIS 89 furent canonisés, comme Laurent Giustiniani, Bernardin de Sienne, Jean de Capistran ou Jacques de La Marche, auxquels on peut ajouter les bienheureux Bernardino da Feltre, Lodo- vico Barbo, Alberto de Sartenao. De l'épiscopat de saint Antonin à l'intermède dramatique de Savonarole, Florence où déferle, à partir de 1450 et même plus tôt, une vague de pié- tisme5, a été au cœur de ces nouvelles formes de dévotion - témoin «le couvent de Saint-Marc (qui) constitue (...) un haut lieu de l'Observance où les pratiques de la Devotio moderna vinrent vivifier la tradition dominicaine »6. Mais cette nouvelle piété affecte plus généralement toute la péninsule, au moins de Rome jusqu'aux Alpes, comme le montre l'écho qu'elle rencontre chez les humanistes, séduits par l'association de la contemplation et de la méditation : Coluc- cio Salutati (De seculo et religione), Cristoforo Landino (Dis- puîationes camaldulenses), Marsile Ficin, Pic de la Mirandole. Lorenzo Valla, de son côté, démontre exemplairement que « la vie quotidienne du laïc, avec ses plaisirs et ses joies, peut être sainte et agréable à Dieu »7. De même que son homologue nordique, la Devotio moderna italienne se caractérise autant par la méditation que par son humanisation de la religion. Humanisation qui s'exprime d'abord par les dévotions particulières au Christ - au Christ- homme, au Christ souffrant - et à la Vierge, la Vierge mère, l'une et l'autre dévotions tournées vers le salut, traditionnellement associé au rachat par l'Incarnation8. La dévotion envers 5. Que John R. Spencer, Spatial Imagery of the Annunciation in Fifteenth Century Florence, The Art Bulletin, XXXVII, 1955, p. 278, met à juste titre en relation avec le développement du symbolisme dans les représentations picturales de l'Annonciation. 6. Jean Chelini, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Paris, 1968, p. 478. 7. Jean Delumeau, L'Italie de la Renaissance à la fin du XVUF siècle, 2e éd., Paris, 1991, p. 148. 8. On trouve au xv* siècle italien différents « courants où se mêlent (...) attrait mystique et goût pour une dévotion plus intime où le cœur a sa part, dévotion adressée notamment à Jésus incarné et souffrant, à Marie » (C. de La Roncière, loc. cit., p. 750). Voir aussi M. I. Huille et J. Regnard, introduction à Bernard de Clairvaux, A la louange de la Vierge Mère, Paris, 1993, p. 69 et 86. 90 LAURENT BOLARD l'humanité du Christ ne possède guère de racines profondes en Italie : il s'agit là d'un emprunt direct à la nouvelle piété nordique. Elle s'y implante néanmoins assez rapidement, en particulier dans les milieux monastiques9, tandis que se renforce la croyance en la présence matérielle du corps du Christ dans l'Eucharistie, dont le culte connaît alors une grande ferveur. Il en va tout autrement pour le culte mariai dont l'Italie est le fief multiséculaire, et qui s'accentue pour culminer à la fin du XVe siècle, époque où « le caractère privilégié de la Madone permet aux prédicateurs de lui consacrer d'amples discours »10 et notamment, en uploads/Religion/ rhr-0035-1423-1999-num-216-1-1112.pdf
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- Publié le Jan 10, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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